Ainsi s’exprimait Greta Thunberg lors de ses interventions aux Nations unies à l’adresse des politiques. Des mots repris dès les premières lignes de La vérité sur l’Anthropocène de Nathanaël Wallenhorst (Le Pommier), également auteur de L’Anthropocène décodé pour les humains.
Nathanaël Wallenhorst, spécialiste en sciences de l’environnement, a eu une idée lumineuse : une enquête sur l’anthropocène dans les publications scientifiques à comité de lecture en anglais et souvent inaccessibles : Nature, Science, Philosophical Transactions, The Anthropocene Review, Environnemental Research Letters, Science Advances, Nature Climate change, Proceedings of the National Academy of Sciences. Ceux qui ne savent pas comment avance la science n’auront plus d’excuse. Tout est dans ce petit livre passionnant, accessible, d’un grand talent pédagogique et fort bien documenté sur l’anthropocène, appellation d’une nouvelle ère géologique affectant nos écosystèmes.
L’auteur a trié pour nous deux mille pages d’articles scientifiques pour traquer l’anthropocène. Qui est un « feu », une « guerre », une « suffocation mortelle », la « mise en péril de la pérennité de l’aventure humaine ». « Nous avons là avec ces articles géoscientifiques un trésor concernant l’humanité qui devrait être rend public et figurer au patrimoine mondial de l’Unesco. » De quoi se demander, avec Wallenhorst, pourquoi nous n’avons pas voulu voir l’ampleur de la destruction causée par la maximisation des intérêts individuels ? Même si l’examinateur des articles n’est pas dupe de la vision de l’humain à la fois pessimiste, idéalisée et pas convaincu que la technique « nous sortira de l’ornière où elle nous a mis ».
Premier constat : pour la majorité des scientifiques, vivre va devenir de plus en plus complexe. « La vie humaine en société va se durcir – et devenir infernale ». Le prix Nobel de chimie (1995), Paul Crutzen lance en 2002 le terme d’anthropocène qui n’a cessé d’être affiné depuis et qui désigne les humains comme l’une des plus grandes forces géologiques de la planète. Le géochimiste Will Steffen trace en 2004 les courbes d’une « grande accélération », actualisée depuis, de la consommation d’énergie, d’engrais, d’eau, de papier, d’automobiles à l’origine d’émissions de CO2, d’acidification des océans, des perturbations des cycles du carbone, du phosphore et de l’azote, de la perte de forêts tropicales…
Deuxième constat : « ne pas franchir certaines limites planétaires ». Pour des dizaines de scientifiques, les 10 000 années d’exceptionnelle stabilité environnementale ont permis l’émergence des civilisations humaines. Aujourd’hui, il est vital de ne pas franchir un « certain seuil » dans le changement climatique, la perte de biodiversité, les cycles biogéochimiques, l’appauvrissement de l’ozone, l’acidification des océans, l’utilisation de l’eau douce et des terres, la pollution chimiques, la charge en aérosols. La gestion de ces risques est « anxiogène » : les risques sont beaucoup plus graves que ceux « d’une guerre, d’un hiver nucléaire ou de l’impact d’une météorite ». Le plus grave, ce sont les interactions : l’utilisation des terres en Amazonie (par la déforestation) affecte les ressources en eau jusqu’au Tibet.
Troisième constat : « Il est possible que l’ensemble de la biosphère se réorganise ». Lors d’une rencontre à Berlin, les chercheurs tentent d’affiner le concept de « point de basculement ». Par exemple, jusqu’où la fonte de la calotte glaciaire nous impacte peu ? Comment la persistance d’El Nino assécherait l’Amazonie ? Comprenons comme Alexandre de Humboldt que « tout est relié ». Comment faire émerger une gouvernance mondiale ? Notre avenir dépend moins du cours de la Bourse que de la biosphère nous donnant l’eau que nous buvons.
