Écoutons les oiseaux: «Au secours! Nous sommes en train de disparaître»

Une Histoire contemporaine des oiseaux de France

Les études se succèdent et se ressemblent sur la disparition des oiseaux, du fait de l’agriculture intensive. Un nouveau coup de semonce va-t-il dessiller les yeux des politiques, complices avec la FNSEA et la grande distribution, d’un modèle agroalimentaire pathogène? Faut-il mobiliser l’opinion avec les ornithologues? (Gilles Fumey)

Rien ne va plus sur la planète des oiseaux. D’un côté, des millions d’animaux de rente sont enfermés et sont victimes de zoonose (21 millions de volatiles abattus en France en 2022, avec à la clé un plan d’action du ministre productiviste Marc Fesneau à 1,4 milliard d’euros contre le très virulent virus H5N1 qui circule toujours). D’un autre côté, une vaste étude menée par Vincent Devictor (CNRS) qui dévoile l’impact des pesticides et autres engrais sur l’effondrement de 60% des espèces d’oiseaux en milieu agricole en Europe. Qu’attendons-nous pour changer de régime alimentaire? Et quelle pression mettre sur une agriculture qui a le pied sur l’accélérateur à tout prix et n’imagine pas qu’elle scie la branche sur laquelle elle est assise? Nous avons besoin des oiseaux. Ces descendants des dinosaures sont devenus les sentinelles de la biodiversité.

Philippe J. Dubois, dans sa passionnante Histoire contemporaine des oiseaux de France, raconte ce que nos civilisations doivent aux oiseaux et quelle place ils ont dans notre environnement, ce qu’on doit à tous les ornithologues sur la présence des oiseaux dans l’histoire. On a tous en tête l’immense travail de Buffon (44 volumes entre 1749 et 1804), mais il y a des centaines d’anonymes qui ont œuvré à la connaissance des espèces, racontant des «invasions» comme celle du Syrrhapte, venu d’Asie de l’Est, qu’on a vu en France entre 1859 et 1960. Cette histoire fourmille de portraits d’oiseaux, de cartes sur la répartition des espèces. Sa conclusion est limpide: une extinction est en cours, à cause du climat mais surtout à cause de l’agriculture et d’un urbanisme débridés. Des réintroductions réussies (les rapaces) aux oublis sur ce que nous avons connu avant l’industrialisation des pratiques agricole, tout est documenté sur cette fabuleuse histoire de nos compagnons des arbres, des forêts, du ciel.

Disparition annuelle de 20 millions d’oiseaux en Europe

Revenons à cette étude impressionnante par sa qualité: trente-sept années de données sur 20 000 sites pour suivre 170 espèces différentes renseignent l’évolution de l’habitat des oiseaux. L’activité humaine (évolution du climat, de l’urbanisation, des surfaces forestières et des pratiques agricoles) détruit chaque année 20 millions d’oiseaux en Europe. Soit 800 millions qui ont disparu depuis 1980. On espérait que le déclin se ralentirait. Mais non. 77% des passereaux, 80% des mésanges boréales, plus de la moitié des pouillots siffleurs manquent à l’appel… à l’exception de certaines fauvettes qui aiment la chaleur et ne sont pas impactées par le réchauffement global.

De manière irréfutable, l’étude pointe l’effet systémique des pratiques agricoles intensives usant d’engrais de synthèse et de pesticides entraînant le déclin des insectes et, donc, des oiseaux. Cette étude européenne distingue la France négativement, l’effondrement atteignant 75% pour certaines espèces aimant les haies. L’accroissement du nombre des mégafermes de plus de 100 hectares est très inquiétant. Le ministère de l’agriculture, cogéré par les productivistes de la FNSEA, n’est pas près de les interdire.

Il faut rappeler le rôle des oiseaux dans les écosystèmes. Pour le chercheur Vincent Devictor, «tout ce que fait un oiseau dans un écosystème est assez fabuleux. Il mange et se fait manger. Il transporte aussi beaucoup de matériaux, de graines. Plusieurs espèces sont migratrices. L’oiseau est un très beau générateur de liens. Et que serait un monde sans oiseaux? Le chant d’un merle au printemps ou la rencontre d’un enfant avec un rouge-gorge en forêt surpasse toute relation d’utilité. Nous nous dirigeons droit vers le Printemps silencieux décrit par la biologiste américaine Rachel Carson dans son célèbre livre il y a soixante ans».

Chants et cris d'oiseaux

Stanislas Wroza, spécialiste des sons d’oiseaux, a enregistré les vocalisations des oiseaux de France dans un superbe livre où l’on apprend à ne pas confondre leurs vocalises. Il informe sur les lieux et les périodes d’écoute, le comportement associé ou encore l’intensité sonore. Avec quatre niveaux d’identification, il parvient à classer 1800 types de vocalisations issues de 320 espèces classées, nommées, comparées entre oiseaux des villes et des jardins, des forêts et des campagnes, des garrigues et habitats méditerranéens, des montagnes, des côtes et des marais sans oublier les oiseaux nocturnes. 2000 pistes-sons sont accessibles et téléchargeables par QR code. Un enchantement!

On se demande maintenant: que faire devant la catastrophe? Il faut s’interroger sur l’usage de l’argent public dans la fabrique de cette vision mortifère de l’avenir, du fait d’une agriculture conquérante à l’origine d’une alimentation dont les impacts sont considérables. Est-il cohérent que la bio (seulement 8% des surfaces cultivées) ne bénéficie pas d’aides à la hauteur des services environnementaux qu’elle rend? Les sécheresses vont faire des dégâts considérables sans qu’on cherche à traiter le mal à la racine. Le productivisme qui nourrit les exportations est aussi à l’origine du gaspillage. Comment les filières peuvent-elles s’organiser? Qui va les aider ou les contraindre? Et encourager fortement ceux qui ont franchi le pas? «Il faut absolument engager la transformation de notre mode de production alimentaire en allant dans le sens d’une protection du vivant, avant qu’il ne soit trop tard», plaide la biologiste Karine Prince, experte à la Commission européenne. Les économistes doivent aussi battre leur coulpe. Ils sont sommés de se réinventer pour sortir des modèles écocides. 

Tous les oiseaux d'Europe

On enrage d’autant plus que deux ornithologues, Frédéric Jiguet et Aurélien Audevard, ont réussi la performance d’observer, de photographier (3000 clichés) et de cartographier 930 espèces d’oiseaux européens nicheurs, hivernants, migrateurs communs, mais aussi les espèces rares ou égarées. Plus de 800 cartes figurent leur géographie, complétée par des fiches espèces expliquant les identifications les plus complexes, comme les oies et les bernaches en vol, la détermination de l’âge des grands goélands ou des fauvettes brunes. Un travail magnifique pour un livre qui se lit comme une déclaration passionnée à la faune avicole.


Pour en savoir plus

Une alerte pourtant ancienne du Museum national d’histoire naturelle.

La Cour des comptes européenne: le fiasco de la Politique agricole commune.À télécharger: l’excellente appli Bird.net qui permet de reconnaître le chant des oiseaux dans vos balades ou votre jardin.

Sur le blog

«Villages morts, villes vivants» (Gilles Fumey)

«Oiseaux menacés, chats menaçants» (Gilles Fumey)

«Les voix de la jungle» (Sur les oiseaux de la forêt tropicale, au Sri Lanka – Gilles Fumey)


Clément Néron, une passion d’ornithologue

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