Ras-le-bol de l’écologie !

L’écologie est dorénavant partout. Dans les médias et dans les programmes politiques. Dans les discussions de famille et dans les manuels scolaires. Au sein du cadre législatif, dans les négociations internationales sans oublier dans les business plans des entreprises. Et pourtant, malgré quelques progrès par-ci par-là, les choses empirent de jour en jour. Et si l’écologie politique se remettait en question ? (Renaud Duterme)

Comme les hirondelles reviennent chaque printemps, le GIEC publie son nouveau rapport sur les impacts et solutions face au réchauffement climatique. Comme pour les précédents, le ton est, à juste titre, alarmiste et les conclusions imparables : il ne reste que quelques années pour inverser la tendance en termes d’émissions de gaz à effet de serre, sans quoi nous basculerons dans un état d’instabilité climatique catastrophique pour une majeure partie de l’humanité. Face à ce constat, les auteurs du rapport en appellent à une réduction drastique de la consommation d’énergie, en particulier dans les transports, le logement ou encore l’alimentation.

En somme, rien de nouveau sous le soleil. Pire encore, des déclarations d’intentions qui ne parviennent pas à lier ce problème à la nature profonde de notre système économique et des politiques mises en place par la plupart des gouvernements. Car c’est bien de ça qu’il s’agit : prêcher la nécessité de réduire la production et la consommation au sein d’un système, le capitalisme, dont la raison d’être est de produire, et donc de pousser à consommer, toujours plus. En d’autres termes, une incapacité à envisager des solutions qui sortent du cadre dominant, celui d’une économie totalement régie par les lois du marché.

Il va de soi que cette écologie, que l’on peut qualifier de droite, a montré son incapacité à faire face aux défis qui s’annoncent puisque tous les indicateurs (émissions de gaz à effet de serre, effondrement de la biodiversité, artificialisation des sols, surpêche, déforestation, etc.) se dégradent d’année en année malgré les sommets internationaux, rapports scientifiques et autres promesses électorales. Quant aux solutions technologiques tant vantées, elles ont souvent comme effet de dégrader l’environnement sous d’autres latitudes.

Ce constat amer doit nous conduire à promouvoir une véritable écologie de gauche, au sens premier du terme, à savoir un courant de pensée radical remettant en cause la logique profonde du capitalisme et combattant ses effets tels que la surexploitation des écosystèmes et des travailleurs, l’accaparement des richesses et l’explosion des inégalités, tout ceci au sein d’une démocratisation de la sphère politique ET économique.

Sur le terrain, cela devra se traduire par des mesures non seulement écologistes mais avant tout sociales et populaires, c’est-à-dire en améliorant ici et maintenant les conditions de vie d’une majorité, à commencer par les plus précaires.

Réduction du temps de travail, développement de services publics de qualité et de proximité, taxation progressive (des revenus mais aussi de l’électricité et de l’eau consommée, des kilomètres parcourus en avion, de la quantité de déchets produits, etc.), redynamisation des zones rurales, politiques favorisant l’accès à la terre pour des petits agriculteurs, plan de reconversion industrielle pour une série de secteurs inutiles et nuisibles (production d’armes, centres logistiques, etc.), instauration d’un secteur bancaire public ayant comme priorité le financement d’initiatives locales.

Bref, une politique globale cohérente sortant les aspects fondamentaux de nos vies de la logique marchande et constituant une base solide pour une transformation radicale de nos sociétés.

La tâche est immense, admettons-le. Mais elle constitue le seul horizon souhaitable pour faire face à des ruptures déjà présentes et qui sont amenées à s’amplifier (évènements climatiques extrêmes, problème d’approvisionnement de biens industriels, coûts de l’énergie, pénuries alimentaires, tensions sociales, etc.).

Et pour ceux se sentant dépassés par l’ampleur du chantier, un préalable est de tirer d’ores et déjà le frein d’urgence en combattant des politiques déjà à l’œuvre (ou en passe de l’être) et en totale contradiction avec les préconisations du GIEC énoncées ci-dessus.

Privatisation et dégradation rampante du secteur ferroviaire accentuant la dépendance à la voiture, en particulier dans les zones rurales. Signature d’accords de libre-échange mettant nos agriculteurs en concurrence avec le monde entier. Liberté des mouvements de capitaux rendant nos territoires dépendants des desideratas des grands groupes internationaux. Numérisation de l’ensemble de la société avec augmentation de la consommation d’électricité et perte de lien social à la clé. Casse dans nos systèmes de solidarité publics accentuant la précarité de millions de personnes par conséquent moins mobilisables sur des questions environnementales souvent éloignées de préoccupations quotidiennes plus urgentes (se chauffer et se déplacer à moindre coût, faire ses courses en dépensant moins, etc.). Gentrification des centres-villes poussant des milliers de personnes à vivre éloignées de leur lieu de travail. Concentration de l’activité économique et spécialisation des territoires entraînant une multiplication de déplacements de marchandises et de personnes. Bref, des politiques accentuant l’emprise de la logique marchande sur nos quotidiens, avec des impacts désastreux non seulement en termes environnementaux mais aussi sociaux.

Il est donc urgent que l’écologie dominante sorte de ses tendances culpabilisatrices et de ses préconisations stériles (interdiction de la chasse, limitation de la vitesse sur autoroutes, installation d’éoliennes, injonctions à changer nos comportements individuels, etc.) aux antipodes des préoccupations quotidiennes d’une majorité. Urgent qu’elle se reconnecte avec les réalités vécues par cette majorité et développe enfin des outils de conscientisation au service des classes populaires et des luttes en cours et à venir. Sans quoi elle continuera à rester cloisonnée dans des cénacles militants et universitaires et continuera à perdre toute crédibilité auprès de populations qui ont pourtant tout à perdre dans la poursuite du business as usual promu par la plupart des partis dominants.

L’écologie sera sociale ou ne sera pas…


Ce texte est à l’origine une tribune publiée dans Marianne le 11 avril 2022.


Pour aller plus loin

Renaud Duterme, Nos mythologies écologiques, Les liens qui libèrent, 2022.


À lire sur le blog

« Relocaliser, oui mais comment ? » (Renaud Duterme)

« Bruno Latour, écologie du vide » (Manouk Borzakian)


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