Le printemps selon Rachel

Rachel Carson

Fin mars : équinoxe de printemps. Ces jours renvoient à un livre qui avertit que cette belle saison est menacée par un hiver écologique. Atteints par l’extinction de masse de biodiversité, les oiseaux sont les grands absents. Le silence assourdissant de leur perte avait déjà surpris Rachel Carson il y a… soixante ans. (Gilles Fumey)

Nous sommes des inconsolables de Rachel Carson. La biologiste américaine, qui avait décrit il y a soixante ans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, décédée à l’âge de 56 ans, a laissé un sillon que nous ne cessons de parcourir. Printemps silencieux, sa bombe éditoriale publiée en 1962, n’a pas pris une ride. Alors qu’elle est spécialiste des océans, Rachel Carson est l’une des premières scientifiques à dénoncer la surconsommation de pesticides qui détruisent les écosystèmes, mettent en péril la santé de la Terre et rendent malades de nombreux humains. Pour Thierry Paquot, qui vient de lui consacrer une biographie dans la collection Destins des éditions Calype, Rachel avait « tout vu et tout démontré. Des océans poubelles aux sols pollués, en passant par l’extinction des espèces ». Rachel Carson ne voulait pas politiser le combat écologique pour toucher le public le plus large possible, vulgarisant avec talent à partir d’une écriture littéraire et sensible.

Ce printemps 2023, l’écho que nous aimerions entendre est celui des oiseaux qui annoncent les beaux jours entre équinoxe et solstice. Malheureusement, des milliers d’hectares sont devenus silencieux, les oiseaux ayant été chassés par la mécanisation qui a supprimé leur habitat et les pesticides qui ont tué une bonne part de leur nourriture : les insectes.

Thierry Paquot raconte le contexte de Printemps silencieux. Il cite notamment un article d’un certain Lewis Herber, alias Murray Bookchin, qui alerte sur les modifications des humains sur leur environnement et tente de comprendre les maladies environnementales. Lequel désigne les coupables – la grande ville, le stress, la qualité de l’air et de l’eau – et préconise l’affichage du contenu nutritionnel des nouveaux aliments industriels. Plus tard, Murray Bookchin publiera des articles sur l’écologie sociale.

Mais le livre de Rachel Carson donne autrement plus d’écho : la Maison Blanche croule sous les lettres – « principalement de femmes de suburbs utilisant des produits pour l’entretien de leurs jardins découvrant avec stupeur qu’ils sont toxiques » (Paquot) – et la biologiste est invitée au Sénat. De toute cette agitation politique, il sortira l’interdiction de la vente du DDT aux États-Unis à partir de 1972 et douze ans plus tard au Royaume-Uni[1]. L’industrie met en place d’autres toxiques. Norman Borlaug, le père de la Révolution verte en Inde dont les dégâts environnementaux sont incommensurables, traite Rachel Carson de « naïve ». Les contre-procédures, les bourses aux universités, les nominations d’experts, tout est bon pour disqualifier la biologiste. La violence des attaques n’y fait rien : finalement, l’opinion publique adhère au message, les politiques suivront en promulguant des lois et en créant l’Environmental Protection Agency. Sans compter tous les beatniks, les féministes, les pacifistes (en pleine guerre du Vietnam), les écologistes qui alimentent une contre-culture anticapitaliste.

Rachel Carson nous parle encore avec un recueil posthume d’articles, Le Sens de la merveille, dans lequel elle encourage les enfants, accompagnés de leurs parents, à ressentir « l’éternel plaisir du contact avec le monde de la nature, accessible à toute personne qui se place sous l’influence de la terre, de la mer, du ciel et de leur vie stupéfiante » (cité par T. Paquot). Epuisée par un virus respiratoire qui la fatigue, elle meurt d’une crise cardiaque en 1964. Mais sa parole ne s’éteint pas.


[1] Retiré du commerce en Norvège et Suède (1970), France (1971), toujours en vente en Corée du Nord et dans certains pays d’Afrique contre le paludisme.


Thierry Paquot, Rachel Carson, pour la beauté du monde, Calype, 2022.


Sur le blog

Villages morts, villes vivantes (Gilles Fumey)


Thierry Paquot à propos du portrait de couverture (photo de 1944) :

« Rachel est svelte, le regard soutenu, le sourire esquissé, les lèvres juste dessinées. Elle semble sérieuse, tout en laissant entendre qu’elle peut adopter une mimique plus joyeuse, voire espiègle, comme lorsqu’elle était enfant. Des photographies la montrent excursionnant, appareil photo autour du cou, ou jumelles à la main, ou carnet de notes ouvert sur les genoux. Même en promenade, Rachel observe la nature ; elle est attentive et aussi émerveillée. Toutes les « figures » que la nature revêt (celle des nuages, des éclairs, des oiseaux en vol, des silhouettes des arbres, du frémissement d’écume sur les vagues…) l’enchantent et cela se traduit sur son visage, certes grave, mais satisfait. Elle a une beauté discrète, simple, directe, comme ses propos, ses engouements, ses colères. Parfois, un visage révèle un paysage intérieur. C’est le cas pour Rachel dont l’honnêteté intellectuelle se lit dans la franchise tranquille du regard. »


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