Western en Franche-Comté

Des paysans profitent du confinement pour arracher des haies sans autorisation publique alors qu’un consensus est acquis dans l’opinion pour retricoter du bocage là où il avait été détruit. Des faits d’autant plus choquants qu’ils ont lieu dans les périmètres de la prestigieuse appellation Comté ainsi privée de ses paysages. Des paysans délinquants?

Sur les confins de la France et de la Suisse, là-haut sur la montagne où paissent les vaches à la robe rouge et blanche entre clochers à impériale et grosses fermes sur fond de sapinière, le confinement a réveillé des petits voyous. Si l’on en croit la grosse colère du préfet du Doubs, certains paysans profitent du confinement pour arracher des haies et détruire des affleurements rocheux sans autorisation.

Comté

Paysage du Haut-Doubs menacé par des paysans ?

Partout en France, on tente de tisser à nouveau le filet des haies qui ont été arrachées avec la mécanisation des années 1960. On s’est rendu compte que les haies brisent les vents, diminuent l’écoulement de l’eau et, de ce fait, l’érosion, qu’elles sont un lieu de vie pour les oiseaux, les insectes, les reptiles et autres petits mammifères qui s’y reproduisent, certains mangeant les campagnols sans s’attaquer aux cultures. Les haies sont une source d’énergie renouvelable (bois de chauffe ou bois d’œuvre). Et, surtout, dans le Haut-Doubs appartenant au terroir du Comté, elles sont un paysage nécessaire à l’image du fromage sur laquelle les travaux du géographe Pascal Bérion sont formels. Les prés-bois font partie d’un écosystème équilibré tout comme les dolines qui alimentent les sources, régulent la circulation de l’eau notamment en période de sécheresse.

Pourtant, rien n’y fait. Des paysans mettent en rogne les habitants de la région et le préfet, Joël Mathurin menace d’utiliser la force pour faire cesser ces pratiques honnies par les associations environnementales. L’Office français de la biodiversité est saisi pour engager des poursuites: plus de vingt procédures sont en cours depuis le début du confinement. «Des contrôles par drone vont ainsi être diligentés pour caractériser finement les signalements et consolider les procédures» menace le préfet.

Dérives productivistes

Ces pratiques montrent qu’une appellation fromagère, c’est un combat permanent. Sur le plateau d’Amancey (Doubs), des haies encore visibles sur Google Earth ont été arrachées récemment, donnant à ce plateau karstique un air d’openfield américain. Heureusement, des paysans venus de Suisse, installés sur le même espace, replantent des essences locales, noisetiers et cornouillers, et pratiquent une agriculture respectueuse de l’environnement. Il leur importe peu de gagner quelques ares de surface en herbe et s’il faut passer les machines autour des haies, ils auront la satisfaction d’avoir offert aux lièvres le gîte et le couvert.

Non loin de là, sur les terres de Granges Maillot, à proximité d’un château appartenant à la famille La Rochefoucauld, une ferme qui accumule plus de mille têtes de bétail et qui récolte du foin jusqu’à 50 kilomètres de distance vient de semer… du maïs. Pas besoin d’être grand clerc pour savoir que le maïs en milieu karstique où sévit de plus en plus la sécheresse est une assurance-vie pour le bétail l’été quand l’herbe vient à manquer. Mais alors, se demandent les consommateurs, comment est-on sûr que ce lait ne finit pas dans un atelier à Comté où les vaches nourries au maïs que dans des conditions exceptionnelles, pour respecter les «usages loyaux et constants» du terroir?

Une autre entorse ? Dans un village voisin, une source installée sur un terrain communal, qui est donc un bien commun, vient d’être captée par une grosse ferme, sans qu’il y ait eu le moindre débat au Conseil municipal. La guerre de l’eau va-t-elle être déclarée sur le karst alors que les sécheresses affectent de plus en plus le bassin-versant du haut-Doubs?

Comté

Un captage «sauvage» d’une source communale au Fonteny (Déservillers-Doubs) au profit d’une grosse ferme. Photo: Pascal Vuillemin.

Que fait la filière ?

On aurait tort de ne voir là que des bisbilles à régler avec le shérif local. Ces pratiques prospèrent comme le négatif de ce qui se passe sur ce terroir d’exception qu’est la zone Comté, montrée dans le monde agricole comme un modèle. Ces 2500 fermes, 143 fruitières et 13 affineurs qui assurent, ensemble 14 000 emplois directs et indirects sont les maillons d’une chaîne vertueuse qui paie le lait près de deux fois plus que le tarif accordé par Lactalis en Normandie ! Un pactole.

Pour Alain Mathieu, paysan et président de la filière Comté, «on aurait tort de penser que les pratiques délictueuses de quelques-uns sont conformes au volet environnemental de la production fromagère. Tout est discuté au sein de la filière. La quantité et la qualité de l’eau resteront garanties sur le territoire en évitant la pression sur les sols et la dégradation du bilan carbone, la nature des effluents d’élevage et leur utilisation sont des sujets majeurs qui trouvent des traductions concrètes dans notre futur cahier des charges. Nous sommes d’accord sur le fait que l’eau est un bien commun et que des initiatives individuelles opposent les usagers entre eux».