Quatrième constat : « Une extinction de masse de la biodiversité est engagée ». Un article de Barnoksy est jugé très rigoureux dans ses calculs, même quand ils portent sur l’ampleur des extinctions (big five) de l’Ordovicien (il y a 443 millions d’années), puis du Dévonien, du Permien, du Trias-Jurassique, de la fin du Crétacé et ses fameux dinosaures. Les taux de l’extinction actuelle « sont plus élevés que ceux des cinq autres épisodes ». En trois siècles, on pourrait détruire plus que ce qui l’a été pour les big five ! L’extinction des petits vertébrés continentaux, pour Ceballos et Ehrlich, peut conduire notre civilisation à l’effondrement.
Dans un autre essai stimulant, L’Anthropocène décodé pour les humains, ouvert par Hannah Arendt (« Notre espoir réside toujours dans l’élément de nouveauté que chaque génération apporte avec elle »), Nathanaël Wallenhorst ne se résigne pas à ce qu’il a lu dans les articles scientifiques. Il imagine la Terre raconter son histoire (six pages délicieuses) et nous donne quelques échos des coulisses de la science. En posant la question qui nous taraude : comment les humains sont-ils parvenus à façonner la nature tout en perdant le contrôle de cette action collective ?
En contextualisant la prise de conscience de Crutzen dans les années 2000 à partir des travaux de Will Steffen, Jacques Grinevald et John McNeil, il remonte jusqu’à Charles Lyell vers 1830, Thomas Jenkyn en 1854, George P. Marsh en 1864, en faisant toutefois l’impasse sur Humboldt qui achève son Cosmos l’année de sa mort en 1859. Au XXe siècle, Vernadsky et Teilhard de Chardin peaufinent les approches sur la biosphère qui inspireront Lovelock et son hypothèse Gaïa en 1979 et la moment que nous vivons de la reconnaissance officielle de l’anthropocène.
Ces travaux conduisent parfois là où on n’aurait pas voulu aller : au congrès du Cap (Afrique du Sud) en 2016, a été clairement soulevée la question de l’impact des pics de radiocarbone dus à la bombe atomique et les retombées du plutonium. Wallenhorst ne manque pas de rappeler le débat chez les géologues sur les marqueurs stratigraphiques qui permettraient de « planter le clou » entre deux strates : est-ce l’âge de pierre ? L’invention de l’agriculture ? La conquête européenne de l’Amérique ? La révolution industrielle ? La grande accélération ? Les bombes nucléaires (dont les essais ont été partiellement stoppés par un accord international à Moscou en août 1963) ? Ou quelque part dans le futur ?
L’anthropocène est aussi une question politique, impliquant de chercher et désigner des responsables de la crise actuelle. Quel rôle joue la science dans la formation intellectuelle des humains face à une telle question ? Où seront les centres de décision internationaux ? Comment mieux politiser l’anthropocène ? Et comment changer nos modes de vie ? Et, selon la belle formule de Wallenhorst, « rendre à Zeus le feu volé par Prométhée ». En citant, in fine, Grand Corps malade : « Les enfants, vous seuls pourrez nous sortir de là ». Un livre passionnant pour prendre la mesure des temps nouveaux que le Covid-19 rend encore plus inquiétants. Pour éviter la panique que souhaitait Greta Thunberg aux politiques.
Nathanaël Wallenhorst, L’Anthropocène décodé pour les humains, Le Pommier, 2019.
Nathanaël Wallenhorst, La Vérité sur l’anthropocène, Le Pommier, 2020.
Pour les géographes intéressés par une critique de l’anthropocène, voir le Dictionnaire critique de l’anthropocène, aux éditions du CNRS, coordonné par le groupe Cynorhodon (Frédéric Alexandre, Fabrice Argounès, Rémi Bénos, David Blanchon, Frédérique Blot, Laine Chanteloup, Émilie Chevalier, Sylvain Guyot, Francis Huguet, Boris Lebeau, Géraud Magrin, Philippe Pelletier, Marie Redon, Fabien Roussel, Alexis Sierra, Didier Soto).
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A reblogué ceci sur De la géopoétique à la géopolitique – Laurent Neubauten.
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