
Un évènement climatique extrême qui perturbe toute une chaîne d’approvisionnement industrielle mondiale. Événement passé inaperçu et pourtant révélateur de notre interdépendance géographique et industrielle. Après l’épisode du blocage du canal de Suez par un porte-conteneurs géant… La sécheresse à Taïwan… (Renaud Duterme)
On sait l’eau indispensable aux activités agricoles, et donc à l’alimentation de nos sociétés. On aurait tort d’oublier que cet élément est tout autant nécessaire à nombre d’activités et infrastructures faisant partie intégrante de nos sociétés industrielles. Ces dernières années, de nombreux épiphénomènes sont là pour nous le rappeler.
Sécheresses et effet domino
Début 2021, Taïwan connaît sa pire sécheresse depuis des décennies. Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, aucun typhon n’a touché le pays l’année précédente. Cet évènement, a priori sans importance pour nous autres Occidentaux, a des répercussions toujours à l’œuvre au moment d’écrire ces lignes. L’île-État au large de la Chine conçoit en effet plus des deux tiers des puces électroniques indispensables à la fabrication d’ordinateurs, de smartphones, de consoles de jeux et de certaines automobiles. Or, la fabrication de ces puces nécessite des quantités astronomiques d’eau : jusqu’à 150 000 tonnes par jour rien que pour le leader du secteur[1]. Plusieurs usines se retrouvent contraintes de limiter la production, décision problématique dans un contexte d’accroissement de la demande en raison de la relance chinoise et du bond en avant qu’a fait la numérisation de nos sociétés. Conséquence : certaines chaînes de production en Europe se retrouvent à l’arrêt, faute de pièces.
Ces puces ne sont pas les seuls éléments partie prenante de notre quotidien et dont la production nécessite d’énormes quantités d’eau. C’est la quasi-totalité des composants et de leurs matières premières qui dépendent d’un approvisionnement hydraulique constant, que ce soit pour l’extraction, le raffinage, la fabrication, le refroidissement ou encore le nettoyage. La majorité des mines et usines sont ainsi très aquavores et peuvent se retrouver vulnérables en cas de sécheresse ou d’épuisement des ressources hydriques.
Partons dans le nord du Chili, à Chuquicamata, où se trouve la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde. Ce site concentre 13% des réserves mondiales de cuivre. Ce mastodonte, situé dans une des zones les plus arides de la planète, a besoin de 2 000 litres d’eau chaque seconde. En raison de l’absence de précipitations, ce sont les réserves souterraines de la région et les zones humides qui approvisionnent la mine[2]. Cette exploitation à outrance hypothèque à moyen et long terme non seulement des écosystèmes et lieux de vie aux alentours, mais également la viabilité de la mine elle-même. Élément pour le moins interpelant dans un pays qui fournit près de 30% du cuivre brut au niveau mondial[3].

Cette situation, qui risque d’être l’apanage de nombreux autres sites miniers, pourrait être aggravée par deux facteurs. D’une part le réchauffement climatique qui, au regard des différentes prévisions du GIEC, va accentuer les épisodes de sécheresses dans de vastes endroits du monde, souvent parmi des régions déjà en stress hydrique. D’autre part, l’épuisement des gisements miniers. Déclin qui s’accompagne d’une diminution de la qualité des réserves restantes (moins accessibles, plus mélangées, plus compliquées à raffiner, etc.), ce qui signifie généralement qu’une plus grande quantité d’énergie et d’eau est nécessaire pour l’exploiter[4].
Et l’énergie dans tout ça ?
Ce qui précède est également vrai pour les ressources énergétiques non renouvelables. S’ensuit un processus s’autoalimentant où besoins en ressources, énergie et eau augmentent en parallèle dans un contexte de raréfaction généralisée[5]. Les pétroles de roche-mère sont emblématiques à cet égard. La méthode dite de fracturation hydraulique est très gourmande en eau et peut conduire à des impasses dans un avenir proche pour de nombreux puits situés dans des zones déficitaires en précipitations.
La production d’électricité peut également se voir perturbée en cas de diminution des régimes de pluies. Les barrages hydroélectriques constituent un bon exemple puisqu’ils dépendent de rivières et de fleuves ayant un débit important. Or, la sécheresse, la diminution du manteau neigeux en haute altitude, la réduction de la surface des glaciers, la hausse de l’évapotranspiration, ainsi que l’augmentation des prélèvements (notamment pour l’agriculture) font peser de plus en plus de menaces sur de nombreux bassins versants de par le monde, provoquant par ci-par là un arrêt forcé des barrages et donc de la production électrique.
En 2016, le Venezuela a subi des restrictions d’approvisionnement électrique en raison d’une forte baisse du niveau d’eau du barrage de Guri, situé dans le nord-est du pays et fournissant plus des trois-quarts de l’électricité du pays. Cette baisse résultait d’une sécheresse prolongée vraisemblablement causée par un épisode El-niño particulièrement virulent.
En Californie, la production d’électricité par les barrages hydrauliques a connu ces dernières années une importante baisse en raison de sécheresses successives survenant de plus en plus tôt dans l’année. Et l’année 2021 semble déjà l’une des pires en la matière.
Plus préoccupant, les centrales nucléaires qui ont besoin d’un approvisionnement constant en eau pour leur fonctionnement et leur refroidissement. Une baisse du débit de la Meuse a déjà provoqué un arrêt forcé des réacteurs de la centrale de Chooz, dans les Ardennes françaises, lors de l’été 2020. Cette situation est de moins en moins exceptionnelle au regard de la multiplication des épisodes caniculaires de ces dernières années. Et que dire du parc nucléaire français situé dans la moitié sud du pays ?
Jusqu’ici tout va bien…
Les éternels optimistes souligneront, avec raison, que ces évènements n’ont pas eu de conséquences catastrophiques et que les pays dans lesquels ils se sont produits ont plutôt fait preuve de résilience. C’est effectivement une bonne nouvelle.
Mais l’intérêt de les rappeler est d’abord de souligner les fragilités de nos sociétés hyper connectées et hyper industrialisées, en particulier dans un contexte de raréfaction généralisée de nombreuses ressources simultanément. Plus que les évènements en tant que tels, c’est l’augmentation de leur fréquence qui doit nous interroger.
Ensuite, ils illustrent le fait que de nombreuses promesses quant aux défis écologiques à venir (accroissement du parc de voitures électriques, numérisation à outrance, tout au renouvelable, etc.) risquent de s’avérer difficiles à tenir compte tenu des contraintes géographiques et géologiques qu’elles imposent.
Face à cela, il faudra bien intégrer la nécessité absolue de réduction drastique de la production et de la consommation si l’on veut éviter que les ruptures à venir se transforment en perturbations généralisées.
[1] https://www.courrierinternational.com/article/electronique-une-secheresse-historique-taiwan-menace-daggraver-la-penurie-de-puces
[2] https://boutique.arte.tv/detail/la-face-cachee-des-energies-vertes
[3] https://atlas.cid.harvard.edu/
[4] Richard Heinberg, La fin de la croissance, éditions Demi-Lune, 2011.
[5] On parle de Peak Everything. Pour en savoir plus, se rapporter aux travaux de Richard Heinberg et de Philippe Bihouix.
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Vous avez le dire et le répéter sous toutes les formes, nos dirigeants trop occuper à se goinfrer de ‘pognon’, ne mesurent pas l’ampleur du désastre à venir. Très inquiétant!
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