
Traverser la Loire à pied (entre Varades et St-Florent-le-Vieil), voir fondre la mer de Glace de trois mètres, le lac de Serre-Ponçon asséché de douze mètres : tels sont les faits, entre mille, de l’été 2022. « La norme en 2050 » pour l’agroclimatologue Serge Zaka. De quoi se passionner pour la météo ? (Gilles Fumey)

La sécheresse et les inondations rendent-elles météophiles ? Martin de la Soudière, l’anthropologue du climat, ne répond pas oui. Mais la « fièvre météo » touche beaucoup de Français. Dans Acclimatations[1], il traque des paysans météographes ou de simples météomanes, amoureux de la neige ou de la pluie, voire des orages pour lesquels certains font des dizaines de kilomètres pour les photographier[2]. La plupart des Français sont à table pendant le rite collectif du journal météo le soir, un rite qui permet de retrouver l’espace de parents et d’amis qui ont un environnement météo différent du leur.
Pour Martin de la Soudière, cette passion a plus à voir avec la manie de tout savoir pour prévoir, anticiper. A moins que ce soit une intranquillité, comme l’a étudiée Fernando Pessoa, une inquiétude foncière qui devient une « drogue douce » gagnant toute la société. Cela étant, la maîtrise d’un aléa rend esclaves ceux qui s’y adonnent, elle peut même les conduire à la dépression, notamment celle des saisons hivernales ou celle du réchauffement climatique, une dépression dans laquelle « la société s’accuse elle-même » au lieu de s’en prendre, comme autrefois, à la colère de Dieu par les processions et le repentir.

S’intéresser au temps qu’il fait
De la météo au climat, le pas est court. Mais tous les peuples sont-ils comme les Français accros à la météo ? Pas sûr. D’abord parce qu’une culture météo implique des mesures, des représentations, des environnements qui permettent d’avoir une idée de la manière avec laquelle une population « s’acclimate ». Notamment par des attendus saisonniers marqués, entre autres, par des correspondances entre tel mois et la floraison d’une plante (les cerisiers en mars au Japon) ou l’installation d’une saison sèche (en Méditerranée l’été), ou pluvieuse (la mousson humide en Inde). Certaines régions tropicales ont gardé des traces de la colonisation en nommant « hivernage » la saison des pluies.
Pour les événements extrêmes, ils sont vécus très différemment selon la culture climatique d’une population : un cyclone peut être « accepté » au Vanuatu mais pas à New York, ou encore une tempête de verglas (au Québec en 1998) qui a été vécue comme une catastrophe. Cela étant, rien n’est jamais garanti : la neige à Chamonix n’est pas toujours là à Noël…
Le climat peut-il changer les comportements ?
Les extrêmes climatiques (sécheresse ou coups de chaud, inondations…) peuvent-ils être appropriés par les populations ? Provoquer des changements de comportement sociaux ? Pour Anne Sourdil, c’est possible mais dans le temps d’une vie humaine ! Cela étant, le changement climatique actuel, marqué notamment par la fonte accélérée des glaciers, peut nous affecter dans la mesure où il contrebalance notre désir de stabilité formalisé par la notion de climat.
Les marches pour le climat organisées par les jeunes le prouvent, même si elles portaient aussi une revendication pour la sauvegarde de la planète. En effet, la jeunesse reconnait le changement climatique « comme une perte de notre acclimatation pluriséculaire » (A. Metzger). Irait-on vers une acclimatation incertaine, parce que le changement « fait peur » (M. de « La Soudière) ? C’est la grande question du moment.
Quand l’économie prime sur la santé
Remontons le temps en prenant l’exemple de l’histoire des sécheresses en Europe. Cet été, on a rappelé celle de 1921 au cours de laquelle la saison estivale a été terrible avec une moyenne de 2 mm de pluie entre le 22 mai et le 11 juillet. Et cela partout en Europe, avec une famine à la clé en URSS. On a évoqué les sécheresses de 1949, 1953, 1957, 1964, puis 1976 – qui fut un épisode très dur pour les paysans qui ne savaient plus comment nourrir le bétail et bénéficièrent d’un « impôt sécheresse » remboursé quelques années plus tard – et 2003, sécheresse meurtrière en Europe avec 70 000 morts. Cet été-là, même le Danube perdait tant d’eau que la circulation a été quasi impossible.
