Sri Lanka (5/5) : Le tourisme est-il dangereux ?

Que faire du désir de l’autre, né en Angleterre au XVIIIe siècle, qui a transformé largement les relations interhumaines ? Comment faire de ce désir de l’ailleurs une vraie rencontre sans atteintes aux populations et à l’environnement dues au tourisme de masse ? (Gilles Fumey)

Ces questions, les fondateurs de l’écotourisme y ont répondu depuis les années 1970. L’écotourisme est né de pratiques touristiques conscientes qu’une rencontre est possible. Oui, on peut échapper au divertissement dénoncé par Pascal[1]. Oui, on peut aller vers l’autre sans être hors-sol, dans des hôtels ou des parcours entre-soi, comme cela se pratique souvent.

A gauche, un versant cultivé en agriculture intensive pour l’exportation ; à droite une forêt analogue, écosystème très riche permettant aux habitants de vivre d’une agriculture et d’une cueillette maîtrisée. (Belipola, Sri Lanka)

Shelley Abeyagoonesekera (dr.) et Claudie Ravel (g.) ont créé Ecolanka pour produire et distribuer des plantes et des produits emblématiques du milieu sri-lankais.

Changer les pratiques sociales du tourisme

Les lieux de l’écotourisme s’inscrivent contre les pratiques de masse. Leur construction respecte l’esthétique des paysages alors que le tourisme industriel veut en « profiter ». L’écotourisme pratique une gestion écologique des déchets, n’utilise que parcimonieusement le bois des forêts tropicales pour l’énergie ou la construction, récupère les eaux grises (savonneuses, de vaisselle) en évitant le tout à l’égout, produit des nourritures sans engrais de synthèse ni pesticides. L’écotourisme veut changer les pratiques sociales : toute initiative écotouristique doit élever le niveau de vie des populations locales pour leurs besoins essentiels, notamment par implication dans les activités touristiques. Les États doivent donner des agréments économiques, pour l’artisanat en évitant les ventes de pacotille venues des pays à bas salaires. Les informations sur les caractères écologiques doivent contrecarrer les publicités sur la vue sauvage, et inciter les touristes à être responsables en respectant un minimum de règles locales.

Car les touristes se comportent souvent comme des consommateurs. Les touristes sont pris dans un engrenage marchand où on tente de satisfaire leurs projections. Une projection nécessaire mais qu’il faut canaliser.

La richesse et la pauvreté, des notions culturelles

Le risque est que l’écotourisme soit une quête de bonne conscience face à la pauvreté. D’abord, qu’est-ce que la pauvreté ? Que répondre sinon que le Sri Lanka a une espérance de vie de plus de 75 ans, supérieure à des pays richissimes comme le Koweït ou l’Arabie Saoudite et non loin des… États-Unis ! Non seulement, la qualité de vie et, en l’occurrence, de l’alimentation y est meilleure, mais cet exemple montre qu’on a des approches culturelles de la pauvreté qui ne peut pas se mesurer que matériellement.

Comment se préserver ?

Au Sri Lanka, on pense souvent que l’idéal est de construire des centres d’accueil hors des villages. Parce que les touristes véhiculent des images qui détruisent les cultures locales. Et pour les très pauvres, le tourisme déclenche l’envie de gagner de l’argent. Il y a toujours un risque de délitement des communautés locales qui vont jusqu’à la perte de l’estime de soi, les populations devenant parfois des mendiants. Jusque dans les années 1980, en Asie du Sud et du Sud-Est, les habitants des villages reçoivent chez eux à bras ouverts, peuvent offrir à boire et à manger. Cette approche de l’hospitalité a disparu au profit d’une culture du commerce. Cette nouvelle culture crée une relation inégale et injuste Quelles conséquences vont avoir les désirs des locaux de s’enrichir par les touristes ? Sait-on à quoi on doit s’attendre en abandonnant un travail pour s’occuper des touristes, le jour où la guerre, les attentats, les catastrophes comme les typhons, séismes, tsunamis, inondations font fuir les visiteurs ?

Pour les écosystèmes, progressivement, se met en place une doxa mondiale. Doit-on conserver des lieux comme les Sentinelles sur l’archipel d’Andaman-et-Nicobar où un Américain voulant pénétrer en terre indienne a été tué ?

L’écotourisme pour le développement social

L’écotourisme peut contribuer à restaurer des écosystèmes, et protéger des cultures locales des effets néfastes de contacts mal maîtrisés entre touristes et locaux.

Au Sri Lanka, Shelley Abeyagoonesekera, ancien professionnel de l’hôtellerie, a constaté les dégâts du tourisme de masse dans les années 1970-80 et s’est allié avec Claudie Ravel, pionnière du commerce équitable, à Maussawa dans la montagne sri-lankaise en l’an 2000. Ils ont pris conscience qu’il fallait faire comprendre aux voyageurs la nécessité de restaurer une forêt sur l’ancienne plantation de thé qu’ils avaient achetée. La restauration de la forêt tropicale décimée par les Anglais est possible grâce au soutien des touristes qui fréquentent les écovillages. Ecolanka restaure une forêt sur des dizaines d’hectares d’une ancienne plantation de thé avec la population du village de Maussawa.

Sri Lanka
L’entretien de la forêt par les villageois (ici Wickramarathna, ethnobotaniste)

Un ethnobotaniste, Wickramarathna, âgé de 75 ans, se met au service du projet et sélectionne les arbres de sa pépinière pour replanter des palmiers kitul mais aussi des légumes anciens, réhabilités soigneusement dans une cuisine d’exception au restaurant de Maussawa. Ainsi, Wickramarathna nourrit les voyageurs de cette diversité au restaurant où l’on peut trouver un livre de recettes. Ainsi, la vocation de Guayapi Paris est de valoriser les produits des terres d’origine, emblématiques pour des peuples autochtones en protégeant ces produits par une commercialisation agréée par un organisme certificateur, FGP (Forest Gardens Products) dont le cahier des charges appartient à l’AFN (réseau international des forêts analogues, fondé par le Sri Lankais Ranil Senanayake).

Il n’y a pas de fatalisme au divertissement pascalien. Les humains dans une vraie rencontre avec les autres humains, c’est possible. Mais il faut repenser la rencontre et l’intégrer dans la démarche d’éducation, de sensibilisation dont le commerce équitable peut être un levier. Des acteurs ont créé l’Association du tourisme équitable et solidaire (ATES), membre d’une plateforme pour le commerce équitable (PFCE) devenue Commerce Equitable France depuis le 1er janvier 2018.


[1] Qui écrivait dans ses Pensées : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre. »


Pour en savoir plus sur Guayapi


Sur le blog :

« Sri Lanka 1/5 : Les voix de la jungle » (Gilles Fumey)

« Sri Lanka 2/5 : Le kitul, édulcorant du futur » (Gilles Fumey)

« Sri Lanka 3/5 : Saveurs et savoirs » (Gilles Fumey)

« Sri Lanka 4/5 : Un pays dévasté par le thé » (Gilles Fumey)


Pour nous suivre sur Facebook : https://fr-fr.facebook.com/geographiesenmouvement/

2 réflexions au sujet de « Sri Lanka (5/5) : Le tourisme est-il dangereux ? »

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