Les agriculteurs victimes des plaintes et complaintes météo

Les chaînes télé aiment tant les météos qu’elles les présentent souvent comme détraquées. Le tire-larmes marche à fond pour apitoyer l’opinion sur les malheurs des agriculteurs. Une pratique lassante qui mériterait plus de pédagogie sur les incidences du changement climatique.

Le gel donne des sueurs froides aux agriculteurs. Pourtant, la météo est une donnée vieille comme le monde de l’agriculture. Soleil, pluies, orages, grêle, neige et brouillards, ouragans sont cités depuis les temps bibliques comme des faits qui façonnent les choix des paysans. La meilleure manière de se protéger des éléments était de pratiquer la polyculture. Une mauvaise récolte sur quelques arbres au verger ou une plante du jardin ne compromettait pas l’économie de la ferme. Et la maladie d’un animal n’engageait pas la vie des autres bêtes. Telle était la sagesse de ceux qui ne mettaient pas tous leurs œufs dans le même panier. Désormais que les agriculteurs sont ultra spécialisés, si par ailleurs leurs parcelles ne sont pas dispersées en plusieurs zones, les crises météo ont des effets de catastrophe, les médias de masse qui n’aiment rien que ce qui pleure, souffre, brûle et meurt se rassasient de toutes les plaintes météo à toutes les saisons.

On est donc priés, depuis les villes, de s’apitoyer tous les soirs sur les malheurs météorologiques de nos agriculteurs. En oubliant les épisodes où les récoltes ont été « records », où les moissons abondantes, les années exceptionnelles. Aucun média ne présente les revenus des agriculteurs sur les dix dernières années pour lisser le malheur d’aujourd’hui avec le bonheur d’hier.

Ivresse et détresse du vin

Prenons le secteur du vin. Dans les vignobles situés au nord de la Loire et sur les bordures alpines et jurassiennes, le gel détruit les pousses. Alors qu’on a encore en tête les ventes aux « records historiques » des Hospices de Beaune de novembre 2020. Certes, une vente caritative dont Christie’s avait claironné qu’elle n’avait jamais rapporté autant que les 13 millions d’euros récoltés ce jour-là, n’est pas forcément un revenu pour le vigneron mais quand même, le « ruissellement » existe. Et on imagine que le niveau des ventes de Beaune donne une idée des prix qui seront fixés sur les millésimes de la région.

On retrouve aussi dans le grenier nos vieux magazines papier en tombant sur une interview de Lionel Bourgeois, vigneron et négociant à Chavignol (Sancerre) : « Deux mots pour caractériser 2018 : frayeur et bonheur. Frayeur parce qu’on a eu beaucoup d’eau au printemps et une grosse sécheresse en été. Bonheur parce que le résultat est au-dessus des espérances. Je ne l’aurais jamais parié. C’est un millésime solaire. » On est content pour notre viticulteur et on espère que ce millésime lui a permis d’encaisser les coups durs de cette année si le gel a sévi sur ses parcelles.

Pour cette même année, dans le champagne, Laurent Fédou de la maison Thiénot renchérissait : « 2018, c’est du jamais-vu de mémoire de chef de cave, et les anciens avec qui j’ai discuté disent la même chose : un état sanitaire parfait, pas un grain pourri. On a du volume en 2018 et des choses un peu diluées parfois, mais pas avec les pinots noirs, bien concentrés. Nous sortirons des cuvées millésimées. »

En Val de Loire, à Chinon, c’est Pierre Sourdais qui s’exclamait : « Pour l’instant, c’est ce qu’on a fait de mieux ! Cela fait quarante-sept ans que je fais du vin et je n’en ai jamais eu d’aussi bon. On a eu une gestion difficile avec les pluies et après cette période de beau. Ç’a été magnifique, malgré de petits problèmes de fermentation avec ces vins très riches. On arrive à des degrés auxquels on n’est pas habitué. En 2018, on aura aussi de très grands blancs chargés, gras, très différents de 2016. »

Et au nord de Lyon, dans le Beaujolais, nous partageons le bonheur de Jacky Gaultier à Lantigné : « Une très belle année pour l’ensemble du Beaujolais. On est revenu à des quantités correctes après 2016 et 2017, où l’on avait subi la grêle, et 2015 la sécheresse. » La sagesse même. Des années pourries, mais aussi de très beaux millésimes.

