« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent »

Le grand Atlas des arbres et forêts

Ce mot de Chateaubriand est malheureusement toujours d’actualité. Pourtant, la connaissance des forêts ne cesse de s’affiner. Un nouvel atlas le montre de façon magistrale. Est-ce l’outil pour donner enfin tort à l’écrivain ? (Gilles Fumey)

Depuis le coup de tonnerre La vie secrète des arbres, de Peter Wohlleben, qui a réveillé plus d’un chercheur dans les labos, montant enfin au créneau de ce qui était leur responsabilité de faire connaître les forêts, on ne compte plus les livres sur le sujet. Au point que, dans les librairies, on a le sentiment de se retrouver dans une forêt tropicale de livres, prolixe, généreuse, étouffante.

Au milieu du lot, trône un grand Atlas des arbres et des forêts de quatre chercheurs, dont un Français, Jérôme Chave (CNRS, Toulouse), qui met en ordre l’ébullition éditoriale sur ces écosystèmes. Les forêts sont devenues un objet scientifique et politique avec Alexandre de Humboldt, naturaliste allemand, qui a été le premier à les décrire dans ses sublimes Tableaux de la nature, récemment réédités.

De quel objet s’agit-il ? La métaphore du « poumon vert » convient-elle ? Est-il nécessaire de les assimiler à des fonctions du corps humain pour réaliser combien elles sont fragiles ? Et si elles sont si fragiles, pourquoi ne parviendrait-on pas à enrayer le saccage des forêts tropicales et des forêts tempérées transformées trop souvent en plantations monospécifiques ? Certes, le travail préparatoire à une réflexion politique sur les forêts est celui de connaître leur fonctionnement. Est-ce la fascination qu’elle exerce sur les écrivains et les artistes évoqués par Bruno David, le préfacier ? Ou ont-elles gardé un caractère « mystérieux » au même titre que les fonds marins ?

Le mystère a, parfois, bon dos. Car la forêt, elle est très bien connue. Sa diversité a été étudiée : tropicale, boréale, tempérée, méditerranéenne sont des qualificatifs qui permettent d’y voir un peu plus clair dans les paysages et leurs « souvenirs d’odeurs, d’arbres, de plantes, de champignons, d’oiseaux ». Ce qui fait une forêt, les arbres et les micro-organismes, les milieux climatiques, la pédologie, l’action des animaux et des humains, tout cela est décortiqué pour conduire le lecteur à prendre en compte l’ampleur des menaces qui pèsent sur ces écosystèmes.

Notamment, la déforestation dont les auteurs s’interrogent sur l’origine : le vol des terres au détriment des peuples qui habitent les forêts, l’extractivisme des énergies fossiles, la surexploitation (quand ce n’est pas le vol) du bois. Avec, comme conséquence, un comble pour des forêts soumises à « l’agression » des multinationales, leur contribution au réchauffement climatique du fait de leur destruction. Pire, les impacts sur la biodiversité sont dommageables pour le futur, mais aussi pour le présent avec les migrations forcées des populations autochtones vers les villes.

Arbre de pluie, saman : Kanchanbauri (Indonésie)

Science des forêts

Cet atlas qui est aussi illustré par des photos toutes plus ou moins scientifiques (au sens où Humboldt parlait du paysage comme le lieu de notre quête de la nature) qui vont des arbres explorés dans leur diversité, leur capacité gravitropique (les branches se développant dans le sens de la gravitation) jusqu’à leur patrimoine génétique donnant des types « architecturaux » adaptés. Apparus à l’ordovicien, lorsque le dioxyde de carbone est remplacé par l’oxygène, il y a 450 millions d’années, les arbres ont été longtemps des conifères, avant de donner des spécimens prodigieux comme le Gingko biloba, arbres sacrés au Japon dont celui du temple Anraku-ji de Hiroshima qui a résisté au choc atomique d’août 1945. L’atlas montre comment se construisent les grands arbres pouvant atteindre 115 mètres.

