Covid-19 en Colombie: un accès aux soins très inégalitaire

Comment font les pays en développement face à la pandémie? Question posée à Benjamin Lysaniuk, chercheur en géographie de la santé au CNRS, coordonnant un programme ANR sur l’exposition environnementale à l’amiante au sud de Bogotá.

La Colombie a opté pour un confinement alterné, rapporté par Anne Proenza. Une mesure étrange qui donne du grain à moudre pour les chercheurs sur le genre. Pour l’histoire récente de la pandémie et la réaction des pouvoirs publics, Benjamin Lysaniuk fait le point.

Coronavirus, Colombie

En Colombie, confinement et port du masque obligatoire (France 24)

Géographies en mouvement – Comment se passe la pandémie de Covid-19 en Colombie? Le niveau d’information de la population? L’attitude des pouvoirs publics?

Benjamin Lysaniuk – L’épidémie a démarré en Colombie de manière légèrement décalée comparativement à l’Europe. Le premier cas officiel à Bogotá fut recensé le 6 mars. Il s’agissait d’une étudiante venant d’Italie et rentrant en Colombie par le vol direct Air-France Paris-Bogota du 25 février. Très tôt (prenant appui sur les autres expériences de gestion de crise à l’œuvre dans le monde), la Colombie a envisagé le confinement et s’y est préparée. Du 20 au 24 mars fut imposé à Bogotá un «exercice de confinement» (simulacro de aislamiento) aussitôt suivi – et sans transition – par le confinement officiel décrété par la présidence de la République.

Bien entendu, les médias locaux et nationaux proposent un suivi de l’épidémie en continu et l’accès à l’information est aisé. Ceci étant dit, plus que l’accès, c’est la qualité de l’information qui pose question. Les chiffres officiels (nombre de cas et de décès) sont à prendre avec des pincettes. De nombreux témoignages font écho d’une très grande difficulté à accéder aux fameux tests et les délais pour obtenir les résultats semblent particulièrement longs.

Le confinement semble relativement bien respecté (sauf dans quelques localités périphériques selon les réseaux sociaux) d’autant que – comme en France – de lourdes amendes pénalisent les contrevenants. Un parcours de gestion des patients présentant des symptômes de Covid19 fut défini très tôt et des lignes téléphoniques sont ouvertes H24 pour répondre aux questions et orienter les cas suspects. De centres de santé estampillés Covid19 permettent – pour l’heure – d’absorber le flux des patients suspects ; dans le même temps, des centres de santé distincts, reçoivent les patients pour les autres consultations.

GEM Le système de soins est-il, à peu près, à la hauteur des besoins ou complètement débordé comme en Europe?

BL – Considérant les chiffres actuels, le système de santé colombien arrive à absorber le choc. Mais pour combien de temps encore ? Le ratio «nombre de lits en soins intensifs / habitants» est très faible. Or, ce ratio (nous le voyons par ailleurs) est une des variables pouvant expliquer des taux de mortalité élevés à terme. La ville de Bogotá a imaginé et installé des structures médicales provisoires qui – malheureusement – pourraient être très vite débordées si l’on devait faire face à des chiffres – par exemple – identiques à ceux de Paris.

Ce qui est directement perceptible, c’est la crise sociale générée par le Covid19. Un pourcentage très élevé de la population vit d’une économie informelle qui est à l’arrêt. Plus que la question de la gestion du «risque Covid», c’est celle de se nourrir qui se pose avec acuité pour nombre de Colombiens.

BL – Y a-t-il des mouvements de solidarité entre la population et les soignants comme en Asie et en Europe?

A l’image de ce que l’on peut observer en Asie et Europe, il existe en effet des mouvements de solidarité à l’endroit des soignants. Sans prendre la forme d’applaudissements nourris le soir, ils se matérialisent plus par un soutien affirmé sur les réseaux sociaux. Ceci étant dit, ce soutien va de pair avec une profonde critique de la baisse continuelle des financements alloués au secteur de la santé et une remise en cause du système dual de soins profondément inégalitaire (structures privées Vs structures publiques).

GEM – Le pouvoir politique tient le coup?

Comme en France, cette crise s’insère dans un contexte de tensions sociales exacerbées. Les mois de novembre et décembre en Colombie furent marqués par de nombreuses manifestations d’opposition à la politique de gouvernement Duque notamment au sujet de la réforme des retraites… Plusieurs scandales politiques apparaissent dans le temps de cette crise sanitaire : c’est le cas des «faux numéros d’identité» (faux électeurs potentiels et/ou faux bénéficiaires de prestations de l’Etat). Par ailleurs, le président semble vouloir profiter de cette crise pour avancer sur la réforme des retraites. Ceci étant dit – malgré tout – le pouvoir politique tient encore le coup…

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