Deux bateaux-usines sous pavillon lituanien et néerlandais viennent de racler la Manche. Pendant ce temps, à Bruxelles, on tergiverse et à Paris, le ministère de l’agriculture estime que «l’activité de ces navires n’a pas d’impact sur les possibilités de pêche des navires français». Que va coûter un tel déni?
L’Atlas de l’anthropocène tire la sonnette d’alarme: «la pêche industrielle, l’enfer sur mer». L’Europe libérale de 2020 ne tient pas ses promesses de 2014: 20% des stocks de poisson dans les seules eaux européennes sont surexploités: 6 millions de tonnes chaque année, avec une hécatombe particulière en Méditerranée. Les ministres européens (y compris français) veulent encore aider les bateaux-usines qui peuvent atteindre 24 mètres. Le changement de moteur pour tirer de plus grands chaluts va être subventionné. Chaque navire peut alors pêcher près de 400 tonnes de poisson par an, l’équivalent de sept bateaux de pêche artisanale. Le Parlement européen va-t-il réagir?
Le pillage de la Manche
La France aurait pu donner l’exemple. N’a-t-elle pas dénoncé la présence de deux méga-chalutiers sous capitaux néerlandais dans les eaux communautaires début octobre? Ces navires plus gros que les cars-ferries raflent un banc de maquereaux en un coup de filet. Ainsi, le Margiris, mastodonte de près de 10 000 tonnes et 143 mètres de long, battant pavillon lituanien a raclé les fonds au large de Brighton, mais on n’était pas au bout de notre surprise. Quelques jours plus tard, l’Annie Hillina, sous pavillon allemand, écumait la Manche. Un seul bateau peut prélever jusqu’à 650 tonnes de maquereaux, harengs, chinchards par jour. Soit la capture de soixante petits pêcheurs en une année à Trouville.

Le Margiris fait des dégâts considérables dans la Manche.
Les présidents de la région normande et du Nord ont alerté Didier Guillaume, ministre de l’agriculture. «Un pillage qui serait légal», est-ce acceptable, se demande Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’ONG Bloom. Après un premier pas contre la pêche électrique, les écologistes et défenseurs des océans s’inquiètent de l’attribution des 6 milliards d’euros de subventions européennes.
Les océans, un rapport de forces défavorable
A l’échelle mondiale, la situation est encore plus grave. Les mammifères marins et les tortues se retrouvent souvent piégés dans les filets. Pourtant, la FAO avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Les 50 milliards de dollars de subventions publiques encouragent partout la surpêche. L’arme du consommateur sera-t-elle suffisante? L’ONG Bloom propose de diminuer la consommation de poisson, de se renseigner sur les méthodes de pêche (les poissonniers devant afficher les types d’engins utilisés) et diversifier son assiette en utilisant les espèces utilisées pour les farines (anchois, sardines, merlu, tacaud, merlan bleu).
Gare! Une étude parue en 2008 dans la revue Science estime possible l’effondrement de tous les stocks de poisson d’ici à 2048. Un scénario toujours plausible en 2019.
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L’Atlas de l’anthropocène est une mine qui permet de comprendre, selon son postfacier Bruno Latour, «pourquoi il est tout à fait vain de prétendre dominer, maîtriser, posséder la Terre et que le seul résultat de cette idée folle, c’est de risquer de se trouver écrasé par Celle que personne ne peut porter sur ses épaules». Un livre remarquable sur la mondialisation de l’environnement, la Terre en surchauffe, la biodiversité d’une Terre humaine, les pollutions globalisées, la démographie (trop d’humains?) et les politiques de l’Anthropocène (avancées et reculades).
François Gemenne, Aleksandar Rankovic, Atlas de l’anthropocène, Presses de Sciences Po, 2019.
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