Manger tue!

La fabrique de l'obésité

Pour la première fois dans l’histoire des humains, manger trop tue plus qu’avoir faim. Des chiffres alarmants sur l’obésité. Les politiques sont-ils tétanisés devant l’industrie ? A-t-on des raisons d’espérer ? Oui, il y en a une. (Gilles Fumey)

Les faits d’abord : qu’on ne raconte pas de salades sur l’obésité d’origine génétique, pathologique, patati et patata, oui, tout cela est vrai. Mais la vérité est que l’obésité est une maladie fabriquée – vous avez bien lu – fa-bri-quée par l’industrie agroalimentaire. Le député agronome Loïc Prud’homme (Gironde) a publié en 2019 un rapport parlementaire éloquent sur ce sujet.

Il faut atteindre la page 165 du livre d’Yves Leers, La fabrique de l’obésité. Enquête sur un fléau planétaire, pour expliquer les origines de cette pandémie qui a submergé la planète depuis les années 1970. Une pandémie responsable aujourd’hui de 4 millions de morts par an. Le compteur continue de tourner et aujourd’hui, personne ne sait jusqu’où il ira.

Obésité
Même la Chine prend du poids (http://french.peopledaily.com.cn/)

710 millions de personnes obèses et en surpoids dans le monde en 2012, 1,250 milliard en 2030 dont 250 millions d’enfants ! Des chiffres glaçants qui épargnent deux pays : le Japon et les Corées. Sinon, le fléau frappe partout, même en Chine.

Cécité volontaire

Que s’est-il passé ? Est-on raisonnable de croire que c’est la faute à pas de chance, lorsqu’on a un enfant, un adulte, une personne âgée, des populations riches ou pauvres qui, soudainement ou très lentement, sombrent dans l’obésité ? Le député Loïc Prud’homme parle de «cécité volontaire des pouvoirs publics».

Nous savons donc qui sont les responsables, les coupables. Yves Leers en détaille les pratiques, cite les enquêtes de Que Choisir dont celle, très documentée, de mai 2019. Les activités politiques sont évaluées par le sociologue Daniel Benamouzig qui met en avant les faux-nez de l’agroalimentaire : le Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS), Culture sucre, le Centre d’information des viande, la Société française de nutrition et, nec plus ultra, l’Institut Pasteur de Lille (sans rapport avec l’Institut Pasteur). Comme membres du FFAS, on trouve tous les acteurs de l’agroalimentaire, le FFAS étant membre du très officiel Conseil national de l’alimentation (CNA) et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Toutes les connaissances produites par ces organismes sont «biaisées». Ce qu’ils publient, c’est «du savoir, de l’ignorance et des doutes là où l’on devrait avoir des certitudes, en faisant appel à des chercheurs qui n’ont pas tous pleinement conscience du rôle qu’on leur fait jouer», selon Benmouzig. Tout est détaillé dans le livre d’Yves Leers.

Le vent peut-il tourner ?

Le géant mondial Kraft Heinz ayant été condamné aux Etats-Unis, les certitudes peuvent changer de camp. Même chez les consommateurs. Les Américains boivent depuis 2019 plus d’eau que de sodas. Les élevages industriels de volailles sont de plus en plus encadrés. Euler Hermes montre que les défaillances dans le secteur agroalimentaire ont triplé en 2019. Et ce n’est qu’un début. Même si l’obésité «arrange beaucoup de monde (…) : l’industrie pharmaceutique qui vend des médicaments contre le diabète, l’hypertension, les maladies cardio-vasculaires ; l’industrie des salles de sport.» Même une revue comme Meilleur Placement notait les actions profitables sur le créneau de la minceur, les produits allégés, les édulcorants de synthèse.

Le sucre bientôt stigmatisé ?

A l’instar du tabac, le sucre pourrait être bientôt stigmatisé s’il était classé comme additif. Durant le XXe siècle en France, la consommation est passée de 2 kg à 35 kg par personne et par an, notamment par la consommation d’aliments industriels qui abusent d’isoglucoses ajouté au gras et au sel. Est-ce une bonne nouvelle que le nutri-score ? Pour le chercheur Anthony Fardet, il est insuffisant : «c’est l’artificialisation des matrices alimentaires qui nous pousse à manger plus que de raison, entraînant un cortège de maladies chroniques dont l’obésité».

Une première croisade a été ouverte au Chili où plus de 60% de la population est en surpoids. Certains produits comme les Kinder Suprise sont interdits de vente. La FAO applaudit mais les industriels conçoivent des produits moins sucrés mais plus transformés…Le chemin sera long.

Reste à espérer. Il n’y a de fatalité que politique. L’ONU est sur le pont pour entretenir l’espoir qu’un jour, la guerre soit déclarée : «Toutes les formes de malnutrition ont un dénominateur commun : des systèmes alimentaires ne fournissant pas une alimentation saine, sûre, durable et à un prix abordable». L’exemple du tabac est dans les têtes de tous ceux qui luttent.


Yves Leers, La Fabrique de l’obésité, Buchet/Chastel, 2020.


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