Cinq usines, bientôt huit, qui vont affamer les Sénégalais privés de leurs ressources halieutiques. Le combat d’une association suivie par CCFD-Terre solidaire pour tenter de freiner la surpêche côtière à l’origine, notamment, du drame des migrations récentes vers les Canaries.
Mangez du poisson, clament les nutritionnistes. Pas si simple, lorsque les réserves s’épuisent et que la surpêche menace encore plus l’extinction de nombreuses espèces. Comme certains Européens s’étonnent de projets industriels dans leur région (bulle tropicale, équipement touristique surdimensionné, aéroport, etc.), les Africains se révoltent contre la confiscation de leurs terres, leurs forêts, leurs zones de pêche. Les Chinois, Européens, Russes montent des usines sur les côtes poissonneuses au large du Sénégal et du Pérou pour fabriquer des farines de poisson destinées à l’aquaculture qui connaît un grand boom. Mangeurs de bars, de saumons, vous affamez les pauvres à l’autre bout de la chaîne halieutique.

Ces sacs de farine de poisson à Kayar (Nord de Dakar) proviennent d’une usine qui a transformé des sardinelles (espèce menacée) en farine pour nourrir nos poissons d’élevage en Europe et en Chine.
Une politique criminelle
C’était pourtant l’euphorie. Les usines transformaient les déchets de la transformation des produits de la mer alors qu’en réalité, elles achètent du poisson aux pêcheurs qui ne vendent plus aux Sénégalaises gagnant leur vie aussi en transformant les poissons. Seynabou Sene qui pilote un GIE de 350 transformatrices depuis trente ans raconte à Julie Marchand[1] : «Avant, nous n’avions pas assez de claies de séchage, tant la ressource était importante. Aujourd’hui, nos claies sont vides, même pendant la saison de pêche. Depuis 2010, quatre usines étrangères se sont implantées à Kayar pour transformer, congeler et exporter le poisson hors d’Afrique, mais elles créent peu d’emploi. Et nous sommes obligées de payer le poisson plus cher, car les usines d’exportation l’achètent à un meilleur prix que nous. Si l’usine de farine de poisson ouvre, les prix vont exploser».
600 000 personnes qui vivent de la pêche sont menacées par ces décisions soutenues par les autorités. Alors que tout est possible pour préserver la ressource avec les aires marines protégées (AMP). «En huit ans, nous sommes passés de 49 à 79 espèces de poissons, grâce à la création de l’aire marine protégée de Joal» explique Karim Sall, président d’une AMP à CCFD-Terre solidaire.
Hélas, tout ceci est menacé par les usines des pays riches qui vont affamer les Sénégalais dont certains fuient déjà vers les Canaries pour éviter la famine.
Car la surpêche, cela signifie que les petits pélagiques, surtout les sardinelles, sont transformés en farine et vont manquer aux Sénégalais. Avec des taux de rendements dévastateurs : «il faut 3 à 5 kg de sardinelles, déjà surexploitées, pour produire un kilo de farine» pour nourrir des poissons d’élevage en Europe ou en Chine. Et que dire de la pollution de l’eau sortie des usines…
Que faire ?
Pour Didier Gascuel (Ecologie marine, Agrocampus, Rennes), il faut choisir les poissons sauvages, local et selon les saisons, de bonne taille, en diversifiant les espèces. En sachant que le poisson bio nécessite des farines… Il faut réduire notre consommation de produits de la mer à 8 kg/an selon la FAO (nous sommes à 20 kg actuellement).
L’Adepa (Association ouest-africaine pour le développement de la pêche artisanale) mobilise les Sénégalais, les politiques, demande des informations sur les installations d’usines. Elle a obtenu que les pêcheurs puissent être reconnus comme experts dans la gestion des aires marines protégées. Un autre collectif, Taxaw Kayar (Debout pour Kayar) au nord de Dakar a obtenu que le démarrage d’une usine de farine de poisson espagnole soit suspendu. Mor Mbengue raconte à Julie Marchand comment le promoteur a été soutenu par le maire, dans la vente des parcelles. Réparation des pirogues, distribution d’argent aux pêcheurs, vente des poissons à l’usine, terrain de foot, dispensaire, tous les moyens sont bons. Mais la ressource va diminuer, les emplois vont disparaître. D’autant que l’Etat fournit des moteurs qui accroissent l’épuisement de la ressource. Pire, l’implantation de l’usine est contraire au code de la pêche et de l’environnement.
Le port de Kafountine au Sénégal est le décor d’une grande partie de l’activité économique de la Casamance. On y observe un spectacle bouillonnant: hommes, femmes et enfants se côtoient dans un cadre qui semble chaotique et qui, malgré la complexité des rapports sociaux parfois conflictuels, fonctionne de manière parfaitement organisée. Des milliers de personnes de toute l’Afrique de l’ouest convergent sur cette côte pour y trouver des moyens de vivre ou de survivre dans des conditions de travail très rudes, en mer comme dans la fumée des fours. Face à une concurrence extérieure de plus en plus forte, ces femmes et ces hommes résistent en contribuant grâce à leur labeur à la sécurité alimentaire de nombreux pays africains. Mais pour combien de temps encore? Que vont devenir ces travailleurs et ces populations si les rumeurs sur l’installation d’usines de farines de poisson se concrétisent?

Le Pérou et le Sénégal sont les deux pays lointains visés par la Chine (et l’Europe), avide de protéines animales. Source de la carte : Faim et développement, n°313. Juin 2020.
[1] La sécurité alimentaire menacée par les farines de poisson, Faim et développement, CCFD, n°313, juin 2020, p. 4-7.
Abonnez-vous à Faim et développement CCFD-Terre Solidaire
Pour nous suivre sur Facebook: https://www.facebook.com/geographiesenmouvement