Locarno 2018 : Le capitalisme touche du bois

Le Temps des forêts

Depuis le Second Empire, la France s’est reboisée. Formidable. Sauf que la gestion des forêts se soumet toujours plus à des impératifs de rentabilité économique. Dans le documentaire Le temps des forêts, François-Xavier Drouet tire la sonnette d’alarme.

Une minute, à tout casser. C’est le temps qu’il faut, en 2018, pour abattre un arbre, ôter son écorce et découper de belles bûches prêtes au transport. Une abatteuse, avec son bras articulé tout droit sorti de Terminator, effectue en une journée l’équivalent de plusieurs semaines de travail d’un bucheron.

Le Temps des forêts
Le Temps des forêts, 2018 (réal. F.-X. Drouet)

Tant mieux pour l’heureux propriétaire, qui a déboursé autour de 100 000 euros, souvent plus, pour s’offrir cette petite merveille de mécanique. Pour rembourser sa banque, il doit abattre les arbres à la chaîne et faire tourner la boutique à plein régime. Comme l’agriculture, la sylviculture a importé le modèle productiviste nord-américain, et l’endettement des exploitants est la meilleure garantie de ne pas en sortir de sitôt.

Mais la mécanisation ne permet-elle pas aussi – surtout – d’alléger la charge de travail humain ? Dans un autre monde, sans doute. Dans le nôtre, elle permet d’embaucher un ouvrier agricole qu’on fait trimer 10 ou 12 heures par jour aux commandes de la machine.

Pendant ce temps, Patrick, bûcheron, armé de sa tronçonneuse à 1 500 euros, s’éclate autant qu’il transpire. Entre deux arbres abattus, il nous parle de sa liberté, de la satisfaction de ne rien devoir à sa banque, du plaisir de passer ses journées dans une forêt. Une forêt, avec ses broussailles, ses champignons, sa faune – soupir d’extase dans la salle quand un garde forestier surprend un faon endormi au pied d’un arbre.

Uniformisation

Une forêt, à ne pas confondre avec une plantation : des arbres plantés en ligne tous les trois mètres, un silence de mort – pas un oiseau à l’horizon, faute de matériau pour construire un nid – et surtout une seule espèce d’arbre, rarement deux.

Le Temps des forêts
Le Temps des forêts, 2018 (réal. F.-X. Drouet)

Car pour faire du chiffre et satisfaire les clients, on plante ce qui est à la mode, c’est-à-dire ce qui se vend et, de préférence, pousse vite. La mode, jusqu’à nouvel ordre, est au Douglas, variété de sapin importée du nord-ouest de l’Amérique du Nord. Un Douglas tous les trois mètres et, si un bouleau se risque à sortir de terre, mettant en danger le bel ordonnancement, on s’en débarrasse. Dans trente ans, quarante ans maximum, on récoltera en une coupe rase quelques centaines d’arbres de la même auteur et du même diamètre.

Le bois, énergie durable ?

Puis on replantera en ayant pris soin de faire disparaître tout ce qui pourrait enrichir le sol – racines, épines. Après quoi, en toute logique, il faudra inonder le tout d’engrais chimiques pour que quelque chose repousse.

À l’heure où l’on se gargarise de transition énergétique, le bois énergie offre un bel exemple de l’hypocrisie ambiante et rappelle, s’il le fallait, que l’écologie est soluble dans le capitalisme. L’industrialisation de la filière met en danger la biodiversité et appauvrit les sols. Et l’énergie nécessaire à la production et au transport assure un bilan carbone tout sauf neutre. Le problème n’est pas la déforestation, mais la « malforestation ».

Résistances

35 suicides depuis 2002. C’est l’autre conséquence, chiffrable, de l’application de l’agenda néolibéral à la filière du bois. Les gardes forestiers, devant la perte de sens de leur fonction, les ordres venus de technocrates, la baisse des moyens et les menaces de privatisation des forêts domaniales, manifestent, se mettent en grève, désespèrent, se suicident.

Ils ne sont pas seuls à prendre conscience de l’ampleur des dégâts et, ici et là, naissent des poches de résistance. Dans les Vosges, terre de tradition forestière, des associations rachètent des domaines pour en garantir la gestion durable. Dans les Landes ou le Languedoc, des propriétaires refusent de vendre et maintiennent où ils le peuvent une sylviculture échappant aux logiciels qui modélisent le rendement financier des plantations.

L’un d’eux résume : la logique des écosystèmes forestiers et celle de la finance ne sont pas mariables. En attendant qu’il soit entendu, la forêt est à vendre.


La bande-annonce


Sur le blog

« Comment nous dévorons la forêt tropicale » (Gilles Fumey)

« L’Âge et l’infini des forêts primaires » (Gilles Fumey)

« Quand les Vosges flamberont comme une torche australienne » (Gilles Fumey)

« California Horribilis » (Gilles Fumey)


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