Hypnose dans le ciel

Comment habitons-nous le monde? Et nos commensaux, désormais que nous ne les regardons plus comme nuisibles? En France actuellement, la saison des étourneaux sansonnets bat son plein. Dégâts sur terre! Féérie dans le ciel! (Gilles Fumey)

Les étourneaux sansonnets (Sturnus vulgaris) sont géographes! Ils sont des millions à franchir l’Europe, depuis la Scandinavie, pour rejoindre les régions tempérées où ils passeront l’hiver. Les migrateurs du ciel font comme les poissons et mammifères des océans: ils suivent le climat et la pitance. Deux indicateurs pour les scientifiques sur l’état de la planète. Pour le climat, la date des migrations varie légèrement selon les années et les régions. Pour la pitance, les étourneaux sansonnets cherchent des insectes et des larves lorsque les fruits et les baies sont plus rares, fouillent les sols labourés où prolifèrent les larves de tipule (ou cousins), leur nourriture la plus appréciée. Un vrai cadeau de la biodiversité pour les paysans débarrassés des larves. Sauf que là où les agriculteurs usent de pesticides en Europe, la population d’étourneaux sansonnets diminue de plus d’un tiers, selon le naturaliste danois Sören Rask Jessen. Un scénario d’effondrement démographique aviaire qui diffère de celui de l’étourneau de Rothschild, introduit par les Hollandais à Bali, aujourd’hui en voie de disparition à cause de la chasse[1].

Un bal aérien © Euronews

Leur chorégraphie qu’on appelle murmuration[2], à Rome ou Istanbul (voir plus bas les liens des vidéos) est un prodigieux usage de l’espace. Au Danemark à Tönder (sud-ouest du Jutland), elle donne lieu à d’étranges spectacles. Les touristes viennent photographier une éclipse du soleil chaque année, au printemps et à l’automne qui en vient à être voilé quelques secondes par les nuées de volatiles. Jusqu’à 1 million d’oiseaux dessinent une danse qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer des animaux sociaux. Volant à environ 36 km/h, chaque oiseau tient à l’œil sept voisins. Il réagit aux mouvements de ses voisins les plus proches, provoquant un effet d’ondes (bien connu des stades où les bras levés pour une ola jouent d’un effet domino). Pour Marc Mortelmans, qui s’appuie sur les chercheurs, on constate deux types de réaction comportementale entre eux: l’attraction et l’alignement. «Selon leur force et la façon dont elles se combinent, le groupe sera sensible à un infime changement de comportement, et peut ainsi changer brusquement de forme.» À vitesse constante et réactions en chaîne immédiates, les milliers d’étourneaux dansent une chorégraphie dont on commence à comprendre le sens.

Nuées d’étourneaux: comment coordonnent-ils leurs vols? Le mathématicien Hervé Lehning répond sur le site © Futura Sciences

En effet, ces animaux sociaux dispersés (ou en couple) la journée et pendant les nidifications se rassemblent en «dortoirs» au crépuscule pour passer la nuit ensemble, souvent en ville. Un premier nuage constitué attire d’autres sous-groupes qui attendent pour se grégariser. Notamment lorsque les rapaces – qui planent plus haut – les menacent. Avec des milliers de paires d’yeux, les étourneaux pourraient déjouer leurs plans d’attaque. Éperviers et faucons qu’on voit souvent planer au-dessus de nuages d’étourneaux ne peuvent pas s’en prendre à une telle masse constituée pour leur échapper. Mais alors qu’aujourd’hui déclinent les rapaces, les étourneaux depuis leur aire d’origine paléarctique prolifèrent, parfois aidés par les humains qui les ont introduits, notamment les Anglais, comme insectivores, ainsi que le raconte le géographe Xavier de Planhol, en Nouvelle-Zélande et en Australie en 1862, à Central Park (New York) en 1891, la même année en Afrique du Sud. Ces proliférations sont à l’origine de pièges à oiseaux dont certains datent du Moyen Age, chasse qui a entretenu une cuisine de chasseurs. En France, on trouve encore du pâté de sansonnet vendu sous le nom de grive mordorée.

Perçus comme nuisibles dans les jardins et en ville où les nuées d’oiseaux causent des dégâts importants, ces passereaux sont effarouchés par les services municipaux hygiène et santé, avec des émetteurs diffusant des cris d’alerte de geais, prédateurs naturels des étourneaux qui cherchent refuge alors dans des haies ou des roselières.

Avec un nom ayant pour étymologie «étoile», d’où starling en anglais, l’étourneau joue comme les stars une double pièce de théâtre dans le monde. Une danse magique, une fin souvent tragique. Rachel Carson nous mettait en garde.


[1] De Planhol, Le paysage animal, Fayard, 2004.

[2] Le mot anglais «murmuration» vient du bruit du frottement des milliers d’ailes, qui produit un bruissement, un murmure étrange.


À lire/à voir

Un site passionnant https://baleinesousgravillon.com/

https://www.youtube.com/watch?v=7-Ott8SFa5o Rabat sur Euronews

Le Bal aérien fascinant des étourneaux sansonnets, film de Jean-Claude Guerguy Ciné Art Loisir

Les étourneaux à Istanbul 


Sur le blog

«Écoutons les oiseaux: « Au secours, nous sommes en train de disparaître! »» (Gilles Fumey)

«Le printemps selon Rachel» (Gilles Fumey)

«Villages morts, villes vivantes» (Gilles Fumey)

«Oiseaux menacés, chats menaçants» (Gilles Fumey)


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