
Une géographie de l’adoption internationale vient d’être mise à jour par deux historiens qui pourraient écrire un nouveau chapitre du trafic d’enfants entre pays riches et pays en développement. Des adoptions internationales illégales, quand le trafic d’enfants est reconnu comme crime contre l’humanité. (Gilles Fumey)
Ce n’était pas une mince affaire : 250 cartons, 50 000 documents d’archives diplomatiques ont été décortiqués par Yves Denéchère et Fabio Macedo (université d’Angers) pour vérifier les pratiques de l’adoption internationale. La mission d’inspection, réalisée avec le concours du ministère des Affaires étrangères qui a démarré en novembre dernier concerne une période qui va de la fin de la Seconde guerre mondiale aux années récentes.
Le premier résultat : les pratiques ont été largement illicites, pire « largement connues » des familles adoptantes, des associations intermédiaires, des services de l’Etat. Une « récurrence de faits graves, non conformes aux lois des pays concernés ou aux droits humains, qui ont entaché les processus d’adoption internationale depuis leur développement dans les années 1960 ». Durant leur conférence de presse en ligne, les chercheurs ont pointé avoir répertorié une « longue liste » de pratiques illicites, allant de« simples irrégularités aux crimes les plus graves » : documents manquants, falsification de pièces, absence de consentement de la mère biologique, fausses déclarations d’état civil, fraudes aux règles de sortie et d’entrée dans les pays concernés, kidnappings, vols ou vente d’enfants. Des faits qui concernent, principalement, dans les années 1980-1990 plusieurs pays : le Brésil, le Vietnam, le Népal, le Pérou, le Guatemala, Salvador, le Sri Lanka, la Roumanie, le Mali ou l’Éthiopie.
L’étude avait été commandée parce que des personnes adoptées signalaient des fraudes à l’état-civil et l’absence de consentement de la famille biologique. La question est de savoir, maintenant, quelle est la proportion d’enfants adoptés concernés. L’adoption internationale a connu un pic d’échange au début des années 2000 avec plus de 4000 enfants adoptés alors qu’en 2022, les échanges sont tombés à 232.
L’étude montre que ces pratiques illicites n’ont pas pu être enrayées alors même que les diplomates et certains acteurs de l’adoption avaient fait des signalements. Notamment les fraudes à l’état-civil ou encore le consentement forcé des familles biologiques. Attention à ne pas imaginer que ces dérives étaient générales et ont touché les 120 000 enfants concernés par l’étude : « L’effet de loupe peut donner l’impression que l’adoption internationale engendre automatiquement des dérives » qui restent marginales pour Fabio Macedo, même si « à certaines époques et dans certains pays, ces pratiques pouvaient être très importantes. »
Une géographie criminelle que le ministère des Affaires étrangères veut réparer, évitant qu’elle se reproduise. Car pour Marie Marre, 35 ans, fondatrice du collectif des adoptés français du Mali, interrogée par Florence Pagneux[1], « ces pratiques ont détruit des familles et des vies ». C’est du reste à l’occasion de la naissance de sa fille que Marie Marre a découvert les incohérences de son dossier d’adoption. Elle apprend que sa mère n’avait jamais voulu l’abandonner, qu’elle reviendrait au Mali après sa scolarité comme le lui faisait croire l’association Rayon de Soleil. Aujourd’hui, elle apprend le bambara pour communiquer avec sa mère et demande des comptes à l’organisme qui a autorisé l’adoption en passant par la justice.
[1] La Croix, 8 février 2023, p. 8
Pour aller plus loin
Véronique Piaser-Moyen, Ma Fille, je ne savais pas, City éditions, 2022
Nicolas Rocca, « Corée du Sud : pourquoi autant d’enfants coréens ont-ils été adoptés à l’étranger ? » (RFI)
Sébastien Roux, « Vers la fin de l’adoption internationale ? » (France Inter)
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