Mort à Venise

Venise

Dans toutes les batailles contre le surtourisme qui affecte certains quartiers de Paris, de Lyon, des sites comme les calanques de Marseille, les villes de Colmar, Barcelone, Amsterdam, Bangkok, le cas de Venise est éclairant. Il s’y mène des batailles qui ne sont pas gagnées d’avance. (Gilles Fumey)

Avec 25 millions de touristes sur l’équivalent du bois de Boulogne, Venise est menacée tout bêtement d’engloutissement. Le maire, Luigi Brugnaro, 60 ans, voudrait voir sa ville comme une cité-campus et comme un laboratoire de la transition écologiste. En prend-elle le chemin ?

Avec moins de 50 000 habitants pour le double dans les années 1970, Venise continue de se vider. Les chantiers navals de gondole et les ateliers de verrerie voient leurs effectifs fondre. Comment le maire s’y prend-il ? En se débarrassant d’une image encombrante qui le fait comparer à Berlusconi et qui moque ses soutiens de l’extrême-droite. En réglant ensuite le scandale financier provoqué par le barrage aquatique Mose, qui avait fait chuter l’ancienne municipalité en 2015. En testant le barrage en 2020 qui a, effectivement, protégé la place Saint-Marc de l’acqua alta d’automne. En convainquant Mario Draghi, le premier ministre italien, d’interdire aux navires de croisière l’accès au canal de la Guidecca en août 2021. Et à faire en sorte qu’à Marghera, la cité chimique voisine, les fumées noires aient disparu.

L’Australie dans le bois de Boulogne

Mais la grande bataille n’est pas encore engagée. Car avec l’équivalent en touristes de la population de l’Australie chaque année dans la ville, le maire voudrait tester un péage de 3 à 10 euros par jour, selon la saison, avec réservation obligatoire, comme cela devait être décidé le mois dernier et reporté en janvier 2023. Pour gagner de l’argent ? Ou pour pousser les touristes à réserver leur accès à la ville ? Fils d’une institutrice et d’un « ouvrier poète », Brugnaro veut « favoriser le tourisme de qualité et décourager le tourisme de masse ». L’intelligence artificielle permettrait de régler les flux avec un réseau de 620 caméras de vidéosurveillance confiées à une Smart Control Room gérée par la police. Bien que les données soient garanties « anonymes », on sait déjà identifier le nombre de touristes par nationalité et les lieux où ils se déplacent dans la ville à un instant T.

Le fantasme de la « capitale mondiale de »

Les « anti » craignent que Venise devienne un parc thématique, d’autres les recours juridiques, voire une mesure inutile qui ne freinera pas les entrées. La question est surtout de savoir comment ramener la population en ville. Brugnaro a son idée : puisqu’il y a déjà 12 000 étudiants à Venise, en augmentant la capacité du campus jusqu’à 60 000, on peut orienter le futur de Venise vers l’idée d’une « capitale mondiale de la durabilité » comme en rêvait le président de la région Vénétie, Luca Zaia.

L’autre approche est à une autre échelle : faire de Venise la capitale économique (incluant le port chimique de Marghera) du nord-est de l’Italie, comme Milan en Lombardie ou Turin dans le Piémont. Passer du pétrole à l’hydrogène, aux biocarburants, exploiter les déchets pour en faire de l’énergie, tout cela laisse dubitatifs bien des stratèges de l’innovation, pourtant bien conscients qu’avec la visibilité exceptionnelle de Venise, ils tiennent là une carte maîtresse. Peut-on imaginer que les 50 000 embarcations de la lagune tournent à l’électricité pour faire reculer l’effroyable niveau de pollution ?

En fait, l’interdiction des paquebots de croisière a été décidée pour échapper au déclassement de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Mais depuis le début de 2022, l’inflation des logements Airbnb repart. Et si le péage n’œuvre pas à la neutralité carbone, Venise sera à nouveau exposée à d’autres menaces.

Isabelle Autissier qui vient de publier Le naufrage de Venise (Hazan, 2022) est pour le projet de contenir les visiteurs par l’économique numérique. A-t-elle raison ? Pour l’instant, l’ancien hôpital où Thomas Mann avait vécu en écrivant Mort à Venise, l’Ospedale al Mare sur le Lido, va faire figure de test : il est convoité à la fois par TH Resorts, propriétaire du Club Med, et par CompuGroup Medical, un investisseur allemand souhaitant développer un centre de recherches biomédical.

On verra bien si le Grand Canal, « le seul égout au monde qui donne au badaud l’ivresse d’un appareillage dans les Marquises » comme avait grincé Régis Debray dans Contre Venise (Gallimard, 1995), fera toujours rêver.


Sur le blog

« Sri Lanka, le tourisme est-il dangereux ? » (Gilles Fumey)

« Grimper et courir sur les sommets » (Gilles Fumey)

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« Superyachts et ultrariches : à cause d’eux le déluge » (Renaud Duterme)

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