Aux armes, citoyens taïwanais!

Taiwan

Xi Jinping agite des menaces, mais les Taïwanais ne restent pas les bras croisés. Impressionnante préparation à une guerre qui paraît chaque jour de plus en plus inéluctable. Avec un bouclier qui n’a jamais été éprouvé dans aucune guerre : un bouclier de silicium. (Gilles Fumey)

Pour ceux qui connaissent ce délicieux pays, de culture chinoise, de pratique démocratique, ils ne peuvent que regretter les paroles du maître de Pékin qui, lors du dernier congrès du PCC, n’a pas que répété le mantra du Parti sur la « réunification » de Taïwan. Quasiment dès le début du discours, Xi Jinping a annoncé sa priorité à conquérir l’île, un passage fortement applaudi. « Résoudre la question de Taïwan est une question qui appartient au peuple chinois, a aussi déclaré le chef du PCC. Nous continuerons à nous efforcer de rechercher une solution pacifique avec une grande sincérité mais nous ne promettrons jamais de renoncer à l’usage de la force et nous nous réservons le droit de recourir à toutes options nécessaires. La réunification complète de notre pays doit être réalisée, elle le peut et elle le sera sans aucun doute. »

Intimidations militaires contre Taïwan © Institut FEMS

Pour le gouvernement taïwanais, la « solution pacifique » avec des menaces est « erronée ». « La République de Chine [nom officiel de Taïwan] est un État souverain et Taïwan n’a jamais fait partie de la République Populaire de Chine ». Le peuple de Taïwan « n’acceptera jamais » le « Consensus de 1992[1] » ni non plus le principe « Un pays, deux systèmes ». « Seuls les 23 millions d’habitants de Taïwan ont le droit de décider de leur avenir, affirme le Conseil des affaires continentales. Nous sommes ici pour envoyer une mise en garde aux autorités du PCC sur le fait qu’elles doivent abandonner leur politique et leurs actes de coercition et d’agression. »

Un autre avertissement a été donné le 20 octobre 2022 : pour Chen Ming-tong, le chef du bureau de la Sécurité nationale taïwanaise, Pékin subirait des sanctions internationales et un isolement diplomatique en cas d’invasion de l’île. « Il est pourtant très clair que les deux parties [Pékin et Taipei, NDLR] doivent se respecter et se développer séparément, ce qui leur permettrait d’apporter le bonheur au peuple », a jouté le chef de la Sécurité nationale.

La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a plusieurs fois offert une reprise d’un dialogue sur un pied d’égalité avec la Chine populaire. Ses offres ont été rejetées par Pékin au motif que Taipei doit reconnaître faire partie de la Chine. Pour répondre à la menace chinoise, Tsai a engagé un vaste programme de modernisation de l’armée taïwanaise, notamment des exercices militaires près de l’île, après la colère de Pékin suite à la visite de la présidente du Congrès américain, Nancy Pelosi, à Taipei en août 2022.

Aux armes, Taïwanais !

Pour les États-Unis, le chef de la diplomatie Antony Blinken a regretté à Stanford le 17 octobre que la Chine populaire ne veuille plus s’en tenir au statu quo : « Si les moyens pacifiques ne fonctionnent pas, [la Chine] va désormais employer des moyens de coercition et, pour le cas où ceux-ci ne fonctionneraient pas non plus, alors des méthodes d’emploi de la force pourraient être employées pour atteindre cet objectif. Ceci est profondément inquiétant et crée des tensions énormes. » Les États-Unis se préparent donc à une invasion qui pourrait avoir lieu en 2024, voire en 2023.

Dans la société civile, les écoles et les ONG préparent la population aux bons réflexes, à la prise en charge de blessés en cas d’attaque, comme le font les Ukrainiens face aux Russes. La Kuma Academy est une école de formation avec quatre cursus : « guerre moderne, guerre cognitive, premiers soins et gestion des abris ». Son mécène, Robert Tsao, 76 ans, ne mâche pas ses mots pour traiter le PCC de « gang  mafieux » qui contrôle la Chine à Pékin, avec un Xi Jinping « illettré ». Avec ses dons, Tsao va permettre à la Kuma Academy de former « 3 millions de citoyens d’ici 2027, avec le développement des drones et la formation de 300 000 tireurs d’élite ».

