Sauve qui peut ! Revoilà les touristes

Tourisme

Les Parisiens, peu aimés par ceux qui n’habitent pas la capitale, s’étonnent de l’attractivité de leur ville qu’on dit polluée, bruyante, dangereuse, chère… Depuis la Toussaint, les défilés de touristes derrière leurs guides ont repris. Les (bons) restaus sont bondés. Retour d’une catastrophe annoncée ? Pas pour Macron, qui s’improvise Gentil organisateur du tourisme en France. (Gilles Fumey)

On se gratte la tête. D’un côté, Macron-le-grand-leader-qui-s’occupe-de-tout, a convoqué un « sommet » (le mot vaut son pesant d’or) à l’Hôtel de la Marine le 4 novembre. Il a disserté, tel un bon énarque pendant quarante minutes, sur un sujet qu’il s’est lui-même fixé : comment « booster » l’industrie du tourisme ? En commençant par énoncer des chiffres : 7,4% du produit intérieur brut, deux millions d’emplois directs et indirects. Un poids à mettre en rapport avec les 38 milliards d’aides reçues par le secteur qui s’est, pourtant, senti… négligé faute d’avoir un ministre de plein exercice. En fait, le ministre, c’est Macron (entouré de six ministres) qui offrait le matin une réception à l’Elysée et annonçait en dessert, un « plan de reconquête du tourisme » pour la mi-novembre. Pourquoi pas lors du sommet ? Parce que ce raout Destination France était totalement improvisé avec un gouvernement à peine au courant.

Un secteur qui a perdu plus de 200 000 salariés

Il fallait faire mieux que Laurent Fabius, ancien collègue de Macron aux affaires étrangères lors du quinquennat précédent. Lequel avait déjà fixé un objectif de cent millions de visiteurs internationaux par an, record qui se brisa à 90 millions avec la crise du Covid. Des résultats ronflants qui enthousiasmaient les industriels du secteur ne sachant où planter leurs installations en montagne, sur les littoraux, dans les zones humides (un bon touriste a besoin d’eau pour faire trempette avec sa famille), alentour des métropoles (des installations de fête foraine, toboggans et autres joyeusetés sur un modèle imaginé par les Allemands et les Américains). La Compagnie des Alpes, Alliance France Tourisme, Atout France, Pierre & Vacances, Atream, Airbnb, Accor, Expedia Business Services, IHG, Certares, KKR, Royal Caribbean Cruises, Air France-KLM, ADP, etc. ils étaient tous là à demander à Jupiter la recette miracle pour remonter la pente : l’hôtellerie-restauration, un secteur où le travail est perçu comme du bagne, a perdu 237 000 salariés entre février 2020 et février 2021. Cherchez l’erreur.

Center Parcs en quête d’une reconquête

Center Parks

Sébastien Bazin, PDG d’Accor, rêve de trouver de l’argent à investir dans le secteur en voulant « flécher l’épargne des Français vers le secteur touristique. Expedia, TripAdvisor ou encore AirBnb favorisent l’attractivité de la France auprès des étrangers. Mais ce sont les acteurs français, seuls, qui investissent dans les infrastructures et l’accueil des touristes » (Le Figaro, 2/11/21). Accor n’est pourtant pas sans manches à retrousser avec son partenariat pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, sans compter son implication dans la coupe du monde de rugby à XV 2023 (septembre-octobre).

Dans le « plan de reconquête », les professionnels attendent des mesures pour dispatcher les touristes sur l’ensemble du territoire, en évitant la surfréquentation (qu’en pense Anne Hidalgo ?), en « accélérant dans le numérique », en augmentant les dessertes aériennes en régions (en totale contradiction avec l’accord de Paris sur les émissions de gaz à effet de serre), en créant des emplois hôteliers dans les campagnes, en développant les trains de nuit… Tout ça pour « regagner des parts de marché ». Car la France se traine toujours en troisième position après les États-Unis, champions du divertissement, et l’Espagne, qui a une longue expérience du tourisme de masse depuis le franquisme.

Dubaï, modèle de tourisme pour la France ?

Mais voilà. Vue comme une case du Monopoly touristique mondial, la France « recule » face à l’Asie du Sud-Est, au golfe Persique ou aux Balkans. Et la France « championne » est plutôt ivre de statistiques erronées, du fait de sa position géographique entre nord et sud de l’Europe. Mais qu’importe ! Pour lancer des cocoricos, les politiques ont besoin de « records », de classements. Mais dans le tiroir-caisse, la rente est jugée bien pauvre. La faute à l’accueil « défaillant » (Dominique Marcel), à une offre médiocre, des séjours « trop courts », des hots spots (comme l’Ile-de-France) dont il est difficile de sortir les visiteurs… Vue par la sociologie, l’activité touristique est, selon Atout France, jugée insuffisante pour les « millenials » (la génération née entre 1980 et 2000), qui aimeraient plus « faire la fête à Berlin, en Espagne en Croatie ». L’opérateur n’a-t-il pas eu vent des ravages du tourisme de masse à Barcelone ?

