Sortir Macron du salon

Salon de l'agriculture

On restait sidéré par Emmanuel Macron au Salon de l’agriculture (26 février 2022) promettant d’être « là pour accompagner les agriculteurs […] et nos compatriotes en termes de coûts ». Que vaut cette promesse d’un « plan de résilience », quand la FNSEA mène le bal dans un ministère gangréné par les lobbies ? (Gilles Fumey)

En effet, sidéré qu’au terme d’un quinquennat, Macron en soit encore à faire des promesses alors qu’il avait cinq ans pour agir. Sidéré qu’un ministre de l’agriculture puisse soutenir en France un système conduisant plus de 100 000 paysans (cent mille !) à vivre sous le seuil de pauvreté, et faire des paysans la première profession de notre pays touchée par le suicide. Sidéré qu’on puisse soutenir une agriculture intensive responsable de 25% des émissions de gaz à effet de serre, qui dérègle le climat, les sols, l’eau et, pire selon l’IPBES, dont les rendements baissent[1]. Sidéré, enfin, qu’on soutienne une agriculture à l’origine d’un tel désastre sanitaire (cancers, hémopathies malignes, maladies neurodégénératives enfin reconnus par la Mutualité sociale agricole) dont les agriculteurs sont les premières victimes.

La FNSEA irresponsable ?

Certes, ce système a été mis en place dans l’après-guerre et on n’a eu de cesse de mécaniser, d’avoir recours aux intrants chimiques, de sélectionner des espèces à hauts rendements. Dans les griffes des marchés financiers, poussés à produire par la surconsommation (un tiers des nourritures sont gaspillées), les paysans sont encouragés par la FNSEA, les chambres d’agriculture et les appuis à Bruxelles dans cette course folle dont on se demande comment l’opinion ne se mobilise pas en faveur des veuves de paysans pour faire cesser ce désastre.

Extinction Rébellion - Salon de l'agriculture
Extinction Rébellion au Salon de l’agriculture, sur le stand de la FNSEA © JSL Damien Vallette

Avec soixante heures de travail hebdomadaire, des dettes colossales (en France, 70% sont endettés de 186 000 euros en moyenne, la moitié d’entre eux gagnant moins de 10 000 euros par an), avec des pensions de misère, les agriculteurs se marginalisent dans la société française. Rendu pourtant responsable par la FAO de l’effondrement de la biodiversité, ce modèle a exterminé dans le monde 19% des espèces animales. Les monocultures toujours encouragées en France et les intrants chimiques contre lesquels on mène des politiques de gribouille, l’accaparement et la pollution de l’eau qui ont décimé la faune et la flore, notamment en zones humides (les deux tiers ont disparu depuis un siècle en France), la déforestation importée (l’Union européenne a détruit 3,5 millions d’hectares de forêts tropicales entre 2005 et 2017 en important du soja pour l’alimentation animale), tout cela devrait conduire à l’abandon de ce modèle. D’autant que la qualité des aliments est en baisse (moins 12% de métabolites secondaires et de vitamine C par rapport à ceux des filières bio).

Terra Nova offre des pistes

Il faut donc sortir Macron du salon. Et ses affidés de la FNSEA. Terra Nova a publié un rapport destiné à « faire tomber les totems » comme « la vocation exportatrice de certaines cultures » et à « engager une transition agricole négociée ». En confiant la mission à une commission indépendante des ministères, on pourrait réorienter « progressivement » les aides publiques, en associant l’agroindustrie et la grande distribution (incitée à proposer 70% de produits d’origine France), à « mieux informer des impacts du régime alimentaire sur le climat et la biodiversité ». Terra Nova suggère des « campagnes de communication massives pour valoriser les diètes moins carnées et plus équilibrées ». La restauration collective est encouragée à proposer plus de menus végétariens et bio. Et nouveauté : il faut revoir les programmes de formation agricole, initiale et continue, qui conduisent tant de jeunes à ces impasses.

1800 milliards de dollars

À l’échelle mondiale, ce sont pas moins de 1800 milliards de dollars qui financent la destruction de la nature. Des entreprises et des ONG comme The B Team et Business for Nature[2] alertent sur le « déclin de la nature à un niveau inquiétant », qui inquiète Christiana Figueres, ex-secrétaire exécutive de la convention cadre de l’ONU sur le changement climatique.

