En 2017, le Parlement néozélandais reconnaît le Whanganui, un fleuve local, comme personne vivante et indivisible. Il devient un acteur du droit et il entre dans les relations humaines. Est-il possible d’imaginer que le Doubs pollué notamment par l’agriculture puisse demander des comptes? Éléments de réponse avec Être la rivière, de Sacha Bourgeois-Gironde.
Dans les remises en cause du capitalocène, l’une des premières attitudes à voir envers la nature – et les rivières en particulier –, c’est de ne pas les voir comme une ressource «mais comme des personnes envers qui il convient de maintenir des égards attendus», selon Sacha Bourgeois-Gironde. Aujourd’hui, en Nouvelle-Zélande, on enseigne les rivières non pas seulement en géographie mais dans les facs… de droit. Car le 14 février 2017, le fleuve Whanganui est reconnu comme un sujet de droit par le Parlement[1]. Les Maoris ont gagné : « Je suis la rivière et la rivière est moi ».
Certaines rivières en France sont dans un état très critique. Les associations de défense de l’environnement ne savent pas comment alerter les politiques pour que les bonnes décisions soient prises. La santé écologique du Doubs et des rivières de son bassin versant, comme la Loue, est si dégradée que Jean-Luc Mélenchon s’est déplacé dans la région pour se faire expliquer la catastrophe à venir. Un reportage a été tourné et diffusé ci-dessous.

Le Whanganui (Nouvelle-Zélande) 290 kilomètres.
Pendant ce temps, ça bouge dans d’autres régions du monde. Depuis 1873, les Aborigènes néo-zélandais se battaient pour que leur rivière ait le statut d’une personne juridique. Désormais que c’est chose faite, pour le chercheur Sacha Bourgeois-Gironde (université Paris-II, ENS), cet événement juridique donne de voir les rivières comme un «anti-cogito», comme des outils de relation. Les humains deviennent partenaires d’un environnement partagé avec la rivière, la forêt. La rivière devient un acteur du droit, «elle entre dans les relations humaines».
Décoloniser les rivières
Pour autant, une rivière peut-elle être un bien public ? Ce qu’on appelle un commun ? Une personne morale ? En Nouvelle-Zélande, les Maoris, représentants de la rivière peuvent l’accompagner au tribunal. Dans la cosmogonie maorie, la rivière est considérée comme un membre de la famille, un ancien, voire un médecin. Les Maoris s’identifient à elle parce qu’ils imaginent qu’elle les enveloppe dans son être et, aussi bien la vallée, le bush, les poissons notamment des thons. Les groupes humains qui habitent la vallée pratiquent des travaux collectifs comme les maisons communales, les exercices militaires, l’entretien horticole, la pêche saisonnière.
La mythologie explique cette faculté unificatrice de la rivière, par les actions d’une femme, appelée Ruaka, qui alloue à ses enfants l’amont, le centre et l’aval. Les Maoris se considèrent comme reliés à l’ensemble de leur environnement naturel par des liens de parenté qui ne nécessitent même pas l’usage d’un droit de propriété, tant l’association est profonde et intime. On imagine le traumatisme causé par la construction d’un barrage et d’une centrale électrique à la fin des années 1960. Pour mener à bien les conséquences de la loi reconnaissant la rivière, il a fallu abolir les droits de propriété de la Couronne sur les parties publiques de la rivière. Son terrain est libre de droits et les principes institutionnels sont guidés par des valeurs et la reconnaissance d’une antériorité des usages.
Comment penser la rivière ?
Comment la nommer ? Sacha Bourgeois-Gironde pose la question du genre comme on pourrait la poser dans la montagne du Jura : pourquoi le Doubs, la Loue ? La rivière néo-zéandaise n’est féminine que dans la mesure où elle jaillit de la terre. On n’ira pas jusqu’à voir en elle une idole comme c’est le cas au Tamil Nadu. Va-t-on utiliser les catégories de l’ontologie occidentale comme celle des « personnes » ? Sacha Bourgeois-Gironde recourt à une analyse toponymique et, mieux, topophilique, la topophilie telle qu’elle a été définie par Yi-Fu Tuan comme expérience affective, intellectuelle, associative d’un lieu, le tout formant un complexe mental multi-dimensionnel entre les personnes et leurs environnements.
La France comme l’Equateur ou la Bolivie reconnaissent des droits à la nature qui viennent après les droits de l’homme (1789) et les droits économiques et sociaux (1946). Ce sont des droits de solidarité visant à reconnaître ceux des générations futures comme lors des COP. Le fleuve Whanganui est l’une des étapes les plus sûres dans l’histoire de l’écologie contemporaine. Il reste à d’autres régions du monde de se saisir de ces questions avec cette avancée néo-zélandaise.
[1] Le texte qui définit cette reconnaissance est le Te Awa Tupua.
Sacha Bourgeois-Gironde, Être la rivière, PUF, 2020.
Suivre le beau travail de cette association SOS Loue et rivières comtoises
Un autre texte de Gilles Fumey sur le Doubs (Libération, 15 août 2013)
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