Triste « journée mondiale » des enseignants

L’Unesco dédiait ce 5 octobre aux enseignants du monde entier une « journée mondiale » pour alerter les gouvernements sur l’importance de l’éducation. Réponse française : des manifs pour tirer la sonnette d’alarme. Pourquoi ne parvient-on pas à recruter assez d’enseignants pour garantir à tous un accès de qualité à l’éducation ? (Gilles Fumey)

Plusieurs réponses à cette crise structurelle d’un recrutement d’enseignants.

La première est la dégradation générale du niveau des salaires de la fonction publique en France. On la dit privilégiée, pléthorique, inefficace. Combien de milliards d’euros a coûté la pandémie du fait de l’impéritie des gouvernements qui n’ont eu que des visions comptables ? Dire qu’en septembre 2021, le gouvernement est contraint par le code du travail de revaloriser le Smic à partir du 1er octobre (1589 €) pour ne pas laisser des centaines de milliers d’agents sous le Smic. Un enseignant ou agent de catégorie A est recruté à 20% au-dessus du Smic ; c’était 50% en l’an 2000.

Que dit l’Unesco ?

L’Unesco, dirigée par Audrey Azoulay, ancienne ministre de la Culture, l’Unicef et sa directrice Henrietta Fore, l’Organisation internationale du travail veulent relancer l’éducation en demandant des investissements accrus dans « le bien-être, la formation, le développement professionnel et les conditions de travail des 71 millions d’enseignants à travers le monde, pour remédier aux pertes d’apprentissage et gérer les transformations imposées dans l’enseignement et l’apprentissage par la pandémie du Covid ». Vu de France, cela paraît bien banal. Pourtant, il faudrait selon les calculs de l’Unesco, près de 70 millions d’enseignants en plus dans le monde pour assurer l’enseignement primaire et secondaire d’ici à 2030 à tous les enfants du monde.

La situation en France

Les enseignants paient aujourd’hui un sous-investissement qui passe par une prolétarisation de leur métier. La situation est grotesque : en janvier 2020, Jean-Michel Blanquer trompettait qu’il augmentait les salaires pour les jeunes enseignants. De combien ? 70 euros par mois.

En France, un étudiant diplômé du master, soit bac+5, a un salaire à 135% du Smic en début de carrière pour 268% en Allemagne. Le salaire est un vrai repoussoir pour ce métier qui exige une formation longue et éprouvante avant une entrée dans le métier toute aussi épuisante : « Ma première année d’enseignement, témoigne Raphaëlle, c’est bien simple, j’étais à 70 heures hebdomadaires et je passais la moitié des vacances à préparer la rentrée des cours ». Pour 1580 euros nets (3950 euros nets en Allemagne).

Pourquoi un tel écart avec l’Allemagne ?

Certes, les Allemands ont cinq semaines de congés de moins que les Français. Certes, ils sont un peu plus imposés mais l’écart avec la France ne se justifie pas. Certes, ils sont présents 37h/ semaine dans l’établissement (dont 27 cours de 45 minutes) mais ils le quittent souvent à 15h après les cours. Peut-on imaginer une transition en France avec des enseignants acceptant ce type de contrat en échange d’un meilleur salaire ?

Pour quels résultats ?

Comparons la situation franco-allemande sur vingt ans ? Dans l’enquête Pisa (qui mesure le niveau des collégiens), France et Allemagne étaient au même niveau en l’an 2000. Depuis, l’Allemagne a progressé en payant mieux ses enseignants.

Pourtant, l’école coûte globalement plus cher en France qu’en Allemagne pour au moins deux raisons. Parce que selon Eurostat et l’OCDE, par sa géographie le système éducatif français est très éparpillé, les densités de population sont plus faibles. Il faut 20 000 collèges et lycées de plus qu’en Allemagne : une bonne part de l’argent de l’éducation va à la gestion. Et de ce fait, le nombre d’enseignants est plus élevé en France : 725 500 enseignants Outre-Rhin contre 860 000 en France, selon l’OCDE, qui pointe le fait que les professeurs allemands enseignent deux matières (comme l’histoire géographie ou la physique chimie en France). Bilan des courses : en fin de carrière, un professeur allemand gagne 30 000 euros par an de plus que son collègue français.

Une étude datant de 2013 montrait que le professeur français a une moyenne de 14,25 élèves (à cause des dédoublements, des disciplines à faible effectif comme les lettres classiques, etc.) contre 15,48 en Allemagne. A l’époque, on calculait que même en augmentant le nombre d’élèves par classe on aurait pu gagner 56 000 postes, pour augmenter les salaires des professeurs. Mais on a fait l’inverse. Avec une dépense par élève qui a pu atteindre jusqu’à 24% du PIB français contre 17% en Allemagne, il y a une marge que le ministre Claude Allègre avait comparé élégamment à de la graisse de mammouth. En ayant une dépense administrative au niveau de celle de l’Allemagne, on aurait pu reverser 20 000 euros par an aux enseignants et rattraper en partie l’Allemagne.

Peut-on comparer les professeurs allemands aux professeurs français, sans bureau personnel, travaillant beaucoup à la maison ? Peut-on dire que les enseignants allemands font beaucoup plus de social vis-à-vis tant des élèves que des parents que les enseignants en France ? Possible. Mais une part non négligeable des professeurs en France ne compte pas ses heures sans pour autant espérer gagner davantage, en dépit de certains aménagements « au mérite ».

Hors du cas allemand, on se demandera donc pourquoi la Suède ou l’Espagne parviennent à mieux payer leurs enseignants en début de carrière ? 29 400 € (brut/an) en France, 37 400 € en Suède, 42 100 € en Espagne ? La réponse est bien politique.


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