À Bordeaux, on se rappelle encore la miraculeuse année 2016 (cinq ans déjà) qui avait été comparée à la somptueuse année 2009. Ainsi, non seulement, on peut lisser les effets des caprices météo dans l’espace (une parcelle ici, une autre là), mais aussi dans le temps. Se plaindre d’une mauvaise météo et d’assurances trop coûteuses ne doit pas induire en erreur ceux qui devraient suivre les lamentations médiatiques.

Les légumes dans le même panier

Passons aux fruits et légumes. Ce printemps, les vergers sont très éprouvés par le gel et les journaux télévisés moissonnent les larmes avec gourmandise. Voici, pour l’exemple, 2019. L’hiver avait été « exceptionnellement doux » tout comme le printemps. Que n’avait-on entendu sur le froid qui n’avait pas tué les nuisibles dont on allait être envahis. L’été venu, le thermomètre grimpa encore et la sécheresse sévit sur de nombreuses régions qui furent du pain bénit pour le chœur des pleureuses médiatiques.

Où est l’impact de météo catastrophes ? © France Agrimer

Pourtant, France Agrimer avait noté en 2019 une progression sur les légumes, certes, faible, mais compensée par des prix de vente à la hausse (+4,2%). Malgré des orages importants durant l’été dans les vergers des grandes vallées, la production s’est accrue de 4,5% par rapport à 2018 qui avait déjà été meilleure que l’année précédente. Certes, certains fruits comme les melons, les poires et les noix avaient souffert mais tout fut compensé par les belles récoltes des fruits d’été.

On pourrait multiplier à l’infini cette instrumentalisation de la météo pour apitoyer l’opinion sur les calamités subies par les agriculteurs. À leur chevet, la vigie de la FNSEA Christiane Lambert entonne la complainte d’une agriculture mal aimée (faux), exploitée (oui, par un système industriel et marchand qu’elle contribue à alimenter), trop administrée (que mangerions-nous si on laissait faire l’agrochimie ?).

La carte du gel pourrait être celle des plaintes recueillies par TF1 pour faire pleurer dans les chaumières.

« Quand vous plantez une graine une fois, vous obtenez une seule et unique récolte. Quand vous instruisez les gens, vous en obtenez cent. » Confucius explique ainsi comment dans la Chine millénaire, perclue de typhons, inondations et sécheresses, les paysans ont pu bâtir un modèle agroalimentaire à l’origine de la plus forte concentration démographique du monde.

Que pourrait-on demander aux médias qui catastrophisent la météo sinon un peu de pédagogie, d’honnêteté, d’ambition dans l’explication de modèles alternatifs issus de l’agroécologie. Pour que ces reportages émotionnels ne desservent pas, au final, une profession qui mérite mieux que l’aumône de nos bons sentiments.


Une des solutions, la bio ?

(c) France Agrimer

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2 réflexions au sujet de « Les agriculteurs victimes des plaintes et complaintes météo »

  1. Bonjour. Je suis d’accord avec vous, sauf pour une chose. Le froid que nous subissons est aussi dû à l’assèchement de la masse d’air, un peu comme dans le désert. La semaine passée, nous avons eu un orage. Puis le lendemain, le beau temps est revenu rapidement, avec une forte amplitude de température entre le jour et la nuit. Nous n’avons plus de temps de crachin qui dure plusieurs jours et qui diminue l’amplitude des températures entre le jour et la nuit. Bien à vous

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