Les forêts menacées par la politique

Des plantations, milieux pauvres sans biodiversité

Des ministres stupides ou cyniques ? À mesure que progresse la destruction des écosystèmes par l’agriculture chimique et productiviste, un ministre annonce «tripler l’effort» en faveur des forêts et confirme la volonté de Macron voulant «replanter un milliard d’arbres d’ici à dix ans». Bigre! (Gilles Fumey)

L’été chauffe les têtes gouvernementales. Tout d’un coup, le ralentissement de la croissance des arbres, la multiplication des incendies et l’affaiblissement du puits de carbone les feraient frémir. Marc Fesneau a invité à un déplacement dans le Loiret une sous-ministre de la Biodiversité, Sarah El Haïry, dont le Canard Enchaîné a raconté les circonstances ubuesques de la nomination[1]. Eux deux ont fait gonfler les voiles d’une repentance soudaine, en voulant assurer «le devenir de ces écosystèmes [les forêts] aussi importants que fragiles». Tout ça pour un plan national du renouvellement forestier, qui sera présenté à l’automne. Quésaco?

Le 28 octobre 2022 après les derniers feux de la saison, Macron décide de planter «un milliard d’arbres» d’ici à dix ans, soit«10 % de notre forêt». Colbert et Napoléon III doivent se retourner dans leur tombe. L’un et l’autre avaient mis les bouchées doubles, le premier en feuillus pour assurer l’approvisionnement des chantiers navals, le second en résineux sur les zones humides de Sologne et des Landes de Gascogne. Toutes s’appellent «forêts» et les politiques persistent à appeler «forêts» ce qui n’est que des plantations[2], même si la forêt du Tronçais voulue par Colbert n’est pas totalement monospécifique.

«Les plantations, ce sont l’inverse des forêts»

Rappelons à M. Fesneau dont la fiche Wikipédia précise qu’il est titulaire d’un «Deug [l’actuel L2] de sciences de la vie et de la nature» et à la juriste solognote Mme Al Haïry ce que veut dire planter un milliard d’arbres. On passera sur la rondeur d’un chiffre destiné au bluff en expliquant que les «forêts replantées» sont, en fait, des plantations monospécifiques en ligne ou quinconce, très souvent en pin Douglas, car ce sont des économistes, et non des biologistes, qui fixent la durée de vie de ces arbres. C’est une artificialisation parfaite de la terre, avec beaucoup de pesticides, très coûteuse en investissements mais très rentable. Le biologiste Francis Hallé appelle cela «de l’agriculture» productiviste, parfois mono-clonale quand il s’agit de peupliers. Pas d’animaux, faute de bois mort. Une forte sensibilité aux parasites expliquant l’usage intense de fongicides, une fragilité face aux vents et au feu (voir les Landes en 2022). Gilles Clément, le paysagiste, avertit : «Rien n’est plus risqué qu’une culture mono-spécifique».

Une forêt n’a pas besoin des humains pour exister (F. Hallé)

Inversement, les forêts sont des écosystèmes qui ne coûtent rien aux sociétés. Des arbres d’âges divers s’y installent spontanément. Plus elles sont vieilles, plus les forêts sont riches en biodiversité, Madame El Haïry, dont le portefeuille de la Biodiversité serait défiguré par cette politique de gribouille qui vise à les confondre avec des plantations. Notons que les forêts sont très résistantes au vent, au feu, aux parasites et que leur durée de vie est illimitée. Leurs échelles de temps sont immenses. Seuls les changements climatiques peuvent les affecter. Francis Hallé aime à dire que les humains sont incapables de faire des forêts. «Les forêts poussent seules

Un milliard, pour quoi ?

Du coup, ce «milliard d’arbres» paraît ridicule. Comme Louis XIV veut dompter la nature à Versailles en la soumettant aux lois de la géométrie, Macron voudrait la soumettre à son bon vœu qui apparaît ni plus ni moins comme un caprice. D’autant que France Relance (2020-2022) a programmé 7000 kilomètres de haies et d’arbres, soit dit en passant au moment où, dans le Haut-Doubs, des «casse-cailloux» les balaient du paysage pour soumettre le parcellaire aux machines utilisées par des grandes fermes de la zone Comté.

On se demande comment travaille le Conseil supérieur de la forêt et du bois estimant que 15% de la forêt métropolitaine nécessiterait une «action volontaire dans les dix prochaines années». Sachant que les trois-quarts du couvert forestier français sont privés, on est déjà à 10% de la forêt métropolitaine pour ces actions de «renouvellement». Tout ça pour ça?

Encore que derrière cette opération il est question des crédits carbone et «des paiements pour services environnementaux» rendus par la forêt. Comment la filière bois s’organise si l’idée est «de mettre en place et de renforcer les circuits courts pour la production de bois, de redonner de la valeur à la forêt après des années de dépréciation, et d’éviter que du bois parte à l’étranger pour revenir transformé», comme l’explique le ministère de l’agriculture?

L’association Canopée s’inquiète de cette mal-adaptation qui consiste à continuer de détruire la forêt avec des coupes rases que le Conseil supérieur de la forêt et du bois appelle «plantations en plein». Heureusement, ce que dit Macron relayé par les ministres doit être encore arbitré et les discussions budgétaires sont loin d’être closes. Pendant ce temps, le président fait gloser son gouvernement.


[1] 26 juillet, p. 2.

[2] https://www.canopee-asso.org/conference-les-plantations-sont-elles-des-forets/


Sur le blog

«Quand les Vosges flamberont comme une torche australienne» (Gilles Fumey)

«Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent» (Gilles Fumey)

«L’âge et l’infini des forêts primaires» (Gilles Fumey)

«Internationalisons l’Amazonie!» (Gilles Fumey)

«Les voix de la jungle (Sri Lanka)» (sur les sons dans les forêts – Gilles Fumey)

«Des chênes français pour la Chine» (sur le vol du bois en France – Gilles Fumey)

«Le capitalisme touche du bois» (sur le documentaire de F.-X. Drouet – Manouk Borzakian)


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