
Fric-frac dans les forêts françaises. Voler du bois n’est pas une mince affaire. Et pourtant, dans les Pyrénées, en Moselle, en Vendée, dans le Nord, le brigandage se multiplie. À l’heure des drones, GPS et autres trackers… (Gilles Fumey)
Est-ce la vacance du travail liée au Covid ? On serait tenté de le croire pour avoir vu des paysans du Haut-Doubs capter en catimini une source communale pour l’usage de leur (grosse) ferme. Certes, on vole de plus en plus de cuivre, de tracteurs, de matériaux et de machines sur les chantiers… ce n’est pas d’aujourd’hui. On a même vu des délinquants jeter leur dévolu sur… des meules de comté (quatre tonnes sur un même site en 2015). Mais le bois ? Les arbres qu’il faut repérer, abattre, tronçonner, extraire des forêts, transporter incognito, passer les frontières ?

Dans la forêt de Garche, non loin de Cattenom en Moselle, des arbres ont été tronçonnés en avril 2021 sur des terrains privés. Direction : la Chine, nous assure Brigitte Vaïsse, élue socialiste. Quelques mois plus tôt, quatre cents sapins et chênes centenaires d’une forêt ariégeoise à Perles-et Castelet étaient victimes d’un massacre à la tronçonneuse. Les chênes pour la Chine ? Possible. Toujours des chênes, à Grémecey, en Moselle, dans le Saulnois, l’un d’entre eux, haut de 25 mètres manquait à l’appel dans une forêt privée à la fin de l’hiver 2022. Un larcin loin d’être une exception dans cette région, selon le sylviculteur François Trompette. Sans qu’on sache toutefois vers quelle destination.
Pour le vol ariégeois commis à l’automne 2020 et les mois d’hiver qui suivirent, l’enquête par drones a permis de coffrer un exploitant forestier espagnol, Manuel Bautista, condamné un an plus tard à dix-huit mois d’emprisonnement, dont neuf ferme, une décision actuellement jugée en appel alors que pour le tribunal « la peine n’est pas aménageable ». Est-ce ce vol de l’hiver 2021 qui avait donné des idées à des trafiquants par la suite ? Car le cas des vols de chênes, sapins, épicéas, hêtres, érables, châtaigniers et cerisiers qui avait donné lieu aussi à un signalement dans l’été 2021 pour des sapins dans l’Aude ne semble pas avoir été dissuasif.
En effet, en mars 2022, le centre de loisirs d’Olonne-sur-Mer (Vendée) se voyait délesté de vingt-deux arbres dont douze chênes, des pins, des bouleaux et des châtaigniers plantés avec des enfants dans le cadre d’un plan Climat pour 2050. Quelques semaines plus tôt à Wandignies-Hamage dans le Nord, cent cinquante arbres plantés par les écoliers du village étaient subtilisés. L’opération avait été encadrée par le club Nature Sciences et nous afin de masquer une poche aérienne de défense contre le feu.
Le bois entre-t-il dans la géopolitique ?
En réalité, le pillage du bois à l’échelle mondiale est une affaire ancienne. Les colons européens n’ont pas été les derniers, pas plus que les Chinois aujourd’hui, notamment dans les forêts tropicales.
Pour Paul Jurquin, président de l’interprofessionnelle FiBois France depuis 2021, les vols en France sont facilités par le très grand morcellement de la forêt : on compte trois millions et demi de propriétaires, dont la majorité ne possède que des mouchoirs de poche (moins de quatre hectares) peu entretenus, sans doute du fait des successions compliquées.
Vues dans le contexte international, ces forêts sont très vulnérables. La demande mondiale de bois est forte, depuis que la Chine est devenue un gros acheteur. Sur les six premiers mois de 2021, elle a absorbé les quatre cinquièmes des exportations de chênes non transformés (soit près de 200 000 mètres cube). Sans compter ses achats de résineux à l’Allemagne et aux pays scandinaves.
Que penser de cette exportation d’une ressource aussi complexe à obtenir dans le temps, vers la Chine ? Il faut préciser que ce pays n’autorise pas les coupes de chênes sur son territoire et qu’il a lancé des programmes de plantation. Pourtant, dans la filière bois française, on pourrait s’inquiéter de voir se tarir le marché chinois au nom d’une protection de la ressource nationale. D’autant que la guerre en Ukraine a tellement renchéri le prix du bois sur les marchés boursiers de Chicago que les scieurs vosgiens et alsaciens se voient proposer des achats à bon prix alors qu’il ne semble pas y avoir de pénurie. En réalité, la Russie jadis deuxième exportateur mondial de bois, n’exporte plus de bois transformé, notamment vers une Chine très gourmande en bois. Ainsi, la pression sur l’Europe s’accroît.
Les vols en France ne sont, sans doute, pas étrangers à cette situation où des filières cachées peuvent être organisées vers la Chine connue pour l’opacité de ses pratiques commerciales. Dans notre pays, le droit de la propriété et celui de la succession compliquent les opérations de reprise de forêts abandonnées, telle qu’on la voit chez certains de nos voisins. Les propriétaires n’aiment pas vendre leurs bois ! Quant à ceux qui sont attirés par le marché du bois, ils craignent les limitations au libre-échange en cas de sortie du territoire. Comment accroître la transformation du bois en France alors que le nombre des scieries diminue ? La filière bois a bien reçu de l’argent de France Relance et France 2030 (plus de 500 millions d’euros) mais Paul Jurquin pense que c’est insuffisant face à la compétition internationale.
On peut se poser aussi la question qui fâche : fait-on les mêmes raisonnements de protection de la ressource quand nous achetons des bambous et autres bois tropicaux à des pays en développement ?
Sur le blog
« L’anti-modèle du sapin de Noël » (Gilles Fumey)
« Comment nous dévorons la forêt tropicale » (Gilles Fumey)
« Le capitalisme touche du bois » (Manouk Borzakian)
À lire, regarder, écouter
« Du bois pour les Chinois, de l’or pour la mafia » (Médiapart)
« Les pied sur terre : Massacre à la tronçonneuse » (France Culture, sur le vol de bois en Ariège)
Forêts françaises, en quête d’avenir (documentaire sur Public Sénat sur la bioéconomie du bois en France)
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