Comment est-ce possible ? Les firmes qui extraient, transforment et distribuent les combustibles fossiles, les filières agricoles et celles de l’eau reçoivent à elles trois plus des quatre-cinquièmes des aides néfastes à l’environnement. Inquiétant de savoir que plus de la moitié du PIB mondial est dépendant de la nature, mais une nature en bonne santé. L’agriculture reçoit à l’échelle mondiale 520 milliards d’aides qui, d’après la FAO, ont un impact négatif sur l’environnement, c’est-à-dire conduisent à l’érosion des sols, la pollution de l’eau ou la déforestation. Quant à la gestion de l’eau douce, elle pompe 350 milliards par an pour des pratiques non durables. Un gaspillage à faire cesser au plus vite.


[1] À titre d’exemple, la dégradation des sols a réduit de 23 % la productivité agricole de l’ensemble de la surface terrestre mondiale, selon le dernier rapport de l’IPBES (organe intergouvernemental scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques).

[2] Rapporté par les Echos, 17 février 2022. Ces ONG sont soutenues aussi bien par le Forum économique mondial, la Chambre de commerce internationale, que l’Université de Cambridge ou le WWF.


À lire sur le blog

« Bataille mondiale contre la faim et pour une agriculture saine » (Gilles Fumey)

« Agriculture : des chercheurs qui ont peur » (Gilles Fumey)

« Suicide des agriculteurs : les sénateurs paralysés » (Gilles Fumey)

« BASTA contre les profiteurs de la PAC » (Gilles Fumey)

« L’élevage intensif, usine à pandémie » (Renaud Duterme)

« Ferme des mille vaches : le crash » (Gilles Fumey)


À lire ailleurs

Sortons l’agriculture du salon (Gilles Fumey – 2017)


Sources

Le dernier rapport alarmant du GIEC

Rapport de l’ONU – La faim dans le monde persiste alors que l’obésité continue

Données INSEE: Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d’hommes – Insee Focus – 212 ; Revenus d’activité des non-salariés ; Revenus et patrimoine des ménages

La France agricole, Juillet 2019 (Rapport « Charges et produits MSA 2020 », juillet 2019) ; Agriculteurs – Un risque de suicide deux fois plus élevé

IPBES – Le dangereux déclin de la nature : un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère

« Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données », Inserm, 2021

Nature France, 2019 – Proportion d’espèces éteintes ou menacées dans la Liste rouge nationale

Générations Futures, 2019, Données FAO, 2019

Vers La Résilience Alimentaire (document à télécharger)

L’aide de l’État à l’agriculture privilégie l’usage des pesticides, Reporterre, 2021

Les métaux lourds – la synthèse de l’ASEF, Association Santé Environnement France, 2017

Statistiques MSA


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3 réflexions au sujet de « Sortir Macron du salon »

  1. Bonjour,

    Comme pour tous les autres articles, j’ai lu celui-ci. Mais alors comment faire pour virer la FNSEA ? Je crois que beaucoup de gens sont conscients des nombreuses incohérences, mais personne ne bouge, car tout le monde tient à son petit job bien au chaud. Et c’est bien cela le problème. Tout le monde a une vision à court terme. Tout le monde pense que le concurrent tombera avant lui. Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut non seulement modifier la façon de produire, mais aussi le transport de marchandises, la fabrication des biens de consommation courante. Tout modifier sans exception ! Est-ce que la société est prête à se remettre en question, à consommer différemment et surtout très rapidement ?

    Concernant votre article sur l’écornage des vaches, il y a un élément, peut-être le plus important que j’ai oublié. Il y a 40-50 ans, les animaux était élevés ‘attaché’ par une chaine, dans les étables. Et la période hivernale durait quasiment 6 mois, même dans nos régions de l’ouest. Il n’y avait pas de problèmes avec les animaux cornés. Maintenant, les hivers sont beaucoup plus courts et les animaux élevés en liberté. C’est la grosse différence !

    Bien à vous, Alain Charbonneau

    ________________________________

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  2. La vraie réponse pour l’écornage est que cette aberration est venue des Etats-Unis où en stabulation, on met plus d’animaux écornés dans une étable que d’animaux non mutilés. Comme pour les cochons avec les queues coupées, les poules ébecquetées…

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  3. Ping : Grandes manœuvres dans l’agriculture | Géographies en mouvement

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