Sri Lanka (3/5) : Saveurs et savoirs

Ecolanka
Une assiette sri-lankaise : manioc, galette de kurakkan et riz, fondue d’oseille, potimarron en sauce, anchois frits, salade de coco, oignons et poivre

Dans les pays où ils ne parlent pas la langue, les touristes dialoguent avec les cultures locales par les cuisines. Devant leurs assiettes, les plus savants détectent l’origine géographique des saveurs des mets qu’on leur sert. Est-ce la bonne méthode ? Ecolanka répond. (Gilles Fumey)

Le géographe Jean Bruhnes pensait que « manger, c’est incorporer un territoire ». Superbe formule qui montre combien la géographie est présente dans nos corps. Mais comment « incorporer » un pays qu’on ne connaît pas ? En testant au Sri Lanka, pays peu connu des touristes qui s’y rendent, ce qu’est « découvrir » une cuisine passe par une série d’étapes avant de manger, choisir un restaurant. Pas de saveurs sans savoir. En cherchant des repères, les visiteurs sont rassurés de tomber sur du riz, du poulet, du manioc. Mais les épices ? Les sauces ? Ce qui peut brûler les papilles ? Comment faire le tri ?

Les épices du monde indien apparaissent comme une muraille à franchir. Mais pour certains, c’est une palette aux mille possibilités. Sans connaître la médecine ayurvédique qui les a intégrés aux cuisines, on peut s’arrimer au « curry », dont on sait qu’il s’agit d’un mélange local, combinaison d’un savoir savant ou vernaculaire, de connaissances médicinales, de « traditions » transmises dans les familles. Le curry suppose aussi qu’on maîtrise le feu des épices (ici, au Sri Lanka, dans le sambol), qu’on en dose le piquant et les registres amers, poivrés voire sucrés. Le curry, c’est l’outil de confiance des cuisines complexes du monde indien.

Inutile de passer en revue toute la cuisine comme le riz rouge kakuluhaal ou un millet sauvage sans gluten kurakkan, les bananes plantain alu kesel, le jaquier comme légume, noix ou fruit, tous les légumes verts (notamment la moringa) et noix de coco râpées au curcuma : on y perdrait sa grammaire dont l’une des règles communes à toute l’Asie du Sud et du Sud-Est est le goût du lait de coco. Que les Hollandais aient importé les saveurs de leurs Indes orientales (l’Indonésie), les Tamouls celles de leur région d’origine en Inde, les Malais (musulmans) leur couscous à la farine de riz et râpé de noix de coco cuit à la vapeur dans une tige de bambou, les Arabes leur galette comme le rotty, les Anglais le chutney et la bière, toutes ces migrations et acculturations n’épuisent pas la créativité culinaire d’une nation.

Du reste, la majorité des Sri Lankais vivent à la campagne, beaucoup dans les forêts comme chez Ecolanka où ce sont des villageoises qui font la cuisine aux visiteurs. Dans le jardin attenant à l’écovillage, elles ramassent les patates douces, le manioc racine et feuille, le yam (légume entre pomme de terre et salsifis), le butsarana (un tubercule), le jotukola (une salade), le katuru murunga (feuilles riches en protéines végétales), le fruit à pain. Chaque repas est une découverte pour les sens, même pour les jeunes qui sont revenus de la nourriture industrielle.

À Ecolanka, la distance entre le café vert et le thé sauvage, vert ou blanc (silver tip) est la plus courte qu’on puisse imaginer. Celle des fruits, comme les mangues (à condition que les macaques peu partageux en laissent), les papayes, l’ambarella, l’ananas, les bananes de différentes variétés, le laullu, l’avocat, toutes ces distances ne dépassent pas la centaine de mètres. Et pour les (assez rares) produits carnés qui hors de l’omniprésent poulet, du bœuf qui paît sur les terrasses de la rivière où les pêcheurs se servent sans barguigner, rien ne déroge vraiment aux règles d’un bouddhisme de bon aloi, dont les lois sont interprétées par chacun en fonction de son adhésion personnelle.

Alors, comment transmettre aux touristes autre chose que des recettes inscrites dans des guides ? Comment donner une idée de l’inventivité des cuisinières locales, de leurs tours de main pour arranger ce qu’elles ont le matin et en donner le meilleur aux visiteurs, pour peu qu’ils ne soient pas méfiants ? C’est tout l’enjeu du tourisme qui ne peut se satisfaire de laisser au marché, aux conglomérats, la prise en charge de ceux qui ont pris le risque de quitter leur chez soi pour une aventure qui ne doit pas virer au cauchemar.


Sur le blog :

« Sri Lanka 1/5 : Les voix de la jungle » (Gilles Fumey)

« Sri Lanka 2/5 : Le kitul, édulcorant du futur » (Gilles Fumey)

« Sri Lanka 4/5 : Un pays dévasté par le thé » (Gilles Fumey)

« Sri Lanka 5/5 : Le tourisme est-il dangereux ? » (Gilles Fumey)


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