Voulez-vous un vin picard?

Pour l’automne qui vient, la Picardie s’apprête pour sa troisième saison de vendanges. Depuis 2019, ils sont plusieurs mordus du vin à prendre l’occasion du réchauffement climatique pour réinstaller la vigne là où le phylloxéra l’en avait chassée il y a un peu plus d’un siècle. Un mouvement qui inquiète les régions méridionales… (Gilles Fumey)

D’autant que rien ne se passe comme dans les terres viticoles AOC de France où la transmission s’est faite, confortablement, dans les familles. Ici, les nouveaux vignerons, souvent agriculteurs en recherche de diversification, dans la Somme à Terramesnil ou à Dallon dans l’Aisne et de multiples communes des anciennes régions Nord et Picardie, sont déjà installés en cultures intensives de céréales ou de betterave à sucre. Ils tentent ce virage parce qu’ils sont souvent jeunes et soutenus par des modes de financement participatif. À Dallon, 15 000 bouteilles à 9 euros ont déjà, pour partie, trouvé preneur. Plus encore, certains vignerons sont des adeptes de l’agroécologie et plantent des noyers dans les parcelles, qui rapporteront aussi de l’huile de noix pour la table.

Avec neuf autres agriculteurs répartis entre l’Aisne, la Somme, le Nord et le Pas-de-Calais, un vigneron de l’Aisne participe à la première phase du projet du négociant agricole Ternoveo consistant à créer une filière viticole dans les Hauts-de-France. © Crédit photo : Philippe Huguen

Comment en est-on arrivé là ? Car la Picardie des cathédrales est viticole et les cépages locaux se comptent presque sur les deux mains : gouet, noir-franc, moussy, cocquart, maillé, blanc-vert fruleux, puis gamay, pinot noir, meunier et blanc-vert fruleux. À l’époque, quasiment toutes les paroisses avaient leurs vignes. Amiens comptait au 15e siècle plus de 110 hectares de vignes cultivées par une centaine de familles de vignerons.

Qu’est-ce qui a tué la vigne en Picardie à partir du 17e siècle ? Les progrès du Midi où la qualité est plus constante et dont la clientèle s’élargit au nord. Avec au 19e, les nouveaux transports de masse qui apportent les bouteilles diffusées surtout après la Révolution dans les villes. Le phylloxéra fait le reste.

Le renouveau se fait par expertise des terrains, des cépages et de la vinification. Il y a deux ans, ils étaient déjà dix à vouloir tenter l’aventure avec Ternovo qui identifie quatre porte-greffes : Fercal, 41B, 161-49 et SO4. Le chardonnay est sélectionné pour sa grande plasticité, avec pas moins de cinq clones pour permettent une plus grande diversité, nécessaire pour obtenir la certification HVE (haute valeur environnementale). Deux cents hectares sur la seule région Hauts-de-France, construction d’un chai, investissement financier des paysans. Le premier vin étiqueté Vin de France est attendu pour 2022 alors qu’il va être embouteillé cet hiver chez Maximilien de Wazières, jeune exploitant qui a vendangé pour la première fois en 2019. Pour le commerce, la prévente est la règle avec possibilité pour les acheteurs de parrainer des ceps. Dégustation prévue ici à Noël 2021.

Des vignerons bourguignons comme Bernard Hudelot des Hautes-Côtes-de-Nuits connu pour ses plantations au Gabon, en Birmanie ou en Chine ont conseillé ces pionniers du nouveau vin qui tiennent à abandonner les monocultures intensives.

D’autres terroirs comme le Pas-de-Calais sur l’ancien terril d’Haillicourt, la Normandie où Christophe Beau replante à La Chapelle-Longueville en face du Giverny, voire la Bretagne font évoluer sans doute l’image du vin. D’autant que les vendanges précoces et le gain d’alcool (1°C par décennie) témoignent de grands bouleversements en cours que les maisons de Champagne comme Taittinger anticipe par des achats en Angleterre.

Dominique Hauvette à Saint-Rémy de Provence, élue Meilleure vigneronne de France en 2020 s’est vue retirer l’agrément par l’INAO d’une de ses cuvées vedettes, Roucas 2017.

L’INAO en pleine crise

Pendant ce temps, l’INAO qui a eu la haute main sur les vins ne cesse de se déliter. Avec des décisions incompréhensibles : ici, une menace de retirer l’appellation Bourgogne à 64 communes de Saône-et-Loire, Côte d’Or et Yonne ; là, à Savennières, où Eric Morgeat, le très doué vigneron était menacé d’exclusion pour quelques centimètres d’écart entre ses plants. D’excellents producteurs comme Dominique Hauvette dans les Baux-de-Provence, Eloi Dürrbach à Saint-Etienne-du-Grès, Laurent Vaillé à Aniane, Louis-Benjamin Dagueneau et Alexandre Bain à Pouilly-Fumé, Dominique Andiran en Gascogne, Jacky Blot à Vouvray et des cavistes de renom comme Bruno Quenioux à Paris dénoncent les tracasseries dont ils ont été les victimes[1]. On se demande ce que font les 240 agents de cette vénérable maison née en 1935 et qui ne crée plus d’IGP ou d’AOP (sauf en Ile-de-France cette année). Ils ratiocinent sur les directives de Bruxelles ? Et seraient incapables d’aider les vignerons voulant autre chose avec des vins « nature » ?

Bref, avec Bordeaux qui n’en finit pas de sombrer dans la mévente et doit, au pied du mur, reconvertir son vignoble gorgé de pesticides, avec la Chine qui boude le marché français, avec le report d’une partie des consommations sur les rosés et les pétillants, la viticulture française doit se remuer si elle veut rester l’une des références mondiales.


[1] La liste est publiée dans la RVF de juillet-août 2021, p. 44, avec un excellent article de Benoist Simmat.


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