
La France subaride ? Nos ancêtres auraient évoqué l’Algérie. Aujourd’hui, le Sud de la France vit avec une aridité et des températures qui sont celles du Sahara. Heureusement, quelques jours par an. Mais demain ? Le gouvernement en fait-il assez ? (Gilles Fumey)
La quatrième vague de chaleur (et non canicule) de cet été laisse la France dubitative sur ce qui l’attend. Les ministres se veulent pédagogues, en prévenant que plus de cent communes début août sont déjà privées d’eau potable (mises à part celles de Bretagne pour cause de nitrates). Pédagogie ? ils annoncent le pire, des « tensions » sur le partage de la ressource. La technostructure administrative prépare des plans Orsec « eau » mais permet les rejets d’eau chaude pour 5 centrales nucléaires, choie les maraîchers, céréaliers et autres éleveurs, prévient qu’il y aura des contrôles.

Mais la géographie de l’eau ne se présente pas partout de la même manière. Les grandes cultures du Bassin parisien et celles de l’Aquitaine sont mieux adaptées que les régions bocagères de l’Ouest, du Massif central, du Bassin versant du Rhône et de la Provence. Espérons qu’une part des zones d’élevage bovin retourneront en champs ouverts (céréales) mieux adaptés. Rappelons que nombre de zones spécialisées dans les bovins le sont depuis les années 1880 lorsque les grains américains ont ruiné les marchés céréaliers contraints à d’autres productions comme la viande.
Il reste donc que le grand sujet de cet été 2022 est bien l’eau. Beaucoup de Français semblent découvrir la valeur de l’eau. Les sécheresses historiques de 1976 et de 2003 ont été oubliées. Mais le discours sur l’eau commence à changer : sobriété à tous les étages, comme en convient le technophile de l’Elysée ce 14 juillet. Toujours les « petits gestes », pour la galerie. Et maintenant, le « droit à l’eau » tweete Mathilde Panot, députée LFI : « L’eau doit d’abord aller à la vie plutôt qu’aux profits ». L’eau comme un bien commun, à ne pas polluer ni gaspiller ? Une cellule de crise est née au sommet de l’Etat. Voici ses cogitations.
Les eaux usées, tu réutiliseras
Voierie, espaces verts, agriculture : des secteurs qui pourraient accroître le pourcentage des eaux traitées réutilisées en 2022 à hauteur de 0,6%, contre 14% en Espagne. Un retard imputé à une sévère réglementation sur la qualité et à une vision d’une France bénie des eaux. Du coup, les entreprises de l’eau expérimentent une production d’eau potable à partir d’eaux recyclées dans des stations d’épuration, comme le font la Namibie et la Californie. Bémol : les traitements doivent être draconiens (sont donc coûteux) et doivent être proches des zones d’activité. En catimini, le gouvernement a autorisé la recharge de nappes phréatiques avec des eaux usées pouvant être utilisées aussi contre les feux de forêt. Notamment en zones littorales, puisque les eaux traitées finissent en mer, avec des risques de salinisation des nappes si on prélève trop sur elles.
L’eau de mer, tu dessaleras
Des pays comme l’Arabie Saoudite, Israël, l’Espagne (aux Canaries) et quelques autres régions (en France, Belle-Ile, île de Sein) atteignent des pourcentages supérieurs aux deux tiers de leur consommation avec le dessalement. Soit par distillation, soit par osmose inverse, la deuxième technique la plus utilisée consistant à soumettre l’eau de mer à une très forte pression contre une membrane laissant passer seulement les molécules d’eau. Avec 17 000 usines de dessalement qui produisent en 2020 plus de 100 millions de mètres cubes par jour, la technologie semble maîtrisée. L’eau sert alors surtout pour l’agriculture et l’industrie. Mais même avec des projets aux Antilles ou Mayotte, le procédé reste compliqué car il faut rejeter les saumures sans perturber les écosystèmes marins ou récupérer les sels. Et l’énergie doit être couplée avec des panneaux solaires.
Les brouillards et la rosée, tu capteras
Par des filets, comme le font le Chili ou le Maroc récupérant jusqu’à 40 litres d’eau par mètre cube de fort brouillard. Les filets ne sont pas coûteux, résistent bien au temps. Les zones de brouillard sont littorales ou en altitude. Avec des surfaces froides rainurées, on peut récupérer la vapeur d’eau, comme l’herbe du matin. Xavier de Planhol (dans L’eau de neige, Fayard) a détaillé toutes ces techniques artisanales utilisées depuis la nuit des temps dans les zones arides. Le Bénin, le Maroc et l’Inde l’expérimentent sur des toits inclinés, voire en utilisant la nuit les mêmes panneaux solaires que ceux produisant de l’électricité en plein jour.
La consommation perdue de 18 millions d’habitants
On a envie de suggérer aux conseillers du prince d’autres pistes : diminuer les pertes dans l’agriculture (ce qui s’est évaporé et n’est pas restitué aux nappes), améliorer les techniques de refroidissement des centrales thermiques (31% de l’eau consommée en France), fixer des quotas de prélèvement (en limitant la maïsiculture), utiliser des tarifs progressifs, repérer les fuites d’eau (20% de l’eau potable n’arrive pas au robinet, soit la consommation de 18 millions d’habitants) par des capteurs, des modulations de pression, de nouvelles canalisations (moins de 1% du réseau renouvelé chaque année).
On échappera aux âneries imaginant le remorquage d’icebergs de la banquise. Dassault Systèmes que l’on croyait moins idiote avait calculé il y a dix ans qu’un iceberg de 7 millions de tonnes peut alimenter une ville de 35 000 personnes pendant un an. Sans prendre en compte la fonte de l’eau durant le trajet sous les tropiques, l’énergie du remorquage et le stress de la biodiversité dans les eaux marines soudainement refroidies. En revanche, les ingénieurs ont évalué le coût à 9 millions d’euros. Bof…
Sur le blog
« La prise de la bassine » (Gilles Fumey)
« L’eau n’est pas une marchandise » (Renaud Duterme)
« Pourquoi nous ne faisons rien quand la maison brûle » (Gilles Fumey)
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