
À Turin, Terra Madre Salon du goût s’est tenu du 22 au 24 septembre 2022. Une nouvelle étape pour le mouvement fondé par Carlo Petrini qui passe la main à une nouvelle (et très jeune) génération. Un nouveau départ pour cette association mondiale trentenaire. (Gilles Fumey)
Slow Food a vécu son retour après deux années de Covid sur la scène turinoise où est né le mouvement en 1989 avec Carlo Petrini s’opposant aux fasts foods américains à Rome. Un millésime 2022 pour Terra Madre, le rassemblement des communautés de ce mouvement mondial implanté dans 130 pays, où plus de 3000 représentants du mouvement étaient présents, un millésime donc, à marquer d’une pierre pour deux grandes raisons.
La première est le changement de direction. La génération des trentenaires investit le pilotage de Slow Food, autant de femmes que d’hommes, et beaucoup d’international (Japon, Ouganda, Mexique, Etats-Unis) et d’expérience. Le fondateur Carlo Petrini était italien, le président nouvellement élu, Edward Mukiibi, est ougandais. Pour les 350 000 visiteurs reçus au Parco Dora de Turin, une ancienne friche industrielle, il a mis, d’emblée, la barre très haut avec des exploitants, chefs cuisiniers, producteurs, militants et experts (le tout à mettre au féminin), réunis à Turin en les invitant à agir sur le système alimentaire actuel.
Pour la deuxième raison, après la pandémie, Slow Food a insisté sur la « RégénérAction », un mot-valise évoquant la capacité à agir pour régénérer le système alimentaire détraqué par l’industrialisation et la marchandisation à outrance. « Les communautés locales qui prospèrent grâce à la production d’aliments bons, propres et justes sont venues témoigner de la résilience des cultures et des races animales biodiverses face au changement climatique et de leur capacité à instaurer une justice sociale. En d’autres termes, la possibilité d’assurer un avenir vivable pour les générations futures. En tant que mouvement alimentaire mondial, nous quittons Turin avec une force et une détermination renouvelées. En tant que président de Slow Food, j’en suis extrêmement fier » a souligné Edward Mukiibi.
Marta Messa, secrétaire générale du mouvement en poste à Bruxelles, a, pour sa part, insisté sur l’éducation vers les plus petits des mangeurs, mais aussi pour tous, en citant l’Académie des jeunes au Kenya, les parcours de formation initiés par Slow Food. Pour elle, « les prochaines années seront marquées par cette régénération, car on a dépassé la stigmatisation, et on ne travaille pas que sur la ‘bonne bouffe’ mais aussi sur la junk food. Il faut travailler avec ceux qui veulent changer les choses, qui voient l’alimentation comme un facteur de paix et de justice ».
La régénération des systèmes alimentaires passe par une farouche défense de la biodiversité. Chez Slow Food, des milliers de producteurs désignent des produits « sentinelles » en voie de disparition. Une situation d’autant plus urgente pour Marta Messa que « deux grandes multinationales assurent 40% de l’alimentation mondiale ! »

Terra Madre 2022 a donné la parole à de nombreuses femmes dont Dai Nolasco Cruz : « Le réseau mondial de Terra Madre représente la puissance concrète du collectif. En tant que femme autochtone Nahua, faire entendre les voix et faire connaître les luttes invisibles des peuples autochtones est crucial pour atteindre la durabilité alimentaire et la justice » a plaidé Mme Cruz, membre du conseil de Slow Food. Fournir des outils pour autonomiser les communautés agricoles et les connecter au consommateur est crucial pour atteindre des systèmes alimentaires durables. « Les systèmes participatifs de garantie (SPG) et la blockchain, par exemple, sont des facteurs déterminants du changement : un SPG s’appuie sur la participation de ses membres et sur une base de confiance, de réseaux communautaires et d’échange de savoirs. La Blockchain est un système de traçabilité permettant d’enregistrer de manière sécurisée chaque étape d’un processus de production. SPG et Blockchain combinent le meilleur des relations de confiance à l’innovation technologique au service des communautés locales et des individus, pas des multinationales. Pour les exploitants venus à Terra Madre, faire partie d’une communauté et profiter d’outils comme le SPG a changé leur vie, leur a permis de gagner de l’influence et de profiter nouvelles possibilités. De nouvelles possibilités, c’est l’assurance d’un meilleur niveau de vie pour les communautés locales et les familles. »
