ZAD partout, une bonne idée ?

En réaction à l’incapacité des pouvoirs publics à tenir compte des limites écologiques dans leurs politiques publiques, une autre façon de concevoir la lutte se manifeste, via l’occupation de territoires. Non seulement pour s’opposer à des projets nuisibles et inutiles, mais également pour expérimenter d’autres modes de production et de vie en phase avec les équilibres naturels. Alors, les ZAD, avenir de l’écologie ? Réponses en nuance. (Renaud Duterme)

Les récentes mobilisations contre un projet de méga-bassine à Sainte-Soline augurent la constitution de nouvelles ZAD (pour Zone à défendre). Face à l’absence de réponses politiques apportées à la catastrophe écologique qui se profile, l’occupation de territoires apparaît comme une voie vers un nouveau modèle de société en rupture avec le vieux monde. Mais le futur peut-il véritablement s’inscrire au sein de ces ZAD ? Ou ces dernières ne seraient-elles qu’un nouvel avatar pour une frange militante privilégiée en mal d’aventure ?

Aux racines du mal

Contrairement aux formes d’écologie dominantes, les ZAD ont le mérite d’envisager le problème à la racine. C’est-à-dire en pointant les causes structurelles de la catastrophe climatique et écologique, à savoir le capitalisme qui, par sa logique d’accumulation sans limite, nécessite de produire, transporter et construire toujours davantage. En atteste l’engouement de la plupart des gouvernements pour des projets pharaoniques visant à consommer plus (centres commerciaux, complexes touristiques), encourager le déplacement des personnes et des marchandises (aéroports, lignes de trains à grande vitesse, tronçons autoroutiers) ou favoriser le développement industriel et extractiviste (zonings, entrepôts, barrages, centres d’enfouissement de déchets, mines, fermes-usines, méga-bassines).

ZAD d’Arlon, Belgique, 2019 (c) Cleo Dauby

Ce type de projet constitue une cible de choix pour toute personne exigeant de véritables réponses aux problèmes majeurs que constituent le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’épuisement des ressources. À cet égard, les zadistes sont parmi les plus cohérents au niveau de leurs revendications puisque des slogans tels que « ni ici ni ailleurs », « nous sommes la nature qui se défend » ou encore « orchidées contre bêton armé » expriment la nécessité de cesser ici et maintenant l’artificialisation des terres et la construction d’infrastructures impliquant de facto une hausse de l’empreinte écologique.

De plus, les ZAD ont le mérite de remettre la conflictualité au centre de l’analyse. Leur écologie se fonde avant tout sur la création d’un rapport de force et se situe dans une logique de confrontation avec les pouvoirs politiques et économiques. Différents projets avortés l’ont d’ailleurs été en raison de la constitution de ZAD (Notre-Dame-des-Landes étant l’exemple le plus abouti). Pour ces raisons, ce type de lutte est difficilement récupérable contrairement à de nombreuses initiatives se diluant peu à peu dans un greenwashing contre-productif. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la ténacité avec laquelle les gouvernements tentent de décrédibiliser les ZAD.

ZAD et territoire

Qui plus est, les ZAD permettent de visibiliser des projets destructeurs qui seraient, dans bien des cas, passés inaperçus auprès de l’opinion publique non limitrophe. Cette visibilité peut clairement être un catalyseur à l’émergence d’une pensée écologiste chez de nombreuses personnes car les questions liées à un territoire local touchent le cœur du quotidien des habitants. Ils constituent ainsi une porte d’entrée pour une conscience plus large des enjeux environnementaux et ont le mérite de dévoiler les impacts concrets et immédiats de notre modèle de production et de consommation.

La réflexion des zadistes s’inscrit en outre au-delà de la logique NIMBY, laquelle vise à refuser des nuisances uniquement dans son environnement proche. Ici, l’opposition se manifeste contre le projet en tant que tel, peu importe le lieu. De nombreux militants proviennent d’ailleurs d’autres régions que celle où la ZAD voit le jour.

Plus généralement, la majorité des zadistes ont également comme objectif d’expérimenter d’autres modes de vie, de production et de prises de décision. Propriété collective, partage des terres, démocratie directe, production et consommation locale, autosuffisance. Autant de principes dont nos sociétés ont tout à gagner à s’inspirer pour faire face aux chocs en cours et à venir.

