Villages morts, villes vivantes

Printemps silencieux

Nouvelle édition de « Printemps silencieux » (Wildproject). La biologiste américaine Rachel Carson avait raison bien avant tout le monde. Dans de nombreux villages de France, les oiseaux sont morts. Carson nous dessille les yeux au moment où une nouvelle équipe ministérielle veut accélérer la transition écologique. (Gilles Fumey)

Le printemps n’a jamais été aussi silencieux que cette année dans les campagnes agricoles infestées par la chimie et les pesticides. Pour ceux qui ont l’application Bird.net sur leur téléphone, dans ces campagnes de Picardie, de la Beauce, du Grand Est, ils n’auront aucun chant d’oiseau à enregistrer puisqu’il n’y a plus d’oiseaux. Plus d’insectes pour nourrir les oiseaux. Plus d’habitats pour les loger avec l’éradication des haies. Les villages sont devenus des déserts silencieux, la carte interactive du site en témoigne. Seuls un chant du coq ou un clocher peuvent-il encore distraire le silence de nombreux villages avec le bruit déchirant du machinisme agricole.

Heureusement, les villes – grandes ou petites – sont devenues les refuges des oiseaux qui trouvent arbres, jardins et parcs pour y nicher, y chanter le matin et le soir et les jours de pluie.

Biodiversité avicole (ville de Langres, Haute-Marne). Fuyant les campagnes pour les jardins des villes. Ici les premiers oiseaux d’une liste de plus de 35 espèces différentes © Gilles Fumey (captures sonores sur bird.net)

Cette tragédie avait été annoncée l’année 1962 où la crise des fusées à Cuba faisait trembler le monde. Une vraie bombe éditoriale avait éclaté aux Etats-Unis. Lancée par une biologiste, Rachel Carson qui publiait Silent Spring (Printemps silencieux). Le livre n’avait pas touché en Europe ceux qui se lançaient à corps perdus dans le productivisme agricole le plus débridé avec la PAC mise en œuvre cette année-là. Inaudible en 1962, le message de Rachel Carson a fait pourtant son chemin, et soixante ans plus tard, son livre « sur la guerre de l’homme contre la nature – et comme l’homme fait partie de la nature » – reste « fatalement aussi un livre sur la guerre de l’homme contre lui-même ».

Rachel Carson est une biologiste qui s’est élevée contre les pesticides et autres produits utilisés massivement en agriculture, et leurs effets sur les écosystèmes et la santé des hommes. Le pari était risqué. L’impact fut considérable : Printemps silencieux a entraîné l’interdiction du DDT aux États-Unis. L’enquête de Rachel Carson a été considérée depuis comme un des livres majeurs de l’écologie moderne, très connu chez les militants et les intellectuels. Emmanuel Laurentin avait produit une émission pour faire connaître ce livre « passionnant, rédigé d’une belle plume ».

Rachel Carson
Rachel Carson chez elle

Rachel Carson était féministe et l’une des premières lanceuses d’alerte. Elle a dû subir de très violentes campagnes de dénigrement menées par les farmers, par la classe politique de l’époque et par l’industrie chimique qui la traitait de « femelle hystérique et émotive ». Elle mourut deux ans après la parution de son livre (vendu à ce jour à plus de deux millions d’exemplaires dans le monde) mais son combat fut à l’origine d’une agence fédérale dédiée aux questions environnementales. Elle a été très discrète sur sa maladie – un cancer du sein – craignant que la révélation de son cancer soit le prétexte pour ses contradicteurs à une remise en question de ses critiques contre l’industrie. Pour Joni Seager, victime d’une « maladie de femme » négligée par l’establishment masculin, Rachel Carson a mis au jour les liens entre agressions chimiques et cancers.

Il y a dix ans, l’UNESCO saluait la capacité de Rachel Carson à aborder les questions techniques dans un style poétique et accessible, qui en fait un modèle pour les femmes scientifiques à travers le monde. Elle s’inscrit dans cette lignée de scientifiques qui, depuis Alexandre de Humboldt, ont imaginé la Terre comme un tout, où chaque fait interagit avec ce qui l’environne (et plus loin encore).

Le vice-président des États-Unis, Al Gore, dans sa préface à la nouvelle édition française, rappelle que lorsque le livre a paru, le mot « environnement » n’existait pas dans le vocabulaire des politiques publiques. On se préoccupait bien du smog à Los Angeles comme à Londres, mais c’était plus pour la vue que la santé. Printemps silencieux a été un « cri dans le désert, un plaidoyer solidement étayé et brillamment écrit, qui a changé le cours de l’histoire ».

Quand « l’empoisonnement de la nature est presque considéré comme un signe de pragmatisme économique », ainsi qu’il est établi par les politiques environnementales mortifères d’Emmanuel Macron qui relance l’agriculture productiviste contrairement aux politiques européennes en contestant Farm to fork ou en relançant le nucléaire, il faut relire Rachel Carson.


Rachel Carson, Printemps silencieux, Wildproject, 2019.


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2 réflexions au sujet de « Villages morts, villes vivantes »

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