Et notre tour operator élyséen, qu’en dit-il ? Il fallait l’entendre faire l’éloge de la France, ses sites, ses paysages (« grandioses, sauvages et colorés » grinçait le géographe Pierre Gentelle qui aimait le deuxième degré), son « art de vivre », ses musées « mondialement connus », son TGV, ses festivals. Notre président philosophait : « En développant la synergie entre l’ensemble de nos atouts, on doit réussir à développer un modèle touristique porteur de beaucoup plus de sens, intégré sur nos territoires, beaucoup plus fin, qui développe des parcours et des expériences beaucoup plus profondes. » A quoi répond l’écho du sous-ministre Jean-Baptiste Lemoyne : « L’offre, l’offre, l’offre. On est dans un monde où les gens recherchent des expériences. »

Le tourisme : inventer des « expériences »

La Grande Motte
La Grande Motte a-t-elle trouvé sa voie ? © Wikipedia

Point faible : l’investissement. Nous voilà au cœur du réacteur nucléaire du tourisme, une activité qui a marqué un recul par rapport aux années folles d’avant-Covid. Voyez-les, ces banques « frileuses » devant des investissements de long terme « pour bâtir de nouveaux concepts » (Pascal Savary, d’Atream). Haro sur les élus locaux qui aiment peu, justement, ces nouveautés…. Comme les populations locales qui freinent les projets par les recours en justice, notamment sur le plan environnemental. Comme l’opinion qui a entendu parler du changement climatique… Les professionnels apparaissent souvent en retard ou décalés. Pensant être dans le vent, ils critiquent les aménagements des années 1970 (exercice très facile avec la « bétonisation » du Languedoc, par exemple), sans prendre la peine de se documenter : on leur recommande l’excellent papier de Thomas Doustaly sur la « vague verte » à la Grande Motte.

Macron va-t-il sortir de son chapeau Stéphane Bern, l’ami de Brigitte, le saltimbanque du patrimoine ? Pour réveiller les vieux manoirs et les châteaux, les églises désormais en déshérence, il n’y en a pas deux comme lui. Les vieux tacots de l’époque du réseau Freycinet vont conduire les vagues de Chinois devant les mairies de nos villages fleuris comme Houellebecq l’avait décrit dans La carte et le territoire. A moins que notre président ne prenne l’occasion de sermonner les entrepreneurs, connus pour leur pingrerie salariale à l’origine des 350 000 postes qui ne trouvent pas preneur ?

« Le tourisme est un poison au-delà d’une faible dose »

« En même temps », on a l’autre plateau de la balance, après l’industrialisation de la filière : le « tourisme durable sur le plan social et environnemental ». Personne ne croit à cette charlatanerie lorsque la France co-organise le sommet mondial WTTC (World Travel and Tourism Council) en invitant les croisiéristes – dont on connaît l’impact très négatif sur les conditions du tourisme – à inventer des circuits dans les territoires d’outre-mer. Les élus râlent face à cette « schizophrénie », tels un Jean Pinard, à la tête du comité du tourisme d’Occitanie, la première région touristique française, qui veut plutôt renforcer l’accueil des nationaux, y compris défavorisés, et ne pas encourager le tourisme international gros émetteur de gaz à effet de serre (Le Monde, 4/11/2021).

On aimerait connaître le taux de remplissage de ces bus qui encombrent les rues de Paris

Sur le site d’un confrère de la presse, les internautes réagissent : « Le tourisme est un poison au-delà d’une faible dose » écrit l’un. Voici un autre qui se moque de l’Insee : « En fait les touristes passent juste par la France. Les seuls qui s’y arrêtent sont les migrants. » Un troisième fait remarquer : « Il y a de quoi se marrer… il y a à peine trois jours, Manu était pour se battre contre la pollution. Aujourd’hui, il met tout en œuvre pour que les touristes reviennent… et ils vont venir comment les Chinois et les Américains, à dos d’âne ? » Un quatrième râle : « On s’en fout du tourisme qui saccage nos espaces, cela fait deux ans qu’il y en a pas et l’on ne s’en porte pas plus mal sauf, bien sûr, les gens qui louaient leurs gites et autres à des prix exorbitants à la semaine pendant six mois et après pouvaient vivre le reste du temps sans travailler. Beaucoup de salariés se sont reconvertis dans d’autre métiers qui manquaient et qui manquent encore de main d’œuvre. Au moins, ce sont des métiers pérennes et qui rémunèrent mieux que le tourisme qui paye ses salariés en dessous du Smic et les loge dans des lieux insalubres pour lesquels ils payent en plus un loyer. »

Sans l’opinion, où va le secteur du tourisme ?


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