Les réseaux sociaux ont la blague facile, forme populaire de la culture fondée sur des assonances, allitérations et rimes utilisées largement sur certains médias. Le géographe Roger Brunet avait commenté cette propension aux références drôles et grivoises dans son « Trésor du terroir » (CNRS Éditions, 2016).
La pandémie venue de Chine a inquiété dans un petit canton de l’univers autrichien, entre Graz et Vienne, le village de Sankt-Corona-am-Wechsel, soulagé d’avoir à ce jour échappé au virus. Mais tout d’un coup, le village vient de passer à la lumière.
Certains lieux sur la planète surgissent d’un anonymat à une visibilité mondiale qui, parfois, les submerge. Des villes comme Fukushima, L’Aquila, des lieux comme l’Alcatraz ou encore King’s Landing (Games of Thrones), une petite place dans le Montmartre d’Amélie Poulain, l’île de Jurassic Park à Hawaï, ou aujourd’hui Sankt Corona en Autriche ont leur quart d’heure de gloire.

Le clocher de St. Corona carillonne dans les Alpes autrichiennes.
Ce village d’alpage de 400 habitants vient de sortir de sa torpeur par les réseaux sociaux. Situé à une heure de Vienne, perché à 850 m au pied du mont Kampstein, Sankt Corona sourit de cette notoriété dont il ne sait pas encore ce qu’elle peut lui apporter. Sinon peut-être un jumelage avec des Saint Stéphane (traduction grecque du latin corona) qui sont en abondance sur la planète ?
Que fait ce toponyme en Autriche ? Les historiens des mentalités ont pisté la translation des reliques d’une sainte Corona, née en Égypte ou Syrie vers 160 et morte martyre à l’âge de dix-sept ans. Avec les reliques de saint Victor dont une partie sont à Marseille, celles de Corona sont déposées dans le hameau d’Anzù en Italie du nord, qui fut le premier foyer européen de l’épidémie du Covid-19 en février 2020.
Une probable guérison obtenue en Autriche par invocation de sainte Corona est à l’origine de l’implantation de deux sites alpins. Philanthropos à Fribourg (Suisse) indique qu’elle était invoquée contre les épidémies, en plus des tempêtes et mauvaises récoltes. On ne sait comment elle put bénéficier d’un vitrail au XIVe siècle dans la cathédrale de Strasbourg, la représentant avec manteau, voile et palme du martyre dans la main gauche. Sans doute à la suite d’une épidémie. Et plus tardivement, on la représente une pièce de monnaie dans la main droite tendue à un mendiant. Une allusion aux rituels magiques du XVIIe siècle destinés – faussement – à la recherche de trésors cachés.

St. Corona, défiguré par le tourisme de masse, qui a reconverti ses installations d’hiver en attractions l’été (ici, une «piste» de luge d’été).
On ignore si les comptabilités morbides en cours finiront par désigner un lieu record des morts de la pandémie actuelle. En attendant la belle saison estivale, le village écotouristique de St. Corona-am-Wechsel, très endetté par la ruine de sa station de sports d’hiver, peut-il tirer de son homonymie avec la tragédie coronavirale la même compassion dont bénéficie Fukushima au Japon ? Roger Brunet aime voir les noms de lieux « comme des œuvres humaines, fines, intelligentes, érudites, inventives, imaginatives ». Comme tous les noms de lieux, « ils font rêver ». Ce sont « des ressources, des aubaines », ni plus ni moins.
Roger Brunet, Trésors du terroir. Les noms de lieux de la France, CNRS Éditions, 2016.
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