Le maillage des haies et les affleurements rocheux sont soumis à une réglementation départementale à la disposition du préfet qui condamne les manquements à la loi. «Mais, pour Alain Mathieu, l’arrachage des haies comme l’entretien de l’ensemble des éléments qui constituent notre patrimoine paysager doit être pensé dans une approche globale. Quel usage faisons-nous collectivement de notre espace dans un contexte où la zone Comté (qui occupe moins de 40% de la surface totale de la zone de son appellation) perd chaque année des centaines d’hectares : plus de mille hectares en 2019 ont été perdus par l’urbanisation, la construction des routes, les zones artisanales et industrielles!»

Une quarantaine de fruitières (sur 143) travaillent dans une démarche Biodiv (pour Biodiversité) portée par l’URFAC, un organisme regroupant les quatre AOP régionales (Comté, Morbier, Mont d’or et Bleu de Gex) avec des associations environnementales. Ce travail porte sur la définition d’un paysage du Comté : la place des haies, la forme des parcelles, en étudiant l’évolution des paysages sur cinquante ans, la progression de la forêt au détriment des prairies et, bientôt, les éoliennes qui seraient en projet sur la zone. Pourtant, ce sont bien les prairies qui sont victimes de caillassages pour les transformer sans doute en terres labourables.

Comté

Casse-cailloux à l’oeuvre en 2017. Une transformation violente du paysage pour quel profit? Qui mesure l’impact environnemental de ces destructions? (Source: Est Républicain)

Ce combat entre écologistes et paysans est ancien: une vidéo qui affiche plus de 360 000 vues montre les agressions commises dans une zone Natura 2000 dans la région du lac de Remoray. Pour le pédologue Christian Barnéoud, c’est toute la microbiologie des sols qu’on déstructure: «les vers de terre labourent une parcelle en quelques années et avec leurs excréments font remonter la terre (soit 300 à 1000 tonnes par hectare). Le casse-cailloux anéantit ce mécanisme. Si on supprime ces vers, le sol va subir la gravité. A chaque pluie ou chute de neige, les particules les plus fines vont descendre et à la longue faire remonter les pierres. On est condamné à repasser le casse-cailloux tous les trois ou quatre ans»(1). Et Gérard Vionnet, éleveur et berger, met en garde la filière contre l’intensification agricole. Rien ne justifie ces agressions contre l’environnement. On ne peut avoir une diversification floristique avec des rendements fourragers de 45 à 50 quintaux à l’hectare. Les mélangeuses, l’affouragement en vert sont des limites très dangereuses qu’il ne faut pas les franchir.

Les appellations fromagères en difficulté avec la crise du Covid

A vouloir trop grandir, la filière de production ne se fragilise-t-elle pas? La baisse des ventes dans les premiers mois de 2020 par rapport à celles de la même période 2019 (de moins 8 à moins 12%) touche beaucoup de petites AOP et de producteurs fermiers, mais n’est-ce pas aussi un avertissement?

Pour Alain Mathieu, «la révision du cahier des charges qui devrait être officialisée en 2021 a donné lieu à plus de deux ans de débats au sein de la filière. Il a fallu travailler à améliorer les engagements vis-à-vis du consommateur. 1100 signatures formalisent la participation aux nombreuses réunions qui ont été nécessaires. La filière Comté, c’est une vraie démocratie participative! Pour partager la valeur entre producteurs et consommateurs, il faut évidemment continuer à travailler sur le goût qui est toujours une promesse. Et bien au-delà du goût. Ce qu’on appelle la durabilité de la production, en limitant la taille des fermes, le nombre de vaches par producteurs, la croissance des fruitières, en définissant plus finement encore ce modèle sociale ou producteurs fromagers et affineurs s’engagent à vivre et à faire vivre leur territoire durablement grâce au Comté». Plus encore, il faut protéger les détenteurs des savoir-faire en évitant que des fonds de pension luxembourgeois deviennent propriétaires de grosses fermes déléguées à des salariés peu au fait des pratiques. «L’Appellation doit aller plus loin que l’administration. La taille des fermes a un impact sur la qualité des produits. Une appellation d’origine contrôlée, ça doit se justifier».

On le voit, les agissements de quelques-uns ne sont pas une bonne publicité pour la filière Comté. Aura-t-on besoin des drones et de la maréchaussée pour les ramener dans le droit chemin? Ne sont-ils pas capables de comprendre qu’ils abîment un outil de travail exceptionnel qui va fêter dans trois ans, en 2023, sept cent cinquante ans d’existence? Aucune filière agricole au monde n’atteint ce record! Qu’ils se le disent!


(1) « Le cauchemar des vers laboureurs », La Presse pontissalienne, n° 213, juillet 2017.


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