Fétichisme de l’occupation

Ceci nous amène néanmoins à quelques critiques que l’on peut adresser au principe-même de ZAD. D’abord, l’illusion, voire l’idéologie de l’occupation chez certains. Nombreux sont les militants persuadés qu’occuper un territoire et le libérer des rapports d’exploitation constitue la priorité pour faire face à l’urgence de la situation, voire constitue la porte vers un changement plus global. On retrouve d’ailleurs cette idée chez de nombreux mouvements autonomes, tels que le Comité invisible pour qui « faire sécession, c’est habiter un territoire, assumer notre configuration située du monde, notre façon d’y demeurer, la forme de vie et les vérités qui nous portent, et depuis là, entrer en conflit ou en complicité. C’est donc se lier stratégiquement aux autres zones de dissidence, intensifier les relations avec les contrées amis, sans soucis de frontières. (…). C’est dessiner une autre géographie, discontinue, en archipel (…) »[1]. Cette idée n’est pas neuve et peut notamment se rapprocher du concept de TAZ pour Zone Autonome Temporaire. Théorisée dans les années 1990 par Hakim Bey, auteur américain, ces TAZ constituent selon Bey des espaces de libertés qui permettent à l’individu de s’extraire des mailles du système et d’avoir l’occasion de vivre dans des lieux où il peut faire l’expérience d’une liberté totale.

Pourtant, si noble soit l’objectif, cette conquête spatiale peut s’avérer contre-productive, comme l’écrit Murray Bookchin, pourtant source d’inspiration de nombreux zadistes : « la bourgeoisie n’a rien à craindre de telles déclamations cantonnées aux questions de style de vie. Cette variante narcissique de l’anarchisme, qui se caractérise par la haine des institutions et des organisations de masse, par sa prédilection pour la sous-culture, sa décadence morale, son goût pour tout ce qui est éphémère et son rejet des programmes, est parfaitement inoffensive socialement. Elle permet juste de canaliser une partie du mécontentement à l’égard de l’ordre social existant »[2]. En d’autres termes, si s’extraire du système est libérateur, on ne voit pas comment cela pourrait déboucher sur un changement plus global. Pire encore, cette manière de faire risque fort de conduire à une marginalisation du mouvement, en particulier auprès des populations locales.

Les zadistes, des idiots utiles ?

En effet, par leurs objectifs, leurs convictions politiques, voire leur mode de vie, de nombreux zadistes peuvent se retrouver très éloignés des réalités sociologiques et culturelles de la région concernée et des populations locales.

À Arlon, dans le sud de la Belgique, l’émergence en 2019 d’une ZAD pour s’opposer à la création d’un zoning a cristallisé cette tendance puisque seule une infime minorité des participants étaient originaires du coin. Cette faible proportion peut contribuer à alimenter un sentiment de dépossession de la lutte de la part de nombreux habitants. Sentiment encouragé par le profil parfois diamétralement opposé entre locaux et zadistes, pouvant d’ailleurs aller jusqu’à alimenter une méconnaissance, voire un mépris mutuel. Car quand certains zadistes (mais c’est également valable pour des écologistes et militants au sens large) revendiquent une marginalité exacerbée, voire méprisent de nombreux aspects chers (quoi qu’on en dise) à une majorité (travail salarié, propriété privée, consumérisme, attachement à la voiture…), il s’ensuit une déconnexion contre-productive que les autorités favorables au projet ne manqueront pas d’instrumentaliser.

Pire encore, le fait de vivre en ZAD, voire de passer de ZAD en ZAD comme de nombreux militants le font (et comme le préconise le Comité invisible), risque d’encourager chez ces derniers en entre-soi ainsi qu’une surestimation de la conscientisation politique et de l’esprit de combativité chez tout un chacun. Comme certains puissants passent d’un d’îlot de prospérité à un autre sans jamais être confrontés aux réalités sociales de zones en déshérence économique, certains militants passent de lieux de luttes en lieux de luttes, persuadés que le Grand Soir est arrivé sans comprendre qu’une majorité vit très loin de cet état d’esprit, voire est en total désaccord avec ce genre de combats. Or, le soutien de ces populations est capital pour l’avènement d’un changement profond.

En d’autres termes, si vivre uniquement dans des lieux subversifs hors des rapports de domination et d’exploitation est louable en soi, ça devient nettement plus critiquable, voire contre-productif, si l’objectif est d’impulser un rapport de force et de convaincre une majorité de gens de la nécessité de rompre avec le modèle actuel. Comme le rappelle la journaliste Naomi Klein, le changement survient lorsque la frontière entre militants et citoyens s’estompe. De ce point de vue, et même si les ZAD peuvent faire avancer de nombreuses causes, elles peuvent également accentuer le fossé entre ces deux catégories. 


[1] Comité invisible, À nos amis, Paris, La Fabrique, 2014, p.187.

[2] Murray Bookchin, Changer sa vie sans changer le monde, Marseille, Agone, 2019, p.49.


Sur le blog

« Le vieux monde contre les ZAD » (Manouk Borzakian)

« Sylvaine Bulle : les ZAD sont l’apprentissage des communs » (Gilles Fumey)

« Ce que les ZAD font à l’espace – I. Zones à défendre ou à reprendre ? » (Manouk Borzakian)

« Ce que les ZAD font à l’espace – II. Zones à défendre ou à reprendre ? » (Manouk Borzakian)

« Des Belges en guerre contre la frite ! » (Renaud Duterme)


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