On traverse le Rhin à pied sec
À l’échelle du 2e millénaire, on a bien documenté l’été 1303, pendant le règne de Philippe IV le Bel. Du mois d’avril à la Toussaint, les dépressions ne vinrent pas à bout de l’anticyclone. Pire, l’hiver fut, lui aussi, doux. On traversait l’été l’Oise, la Seine, la Loire et le Rhin à pieds secs. Durant trente-deux jours, la température dépasse 32°C à Paris, 50 jours à Marseille. Mais les historiens n’ont pas encore analysé les impacts de cette année-là…
Quand la météo devient politique
En revanche, plus près de nous, les impacts météo (qui ne font pas un climat) sont encore discutés. Car on a voulu expliquer la Révolution française à cause d’épisodes météo détestables. Inondations en 1787, terrible orage de grêle en juillet 1788 (à Rambouillet, des grêlons de 500 grammes cassent près de 12 000 carreaux au château) cartographié par Buache qui trace deux bandes parallèles du Sud-Ouest vers le Nord-Ouest. Quelques années auparavant, le volcan islandais Laki avait éructé pendant six mois. Dans ce contexte, les hivers des années 1780 sont terribles, une sécheresse sévit dans l’été 1785, suivie de récoltes miraculeuses l’année suivante. Mais en 1787, les pluies empêchent les moissons, le grain pourrit, l’automne inonde le pays, l’hiver et le printemps sont doux et l’été « échaude » les plantes, l’hiver 1788 est glacial (86 jours de gel à Paris), les fleuves englacés avant une débâcle tout aussi catastrophique pour les ponts qui cèdent. Alors que la récolte de 1789 s’annonce bonne, la hausse du prix du pain est fatale à la monarchie.
Des révolutions qui éclatent à la suite de calamités climatiques, il y en a des dizaines. Celle très connue concerne l’Ethiopie qui en 1974, destitue le négus et enterre l’empire éthiopien et le règne millénaire de la dynastie salomonide. Le pays avait payé très cher la famine qui sévit de 1972 à 1974 due à une sécheresse : de 50 000 à 200 000 morts.
Finalement, est-ce si surprenant que les Français soient météophiles ?
[1] Acclimatations (sous la dir. d’Alexis Metzger), Postface de M. de la Soudière, Hermann, 2021.
[2] À voir au Musée de la foudre, à Marcenat (unique en France !).
À lire :
Une interview dans Le Monde de la géographe Magali Reghezza-Zitt.
Acclimatations. Sur le terrain des cultures climatiques (A. Metzger, dir.), Hermann, 2021.
Nous baignons toutes et tous dans une culture météorologique qui nous fait envisager le quotidien de la météo avec un certain regard. Dans ce livre, l’étude des rapports culturels au temps qu’il fait et au(x) climat(s) permet d’interroger les savoirs qui font société. Les pratiques liées à certains phénomènes météorologiques comme la pluie, le vent ou la neige participent-elles d’identités ? Comment se sont tissées ces représentations au cours de l’histoire ? Comment les sociétés appréhendent-elles les saisons ? Ces cultures sont-elles modifiées avec le changement climatique ?
Acclimatons-nous donc aux pluies du Japon ou du Mexique, au soleil de France ou de Palestine, aux saisons des Antilles et des îles Cook, au grand froid du Québec ou encore aux cyclones du Vanuatu ! En croisant les exemples de météores, d’aires géographiques et de disciplines, l’ouvrage nous invite à une approche sensible de la météo. Avec la présentation d’une diversité de savoirs et croyances, ce sont des cultures météorologiques kaléidoscopiques que l’on découvrira.
Sur le blog
« L’eau dans une France bientôt subaride » (Gilles Fumey)
« La France prise aux feux » (Gilles Fumey)
« Les agriculteurs victimes des plaintes et complaintes météo » (Gilles Fumey)
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