Sale Tour de France

Tour de France

On aime le Tour de France, ses 11 millions de spectateurs in situ (en 2019) et on salue aussi le courage de Grégory Doucet stigmatisant le caractère polluant de l’événement. Une tache qui s’ajoute à celle du dopage quand le Tour démarre ce 1er juillet à Copenhague, où l’ancien vainqueur 1996 rappelle la triche à peine masquée. (Gilles Fumey)

Dans la bronca que suscitaient les réserves du maire écologiste de Lyon Grégory Doucet, s’interrogeant en 2020 sur l’empreinte écologique du Tour de France, les internautes évoquaient beaucoup le caractère « populaire »(1) et « gratuit » qui rend le Tour de France intouchable. Populaire, soit, mais gratuit ? Doucet lui-même se demandait dans Le Progrès : « Combien de véhicules à moteur thermique circulent pour faire courir ces coureurs à vélo ? Combien de déchets engendrés ? [Il n’est] plus acceptable d’avoir des grandes manifestations sportives dont la première priorité n’est pas de se poser la question de leur empreinte. »  L’année suivante, le Tour de France revendiquait 85 % des véhicules à motorisations alternatives (hybrides et électriques). L’objectif pour 2024 c’est une caravane 100% sans émission pour les véhicules suiveurs. Merci qui ?

En 1952. Pour la promotion de la marque Calor. Source

Le financement du Tour a été imaginé à l’époque de l’invention de la publicité. En 1930, Henri Desgrange invente une « caravane ». On y a vu une Joséphine Baker promouvoir en pagne la banane française. Yvette Horner a prêté sa personne pour les marques Calor (sèche-cheveux) et Suze entre deux morceaux d’accordéon dans les années 1950. On y a entendu Trenet, Tino Rossi, Anny Cordy. On a échappé à la mère Denis.

30 tonnes de déchets par jour

Après le passage du Tour à l’Alpe d’Huez, 2015 Source

Depuis les années 1970, la mode du jetable – littéralement – a chassé les vedettes. Tous les gamins postés au bord des routes attrapent au vol stylos, casquettes, maillots et pacotille venue de Chine, madeleines, bonbons et mini-saucissons venus d’on ne sait quelle usine de junk food. La moindre commune qui accueille le Tour ramasse en moyenne vingt tonnes de déchets. Les écologistes estiment aussi les déplacements de personnels, équipes et suiveurs, ainsi que les publics à plusieurs millions de personnes qui sont devant et derrière les cyclistes sur des véhicules motorisés.

Qu’en pense Amaury Sport organisation (ASO) ? Son argument : « ASO est locataire et non propriétaire des lieux traversés. ASO met tout en place pour que les lieux soient aussi propres en partant qu’en arrivant. »

18 millions de goodies

Les 176 coureurs méritent-ils une telle gabegie sur 3000 kilomètres ? Est-il bien nécessaire que traînent 1500 bus, camions, autos et motos ? Rien que la caravane publicitaire, c’est 160 véhicules qui vont jeter 18 millions de goodies…

L’itinéraire est jalonné de zones de ravitaillement où les coureurs se lestent de leurs emballages. Les moteurs doivent être coupés (si l’arrêt dépasse la minute), la vitesse est plafonnée. Les objets ne peuvent plus être jetés quand la caravane passe à côté d’un cours d’eau. Et des sacs poubelles devraient être accessibles à tous, ce qui est loin d’être le cas.

Cas édifiant des salles de presse, rapporté par Christian Lecomte (2), où transitent en 2018 près de 400 journalistes. Pas ou peu de sacs. Certains soirs, « les 2000 copies presse ne bénéficient d’aucun recyclage. Ces feuilles distribuées après chaque étape aux journalistes présents fournissent les classements de l’étape, du général, du maillot vert, du maillot blanc, etc. ». D’après Docapost qui photocopie les documents, ce sont 2,5 tonnes de papier chaque année (en 2012, près du double). En 2022, espérons, avec le numérique : 0.

Côté personnel, Le Temps (3) raconte le cas de Sélosse, Lilloise de 20 ans sur le char Senseo : « On se lève vers 5 ou 6 heures, on se couche vers 22 heures, on est payés 14,50 euros l’heure mais l’hôtel et les repas sont pris en charge et on découvre la France. » Avec une angoisse, la pause pipi : un seul arrêt de deux minutes (soulagement dans la nature ou chez l’habitant). Et une frustration : ne rien voir de la course qu’on précède d’environ deux heures.

Il est grand temps de répéter au Tour de France qu’on a changé d’époque.


(1) « En toile de fond reste cette problématique de préserver la dimension populaire de la Grande Boucle, rendez-vous familial et gratuit de l’été. Peut-on imaginer un Tour sans sa caravane – présente depuis 1930 – ou ses camping-caristes installés depuis des jours en haut des cols ? Cette tradition peut sembler anachronique, tant elle semble ancrée dans une société de consommation de masse dont le modèle est remis en question.Une étude menée à l’occasion du centenaire du Tour en 2013 révélait toutefois que 47 % des gens qui viennent sur le bord des routes lors d’une étape le font en priorité pour voir passer le défilé publicitaire. » (Le Monde, 7/7/2021)

(2) « La mobilité pas si douce d’un Tour de France à vélo », Le Temps, 21 juillet 2018.

(3) 19 juillet 2018.


Sur le vélo, Gilles Fumey a publié

Libération : Les frontières mouvantes du Tour de France

Annales de géographie : Le Tour de France ou le vélo géographique

Le Monde : « Faire du vélo, c’est prendre la géographie à bras-le-corps »

Libération : Grillons les feux rouges !

Un café géo sur le vélo : Du vélo à la bicyclette, du Tour de France aux
circulations urbaines : le « deux roues » entre sport et
transport ?


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