Slow Cheese 2021 : stop au hold-up fromager (3)

Fromages sentinelles Slow Food
Les fromages sentinelles Slow Food en France

L’autre patrie du fromage, l’Italie, n’est pas sous la coupe d’industriels qui commettent, en France un permanent hold-up sur les fromages. Mais des paysans héroïques sauvent des races et des goûts en perdition. Exemples : le camembert et la brousse du Rove. (Gilles Fumey)

La France compte des héros dans l’élevage pour une alimentation de qualité. Ils sont aidés par Slow Food qui protège les produits et les races d’élevage menacés de disparition. Des militants qui n’acceptent pas la confiscation des productions locales par l’industrie et sa complice, la grande distribution. Les jeunes producteurs protestent contre les cahiers des charges des AOP évoluant vers des process industriels pour parvenir à des fabrications plus importantes et moins chères. « Même avec du lait cru, il est possible de faire de mauvais fromages ! » s’emportaient-ils, l’autre jour à Bra au Slow Cheese, manifestation mondiale pour les fromages de qualité.

Ils sont Normands et ont vu la pieuvre industrielle envahir le bocage du pays d’Auge. En 2018, Christophe Lançon et Nicolas Floret, slowfoodiens de la première heure, sont convaincus par Patrick Mercier de fonder une association qui aiderait des jeunes à créer des fermes produisant des camemberts selon une recette de 1960 laborieusement conservée à la ferme du Champ Secret (de P. Mercier).

Pour Nicolas Floret qui fait le bilan du Covid en septembre 2021, les productions artisanales ont souffert de l’arrêt des ventes, qui redémarrent néanmoins grâce aux plates-formes de développement local. Avec les six sentinelles Slow Food (carte), ces productions fermières (distinctes des AOP) ne sont pas touchées car leurs productions sont très faibles : pour le camembert, cela représente 100 tonnes par an contre 60 000 tonnes industrielles. Une paille mais qui a son prix.

Le lait cru est protégé par la Fondation pour la biodiversité fromagère, qui vient d’être créée avec un collège d’institutions dont Slow Food. L’université de Caen y aide les producteurs à aller vers « plus de naturel », avec des ferments locaux. Les ferments fermiers de Fromages naturels sont soutenus par l’association Brousse du Rove. Pour renforcer la communauté, il est prévu notamment la sortie de l’AOP. Même mouvement que dans le vin, lorsque le travail de l’INAO n’est plus jugé satisfaisant.

Dans le Midi provençal

Pour François Borel, qui défend avec son collectif la Brousse du Rove, du nom d’un fromage frais à la forme conique (photo) rappelant initialement les cornes de bélier qui servaient de contenant, « il faut remercier Slow Food d’aider les autres sentinelles, dont le Fromage d’estive des Pyrénées béarnaises, à créer d’autres communautés de protection des fromages ».

Rove
La mythique race du Rove, doublement millénaire

Car François Borel, avec la Brousse du Rove créée en 2007 et reconnue en 2017, revient de loin. Dans les années 1980, la brucellose avait éliminé tant de chèvres qu’avec moins de 2000 mères, la race Chèvre du Rove était menacée d’extinction. Cette race mixte accompagne depuis plus de deux mille ans les troupeaux de brebis transhumants. 2000 brebis pouvaient être accompagnées d’une centaine de chèvres, valorisant ainsi les régions arides dans le massif de l’Étoile, autour de Nerthe, de Septème, Simiane, Mimet et jusque dans le Vaucluse. S’il arrivait qu’en montagne, les troupeaux soient surpris par la neige fin août, les brebis, bloquées, bénéficient de l’ouverture d’un chemin par les chèvres.

La brucellose a conduit à une campagne d’abattage des Rove dans les années 1970. Trois bergers militants ont sauvé quelques spécimens dans la montagne du Lubéron, constituant une souche qui a préservé la race. L’association des saveurs de la race dans les années 1980 a œuvré à la reconstitution d’un troupeau, au moment où il s’avérait que la brucellose était transmise par les brebis et non les chèvres. La remontée dans les Alpes a été lente mais sûre, parce que la notoriété du fromage est excellente, surtout à Marseille où l’on se fiche comme d’une guigne que les deux tiers de la production ne correspondent pas au cahier des charges de l’AOP. Du reste, la valorisation du lait en yaourt a été stimulée par une très bonne valorisation.

Les sept éleveurs à protéger la Brousse au départ se sont multipliés. Leur combat désormais est de montrer comment l’AOP uniformise le fromage, pourquoi l’INAO renâcle à protéger la Brousse du Rove comme les éleveurs fromagers l’entendent. Il a fallu onze ans de combat pour obtenir un label accepté par l’INAO, notamment en interdisant certains aliments, en imposant aux éleveurs de sortir les animaux tous les jours dans les collines provençales pour conserver la typicité du produit. Un combat qui permet d’interdire les cultures d’irrigation dans ces collines de Pagnol et de maintenir un système de production très extensif. Les caprins, lignivores, sont adaptés à la garrigue et ses genêts et ajoncs (argelas ou Genista scorpius) et autre plantes et arbustes (chêne kermès, Quercus coccifera), thym et romarin, à la hauteur de bouche de ces arbustes dont ils raffolent des écorces. Pour limiter l’érosion de la rusticité, l’insémination artificielle est interdite, permettant ainsi de conserver la diversité des caractères génétiques.

Superbe reportage de France 5 chez Luc Falco à Cuges-les-Pins © TV5MONDE

Au début des années 2000, la production a explosé dans les villages autour de la capitale phocéenne. Malgré les portes fermées aux artisans qui ne peuvent pas se défendre seuls devant les ministères, chambres d’agriculture locales, Slow Food grâce à ses ateliers du goût ainsi que Julien Lassalle à l’INAO, créateur de l’Ossau Iraty, ont œuvré pour sauver ce fromage. Toute la question des éleveurs est d’éviter de se faire voler cette précieuse Brousse. En s’autofinançant, en organisant eux-mêmes la gestion de l’AOP, en interdisant à d’autres bergers d’être membres de l’association pour éviter les tentatives d’entrisme. Les membres de l’association n’acceptent aucun concours pour éviter la désunion, Slow Food ayant attribué le « prix de la résistance fromagère » 2021 décerné par Slow Food Italie à l’association. Le combat actuel : installer le plus de jeunes fermiers, en accédant au foncier.

Bonne chance dans votre combat, les artistes fromagers !


– Ecouter Mayalen Zubillaga sur France Culture

– Lire Mayalen Zubillaga, Brousse du Rove. L’appel des collines. Photographies de V. Augier et M. Zubillaga, Ed. de l’Epure.


Slow Cheese 2021, épisode 1/3: « Quand le lait saute vers l’éternité » (Gilles Fumey)

Slow Cheese 2021, épisode 2/3: « Les sortilèges du goût du fromage » (Gilles Fumey)


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