Terme originaire du droit médiéval qui renvoie à l’usage de chasses royales, le mot « forêt » est décliné en 1713 mots dans plus de 500 langues qui renvoie largement au droit. On ne mentionne pas assez le rôle de la botanique et des penseurs du global au XIXe siècle pour faire la transition avec notre notion d’écosystème. Les processus de colonisation des sols, les « arbitrages » que font les arbres pour leur développement les uns par rapport aux autres, les réseaux microscopiques souterrains, rien n’échappe aux auteurs qui parviennent à reconstituer des dynamiques en mosaïques liées à des perturbations naturelles. L’exemple le plus frappant est celui des Banksia australiens stockant des graines dans des capsules à l’épreuve du feu, s’ouvrant après avoir été grillées pour libérer ces mêmes graines permettant la régénération. La biomasse a été étudiée il y a fort longtemps et l’Américain H. D. Thoreau l’avait déjà expliquée au XIXe siècle. Le recyclage de la matière en interne, la chimie changeante des sols et des eaux de draînage, tout milite pour voir les forêts comme des « organismes ».

The Physical Atlas of Natural Phenomena © William Blackwood & Sons, Edinburgh & London

Les premières cartes de Ptolémée, enrichies à la Renaissance (voir la couverture de Cassini au XVIIIe siècle), puis les descriptions de Humboldt et Bonpland en Amazonie en 1800 conduisant au Tableau physique, aux lignes isothermes et à la première carte de la géographie des végétaux dans le monde donnent des informations qui vont conduire à l’exploitation des forêts.

Les végétaux qui migrent

L’histoire des forêts est celle de grandes migrations des végétaux, notamment depuis la dernière glaciation, assez facile à réaliser avec le pollen, comme « vraie loupe de détective ». Les arbres sont capables de se disperser sur de grandes distances. Quel rôle ont joué les premiers hominidés bipèdes et maîtrisant le feu ? Comment les techniques, telles l’écimage, peuvent modifier un écosystème ?

Dans le même temps, la couverture forestière mondiale se rétrécit : il y a 8000 ans, elle représentait 57% des surfaces habitables pour 38% aujourd’hui. Une évolution à mettre en relation avec le changement climatique, tel que l’avait déjà imaginé Humboldt au lac Valencia (Venezuela). Des modèles montrent les incidences sur les flux d’eau provenant des couverts végétaux, l’absorption du carbone par la canopée, l’absorption de la lumière solaire et la transmission du rayonnement émis dans l’infrarouge lointain, toutes ces données conduisent les humains à imaginer des pratiques de géo-ingénierie pour le moins controversées.

Mangrove, Krabi (Thaïlande)

Un atlas de la diversité

L’intérêt des centaines de documents cartographiques est d’aller dans le détail de chaque biome, de voir dans la diversité des forêts sclérophylles, des laurisylves, des forêts orophiles des cordillères et de l’archipel indonésien, des mangroves, des forêts ombrophiles, des forêts boréales et des taïgas, des savanes, des forêts décidues du monde tempéré toutes les ressources dont dispose l’humanité pour une gestion d’un « œil nouveau ». Les auteurs, certes, insistent sur l’ancienneté de la déforestation qui n’a pas commencé il y a dix mille ans, comme ils le prétendent, car l’Empire romain a fait payer un très lourd tribut à la forêt méditerranéenne, mais qui a pris une ampleur inédite à partir de 1750. En moins de trente ans, les Américains ont défriché plus de 40 millions d’hectares de forêt avant 1900. Et ça n’a jamais cessé.

Avec la mesure de l’ampleur de cette catastrophe par les satellites, et les enjeux climatiques visant à faire des forêts à venir des puits de carbone, on parvient mieux à identifier les perturbations tels les incendies et la fragmentation des paysages forestiers. Cet atlas est un outil merveilleux, avec une iconographie à nulle autre pareille sur cette thématique.


J. Chave, H. Shugart, S. Saatchi, P. White, Le grand Atlas des arbres et forêts, Glénat/Le Monde, 2022.

[À paraître en janvier 2023), La Documentation photographique, « Les Forêts ».


Sur le blog

« L’âge et l’infini des forêts primaires » (Gilles Fumey)

« Internationalisons l’Amazonie ! » (Gilles Fumey)

« Les voix de la jungle (Sri Lanka) » (sur les sons dans les forêts – Gilles Fumey)

« Les chênes français pour la Chine » (sur le vol du bois en France – Gilles Fumey)

« Le capitalisme touche du bois » (sur le documentaire de F.-X. Drouet – Manouk Borzakian)


Pour nous suivre sur Facebook : https://www.facebook.com/geographiesenmouvement

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s