Le Nucléaire sans débat

Nucléaire, stop ou encore?

Où est le débat public sérieux sur l’avenir du nucléaire ? Stop ou encore ? Telle est la question qui engage les générations futures. Une enquête remarquable et sans concession expose faits et enjeux. (Gilles Fumey)

Les plus anciens lecteurs se rappellent les combats antinucléaires de Plogoff (1978-1981) et Creys-Malville (un réacteur à neutrons rapide mis en service en 1986 et abandonné en 1998), une époque où les débats se faisaient dans la rue. Aujourd’hui, Emmanuel Macron use d’une grosse ficelle (il faut de l’énergie décarbonée, « donc, du nucléaire » qu’il a relancé à quelques mois de l’élection présidentielle de 2022). Le débat escamoté, donc, est présenté par le journaliste Antoine de Ravignan, d’Alternatives économiques, qui l’envisage sous toutes ses facettes, y compris sociales. En démocratie, c’est le moins qu’on puisse exiger. Les lecteurs ne seront pas déçus.

En effet, est-il très sain d’attendre de la science qu’elle soit la seule à désigner la solution à nos besoins énergétiques ? Que penser de ce qu’il faut bien appeler la « caste » des ingénieurs Mines X Centrale venue tout droit du nucléaire militaire ? De cette « guerre des filières » qui sous-entend des enjeux qui ne sont que rarement présentés dans le débat public. « L’électricité [ne serait-elle] qu’un sous-produit de machines destinées à fournir du plutonium pour fabriquer la bombe atomique ? »

Centrales nucléaires

En 2022, la France a 56 réacteurs en fin de vie (un record mondial) dans un contexte de trois catastrophes majeures : Three Mile Island (États-Unis), Tchernobyl (ex-Union soviétique) et Fukushima (Japon). Le président français a toujours affiché clairement la couleur : « Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire. » (2020) Il faut se pincer à entendre le Pdg d’EDF oser dire aux députés que « le nucléaire bénéficie aujourd’hui d’un regain d’intérêt dans de nombreuses régions du monde » alors que de nombreux pays dont nos voisins allemand, danois, italien, irlandais, norvégien, belge et autrichien sortent du nucléaire ou l’abandonnent ou oublient le projet de s’équiper de nucléaire. De 2000 à 2020, ce sont seulement quatre réacteurs qui ont été mis en chantier en Europe…

Il est instructif de voir qu’au milieu des années 1970, EDF prévoyait pour l’an 2000 des besoins en électricité estimés à plus de 1000 TWh alors que nous n’atteignions que 540 TWh cette année-là. Tout cela pour justifier un plan Messmer en 1974 de… 175 réacteurs en l’an 2000 (au final un tiers). Comment faire confiance aux ingénieurs EDF sans passer au filtre du débat ce qu’ils cogitent ?

En termes de coût, le MWh coûte 150 € quand l’éolien terrestre et le photovoltaïque coûtent approximativement 42€. On s’étonne que le nucléaire du futur suscite toujours autant de fascination chez Macron.

EDF est une entreprise plombée par la filière EPR dont la Cour des Comptes (pas « anti ») a détaillé en juillet 2020 le désastre industriel et financier. Sans rien cacher du scandale AREVA, une entreprise acquise par EDF, opération qui a coûté 8 milliards d’euros aux contribuables sans qu’aucun responsable n’ait été inquiété. Désormais sans concurrent, EDF a convaincu Macron de lancer des réacteurs EPR alors qu’elle est devant un mur d’investissements qui dépassent en 2022 la centaine de milliards d’euros. Sans compter les besoins d’investissements pour les programmes d’énergies renouvelables à l’échelle mondiale. Il faut lire Antoine de Ravignan sur l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) qui s’avère être un « poison toxique » : les fournisseurs concurrents peuvent racheter à EDF près du quart de la production nucléaire à un tarif fixe très bas.

