Quand les Vosges flamberont comme une torche australienne

La sécheresse récurrente menace les forêts françaises. En particulier les plantations des Vosges qui pourraient brûler comme les forêts d’eucalyptus en Australie ou les plantations en Californie. La France est-elle préparée à ce traumatisme majeur ?

Jours de désolation devant des pans entiers de la forêt vosgienne – et de bien d’autres en France souffrant des sécheresses répétées. La proximité d’incendies en Sologne le 27 juillet (dans une zone sans pares-feux), au pays Basque où les 165 ha de la pinède de Chiberta à Anglet ont été réduits en cendres le 30 juillet, ou encore en Champagne le 9 août à Hallignicourt, tout préfigure une extension des feux de forêt dans ce qu’on appelle la zone tempérée de l’Europe.

Plantations vosgiennes

Les plantations vosgiennes, attaquée par les scolytes.

Le 3 avril 2020, un incendie avait déjà ravagé trois hectares de forêt dans le secteur de Rimbach-près-Masevaux (Haut-Rhin). Un incendie causé par habitant pratiquant l’écobuage à l’origine du départ de feu. Quelques jours plus tard, les pompiers intervenaient à nouveau vers Wittelsheim.

Trois sécheresses depuis 2017 font « mourir les arbres de soif » selon Frédéric Ficht (ONF, Mulhouse) et la mort d’arbres disséminés laisse penser à un « tempête silencieuse ». Lorsque les cimes rougissent, les arbres peuvent mourir en quelques semaines, et les plantations d’épicéas deviennent la proie des parasites comme les scolytes qui ont pourtant toujours été présents dans les Vosges. Plusieurs millions de mètres cube sont touchés en France :«Je n’ai jamais vu la forêt comme ça» s’inquiète Laurent Lerch, maire de Masevaux, 4000 habitants Pour le natif de la commune, c’est «un crève-coeur», un patrimoine qui disparaît. Pire, le marché ne pouvant absorber les coupes de bois mort de sapin avant qu’il ne finisse en palettes, il faut parfois exporter ces grumes vers la Chine.

L’ONF responsable d’une vision économique de la forêt?

Une course contre la montre est engagée contre le réchauffement climatique imposant de limiter les résineux aux altitudes élevées et les feuillus plus bas, comme les hêtres, voire les cèdres. Mais «on ne va quand même pas aller jusqu’à l’olivier !» grince Laurent Lerch. Mais n’est-il pas trop tard ? Certains forestiers de l’ONF souhaitant garder l’anonymat craignent un gigantesque incendie, comme c’est devenu le cas en Australie ou en Californie. Car on a été trop loin dans les plantations et on paie le prix d’une conception économique du bois qui fait raser «des écosystèmes d’arbres autochtones, d’âges divers, implantés spontanément et une faune qui leur est associée» selon le biologiste et botaniste Francis Hallé du Muséum (Paris). Tout cela pour des systèmes artificiels que sont les plantations monospécifiques «sans référence à la biologie», «vulnérables aux pathogènes», aux tempêtes comme ce fut le cas en 1999 dans les Landes ou en Suède.

En France, près de 7 millions d’hectares de forêt sont menacés par d’incendies, dont 4,2 millions en région méditerranéenne et 1,2 million en Aquitaine, soit 13 % du territoire. Auxquels il va falloir rajouter les menaces pesant sur les forêts monospécifiques de résineux des Vosges en très mauvaise santé. Selon le rapport d’une mission interministérielle, publié en 2010, les surfaces sensibles aux feux de forêt pourraient augmenter de 30 % à l’échéance 2040 et de 50 % à l’échéance 2050. Quasiment l’ensemble du pays pourrait être concerné à l’horizon 2100.

Pertes considérables de biomasse

Malgré ces alertes, les politiques se gaussent toujours de la croissance des «forêts» en Europe (alors qu’il s’agit de plantations). Pour le Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne à Ispra (Italie), publiée mercredi 1er juillet 2020 par Nature, «les Etats ont trop exploité les forêts depuis 2016, éclaircissant le couvert forestier ou l’entaillant de coupes rases, entamant le puits de carbone constitué de branches, de racines et du sol.»

Avec une intensification des coupes de bois, soit +49% en moyenne annuelle en 2016-2018 par rapport à 2011-2015, la perte annuelle de biomasse de bois est de 69% pour l’UE. Tout est tourné vers les plantations pour le bois de chauffage, les centrales électriques, l’emballage, la pâte à papier et la chimie verte.