Pour l’instant, les jeunes Taïwanais semblent plutôt insouciants, les lois contre les armes à feu ont eu raison de la criminalité qui affiche l’un des taux les plus bas du monde. Ceux qui ont pu aller en Chine continentale sont rentrés « déçus et atterrés ». Comme la société civile chinoise a disparu, il faut se rendre à l’évidence : tout est possible. Pour élaborer les scénarios de défense, on étudie comment « les talibans ont bouté les Américains avec asymétrie et détermination. Les Russes ont tiré 2000 missiles sur la petite Ukraine. Et alors ? » se demande l’amiral Lee, ex-commandant des forces armées, auteur du best-seller Pensez stratégie ! et partisan d’une posture de guerre asymétrique mêlant armement classique et guérilla.

Fête nationale à Taipei le 10 octobre 2021 : les Taïwanais s’entrainent © EYEPRESS NEWS / AFP

Un débarquement à l’américaine par les Chinois ? Très compliqué car la météo ne s’y prête qu’en été. Les soldats doivent se préparer des mois, ce qui n’échappera pas aux satellites espions américains. Il leur faudra traverser un détroit de 240 km en mer hostile, sans plage plate comme en Normandie. Comme beaucoup de soldats chinois sont fils uniques, les familles sont-elles prêtes au sacrifice ?

Pour l’instant, dans des églises comme celle de Chi-nan à Taipei, pompiers, infirmières et travailleurs du premier front apprennent à transporter des corps, appliquer un tourniquet (il faut éviter l’hémorragie, première cause de mort). Les Taïwanais se pressent à ce genre d’exercice. On n’imagine pas la force morale des 128 000 Taïwanais les plus menacés, ceux qui habitent sur l’île de Kinmen, à 4 km des côtes chinoises. Bombardés en 1958, ils ont tenu, grâce à des tunnels d’évacuation qui sont aujourd’hui des hot spots du tourisme. Le littoral est hérissé de pieux qui pourraient empaler des assaillants.

Aux États-Unis, l’administration Biden travaille avec l’armée taïwanaise, notamment pour l’aider à produire des armes sur place, notamment des versions améliorées de missiles taïwanais Hsiung Feng II et III. Et l’Union européenne ? Elle tente de faire valoir à Pékin que sa ligne politique est inacceptable. Elle travaille avec les États-Unis à contrer les cyberattaques venant de Chine, à diversifier ses sources d’approvisionnement, à multiplier ses liens avec la zone indopacifique.

Un bouclier de silicium

L’économie chinoise est très imbriquée à celle de Taïwan. Les industriels de Taïwan ont beaucoup d’usines de semi-conducteurs en Chine. Plus du tiers des puces vendues dans le monde sont made in Taïwan. Et si l’on parle des puces les plus sophistiquées, celles qui servent à téléguider des missiles ou faire tourner un iPhone, par exemple, on atteint 90%. Ce n’est pas tout. TSMC veut investir 100 milliards de dollars sur trois ans pour répondre à la demande mondiale. Car l’industrie des conducteurs est encore plus concentrée que celle du pétrole. Finalement, la meilleure arme ne sera-t-elle pas celle des puces, car la Chine ne tirerait aucun gain de valeur d’une attaque car les ingénieurs taïwanais fuiraient à l’étranger comme les financiers à Hongkong. Le bouclier sera-t-il suffisant ? Pas sûr, puisque les Chinois ont refusé les vaccins occidentaux dans l’épidémie de Covid dont le pays n’est toujours pas sorti. Pour la rationalité économique, il faudra repasser.


[1] Le « consensus de 1992 » est un accord tacite entre les représentants de Pékin et de Taipei en 1992, lors d’une rencontre informelle à Hong Kong. Les deux parties se sont entendues pour reconnaître que l’île de Taïwan et le continent chinois font partie d’une seule et même Chine – libre à chacun de considérer de quelle « Chine » il s’agit. Pour Pékin, la République populaire de Chine ; pour Taipei, la République de Chine. Le principe « Un pays deux systèmes », inventé par Deng Xiaoping lorsque la Chine négociait avec le Royaume-Uni la rétrocession de Hong Kong, promettait à l’ancienne colonie britannique une période de cinquante ans pendant lesquels elle pourrait conserver son mode de vie et ses usages politiques ouverts. Ce principe a été de facto détruit en juin 2020 avec l’imposition par Pékin de la Loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, qui a eu pour conséquence de bâillonner toutes les libertés dans l’ancienne colonie britannique.


Sur le blog

« Après l’Ukraine, Taïwan ? » (Nashidil Rouiai)

« Puces et vaccins géopolitiques » (Gilles Fumey)


À lire

Un autre texte de Nashidil Rouiai sur les relations entre la Chine et Taïwan.


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