Saint-Laurent-des-Eaux, une centrale qui a connu deux accidents © Wikipedia

Mais ce n’est pas tout. Qui écoute Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui évoque la possibilité d’un accident nucléaire majeur en Europe ? Notamment à cause du vieillissement des centrales. En 2022, 14 réacteurs qui auront plus de 50 ans devront être fermés en 2035. D’ici là, de nombreux réacteurs n’ont plus d’étanchéité garantie. Et tous les calculs probabilistes rassurants n’ont aucune valeur prédictive, les accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima l’ont montré, sans oublier 11 accidents graves (fusion partielle du cœur) dont deux en France à Saint-Laurent-des-Eaux en 1969 et 1980.

EDF, qui avait prévu fermer les réacteurs à 40 ans d’âge, a dû reculer et attend des autorisations pour 50 ans d’âge alors que l’opérateur n’a pas les moyens de réaliser les travaux de sécurité exigés depuis Fukushima. Pour 20 réacteurs sur 32, huit à dix ans de travaux sont nécessaires entre la 40e année de fonctionnement et la poursuite au-delà autorisée par l’ASN. Qui sait si EDF va respecter ces délais ? La multiplication des incidents classés sur l’échelle INES ne cesse de s’amplifier selon l’association Global Chance.

On pourrait le prendre pour une grosse blague : l’industrie nucléaire aime à se présenter comme un pionnier de l’économie circulaire. Antoine de Ravignan distingue bien la gestion des combustibles usés (dont une faible part est réintroduite dans le circuit de production) des installations nucléaires elles-mêmes qu’il faut démanteler. Dans les années 1970, la peur de manquer d’uranium justifiait le retraitement. Sans refaire toute l’histoire des ressources fissiles, en faisant le compte de 740 millions d’euros dépensés en recherche dans une filière de RNR (réacteurs à neutrons rapides) en 2019, le CEA rêve toujours du Graal « alors que la concurrence des énergies renouvelables est impitoyable ». La totalité de l’uranium naturel dont la France a besoin pour fabriquer le combustible nécessaire à ses centrales venant du Niger, du Canada, de l’Australie et du Kazakhstan, Emmanuel Macron se moque du monde en invoquant « l’indépendance énergétique » (décembre 2020)[1]. Pourtant, personne ne remet en cause le recyclage de l’uranium alors que la part de l’uranium dans le prix du KWh est marginale (5% !).

Enfin, la question de l’enfouissement (après que Greenpeace a largement contribué à mettre fin au scandale du largage des déchets radioactifs en mer de 1967 à 1982) reste entière. Car les assemblages de combustible contiennent des tonnes de matières dont la radioactivité va mettre, selon leur nature, des centaines ou des milliers, voire « des millions d’années avant de tomber sous des seuils de dangerosité acceptables ». Les coûts pharaoniques et l’incertitude sur les risques d’incendies souterrains font qu’actuellement, même Barbara Pompili (ex-ministre de l’Écologie) préfère des solutions avec installations en surface. Pour les générations futures, le nucléaire est un sacré cadeau.

Très argumenté, le chapitre « Sans nucléaire, ça va aussi » est convaincant. Le « 100% renouvelable », c’est possible avec des soutiens publics… comme le nucléaire. On donne le chiffre (maximal) de 75 milliards, mais étalé sur 25 ans par 65 millions d’habitants, cela fait 12 centimes par habitant et par jour. « Difficile de parler d’une catastrophe économique », conclut Antoine de Ravignan. En évoquant la « sobriété », l’enquête est complète. Et le livre salutaire. Très salutaire.


[1] Curieux de lire que les importations d’uranium n’entrent pas dans le calcul de la facture énergétique, car l’uranium est considéré comme un minerai et non comme un produit énergétique. Ce qui ferait passer le taux d’indépendance énergétique de la France (selon le Bilan énergétique du ministère de la transition écologique) de 54% à… 12% !


Antoine de Ravignan, Le Nucléaire : stop ou encore ?, Les Petits matins, 2022.

Préfacé par Alain Grandjean, président pour la nature et l’homme, membre du Haut Conseil pour le climat. En partenariat avec l’institut Veblen.


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