L’intensification est particulièrement marquée dans les pays qui ont des activités économiques en rapport avec la forêt. C’est vrai en Suède et en Finlande – qui contribuent à plus de la moitié de l’augmentation totale à elles deux –, mais aussi en Pologne, en Espagne, en France, en Lettonie, au Portugal et en Estonie qui comptent pour 30 %. Seuls les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne et le Danemark échappent à cette tendance. Et la taille moyenne des parcelles enfle de plus de 44 % dans 21 Etats membres, «avec des effets potentiels sur la biodiversité, l’érosion des sols et la régulation de l’eau», précisent les auteurs. Les forêts de feuillus sont très touchées.

En France, on veut stocker du CO2 avec les arbres… tout en espérant d’augmenter de 72% les récoltes de bois entre 2015 et 2050 ! Selon deux ingénieurs forestiers, Sylvain Angerand, fondateur de Canopée, et l’agronome Gaëtan du Bus de Warnaffe, qui ont produit un rapport début 2020, «un scénario aussi intensif conduirait à se priver du stockage par l’écosystème d’au moins 140 tonnes de CO2 par hectare et par an en moyenne par rapport à une forêt qui ne subirait aucune coupe.» Pour Sylvain Angerand, «aujourd’hui, près de 80 % des arbres français ont moins de 100 ans. Les laisser vieillir serait une réponse efficace au changement climatique. La stratégie du gouvernement va à l’exact inverse.» Un rapport propose de laisser un quart de la forêt évoluer librement et de limiter les coupes rases aux cas de sécheresse ou d’attaques de pathogènes.

Du Sud aux Vosges

Aujourd’hui en France, les trois-quarts des surfaces forestières détruites par le feu le sont dans le Sud méditerranéen, mais le risque s’étend vers le Sud-Ouest, la Bretagne, le Val de Loire, la vallée du Rhône, la forêt de Fontainebleau et, bientôt, «tout le territoire national» pour Yvon Duché (ONF). A Fontainebleau, la forêt est surveillée par des drones qui n’empêchent pas une quarantaine de départs de feux chaque année.

Incendie à Remiremont

Incendie à Remiremont (avril 2020), Vosges.

«Pendant les vagues de chaleur, les arbres agissent comme des boucliers thermiques», explique Jonathan Lenoir, chercheur en écologie forestière au CNRS. C’est pourquoi le concept de «forêts urbaines» pourvoyeuses de fraîcheur et de verdure plaît tant aux maires des grandes villes. «Si ces fortes chaleurs se répètent dans le temps, les arbres ne pourront plus aller puiser l’eau en profondeur, auront tendance à mourir et pourraient donc constituer à long terme de potentiels combustibles pour de futurs incendies, avertit le scientifique. Dans la forêt de Compiègne (Oise), par exemple, on constate déjà que beaucoup de hêtres dépérissent à cause des hannetons forestiers qui leur grignotent les racines et d’une accumulation de sécheresses prolongées en été.»

Il va falloir assister des migrations d’espèces végétales pour Sacha Jung, de l’ONF : «Nous nous intéressons aux essences issues d’autres régions plus au sud de l’Europe comme les hêtres de la Sainte-Baume ou le pin laricio de Corse. On regarde aussi du côté des Balkans, pour trouver celles qui pourraient composer le nouveau visage des forêts du Grand Est.»

Il est grand temps qu’un débat démocratique sur les forêts en France soit organisé pour éviter la prédation des écosystèmes par des entreprises et des organismes dédiés à la marchandisation de la nature. Sinon, la France verra flamber les Vosges comme l’Australie ou la Californie impuissantes devant le feu qui révèle les carences d’une pensée politique de l’environnement


Pour en savoir plus:

Le capitalisme touche du bois, à propos du film de Xavier Drouet Le temps des forêts, par Manouk Borzakian.

Sur les feux de forêts en Californie, par Gilles Fumey.

Sécheresse : dans les forêts, ça sent le sapin Des milliers d’hectares d’arbres meurent à cause des canicules à répétition.Dans le Cher, forestiers et scientifiques tentent de remédier aux conséquences dramatiques du dérèglement climatique. Par Julie Renson Miquel, Libération, 10 août 2020.

L’industrialisation du bois divise les Morvandiaux, par Martine Valo, Le Monde, 2 juillet 2020.

Le Loiret, confronté à l’extension du risque d’incendie, par Pascal Charrier, La Croix, 5 août 2020.

A la recherche de la forêt perdue, un plaidoyer de Francis Hallé, par Didier Arnaud, Libération, 23 août 2020.

Le Temps de la forêt s’étend sur plusieurs générations d’hommes, Claude Hoh, Le Monde, 30 décembre 2016.

http://www.forestiersdalsace.fr/


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4 réflexions au sujet de « Quand les Vosges flamberont comme une torche australienne »

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