Parmi les centaines d’événements organisés à Terra Madre Salon du goût, de nombreuses rencontres ont eu lieu avec des Ukrainiens. Katerina Tarasenko, éleveuse en montagne, a parlé des affres de la guerre pour ceux et celles qui doivent déplacer leurs troupeaux, si possible hors des champs de combat, en les conduisant notamment dans les montagnes. Elle doit s’assurer que les chèvres de sa ferme auront à manger lorsque la neige va (bientôt) tomber et chercher de l’aide, sachant que les jeunes gens ont été réquisitionnés par l’armée. L’absence de touristes aggrave la situation et pousse Slow Food à envisager une aide substantielle pour les producteurs de ce pays. Des ateliers ont eu lieu aussi pour mettre au point des actions visant à dénoncer l’usage des pesticides et les nouvelles générations d’OGM qui arrivent dans l’agronomie biotechnologique, des rencontres sur les nouvelles certifications, les réseaux de pêche durable, la surveillance des céréales anciennes, les héritages des territoires indigènes au Brésil, l’éducation en Éthiopie, la redécouverte de l’ajara en Bolivie, la cuisine saisonnière des fleurs, le rôle du café dans la « régénéraction » menée par les étudiants de l’université des Sciences gastronomiques, la justice environnementale, etc. Des dizaines d’ateliers du goût ont permis de découvrir des vins, des fromages, des produits d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine.
Autre plaidoyer, celui de Nina Wolff, également membre du conseil de Slow Food et présidente de Slow Food Germany, qui a expliqué :« Pendant que l’assemblée générale de l’ONU discute des principaux défis que le monde affronte, Slow Food demande aux institutions et aux décideurs d’écouter nos voix : les solutions pour l’humanité ne viendront pas d’une approche dirigiste, mais d’un réseau de communautés locales renforcé et du soutien de leurs connaissances, expérience et capacité à innover. Terra Madre a rassemblé des praticiens et décideurs européens et mis en avant l’expertise d’exploitants et de vétérinaires, rassemblés autour du document de position de Slow Food sur le bien-être animal. Leur expérience sera ainsi prise en compte pour la rédaction par la Commission européenne d’une règlementation sur ce sujet. Et ce n’est qu’un seul exemple de l’impact de notre travail de sensibilisation » a-t-elle conclu.
Pour toutes ces raisons, « la nourriture a besoin d’une approche holistique et non pas être réduite à ses approches économiques et ludique » plaidait Carlo Petrini, mais aussi politique, qui tient au fait qu’on choisit un modèle alimentaire lorsqu’on mange. Une conception de la restauration qui a inspiré Florent Piard, fondateur du restaurant engagé Les Résistants à Paris. Florent a rejoint l’Alliance des cuisiniers qui veut défendre une autre alimentation que celle de l’industrie agro-alimentaire. D’une autre manière, Mathieu Joselzon, fondateur de l’épicerie Ciao Gusto (80 petits producteurs italiens vendus en France) défend des produits sourcés qui échappent à l’industrialisation de l’agriculture. Deux démarches parmi d’autres des impacts du mouvement Slow Food.

Sitôt rentrés à Paris, les membres de l’antenne parisienne « Slow Food Paris Terroirs du Monde » accueillaient Barbara Massaad, présidente très active de Slow Food Beyrouth et cheffe auteure de nombreux livres. Elle a pu faire découvrir aux Parisiens la variété des produits et des savoir-faire de la cuisine libanaise, lors de deux diners collaboratifs au profit de la banque alimentaire libanaise.
À Tours, le convivium prépare un salon des fromages pour cet automne, organisé par Fromages naturels de France avec Nicolas Floret, les 25 et 26 novembre 2022.
À Paris, Claudie Ravel et Bastien Beaufort sont toujours d’ardents défenseurs des produits de leurs terroirs amazonien et sri-lankais chez Guayapi.
Ainsi va la grande Arche qu’est Slow Food. Peu connue en France, elle compte des fidèles qui y ont découvert de solides amarres pour amorcer leur mue alimentaire, pour militer dans ce grand mouvement de transformation radicale de notre alimentation que le changement climatique impose dans les années qui viennent.
Pour aller plus loin, ce 9 octobre, Fermes d’avenir passe sur les écrans un film : https://fermesdavenir.org/
Sur le blog
« Terra Madre 2022 : un long combat pour une Slow Food » (Gilles Fumey)
« Slow Cheese 2021 : quand le lait saute vers l’éternité » (Gilles Fumey)
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