
Une année à marquer pour les combats des femmes dans le monde. Mais qui s’intéresse au sort des autochtones, dans les régions où survivent des femmes appartenant à des groupes à l’écart du monde ? Dominées, malmenées, elles mènent un combat suivi par la journaliste Anne Pastor. (Gilles Fumey)
2022, année des femmes ? Leurs combats pour la visibilité, la reconnaissance, la gratitude des sociétés envers cette « moitié du ciel » qu’elles sont, ont donné envie à Anne Pastor de suivre d’abord les pas de Philippe Descola chez les Achuars, en Amazonie. Pour les femmes qui se battent à demander la parole et montrer le savoir qu’elles détiennent. De ces rencontres amérindiennes, Anne Pastor a élargi son spectre aux natives des États-Unis, peules du Tchad, samis de Norvège et kanak de Nouvelle-Calédonie. En comptant que les femmes autochtones représentent 238 millions de personnes, soit 3% de la population mondiale.

« Être femme et autochtone, la double peine »
Pour Hindou Oumarou Ibrahim, présidente de l’Association des femmes peules du Tchad qui évoque cette double peine, elles sont même considérées comme des « citoyennes de troisième classe ». Avec violences et discriminations qui ne cessent pas. Une femme sur trois est violée, au cours de sa vie, selon ONU Femmes. Au Canada, elles ont été victimes d’un véritable génocide comme on l’a appris en 2015. Anne Pastor revient sur la violence de l’excision qui condamne les Africaines à hauteur de 86% chez les Sembaru au Kenya, pays pourtant engagé contre les mutilations génitales.
La première conférence sur les droits de la femme en 1995 à Pékin a permis la création d’associations internationales permettant de chiffrer les discriminations dans l’accès au foncier, à l’éducation, aux soins, au travail. Le combat paie : l’inuit Mary Simon a été nommée gouverneure générale au Canada, d’autres devenant avocates, économistes, géographes, artistes, voire simplement militantes. Alors que les frontières se brisent, les réseaux prospèrent, « les rêves s’accomplissent » pour Anne Pastor qui présente quarante portraits de femmes issues de seize pays.
« Ces rencontres avec des femmes sont liées au fait que je suis une femme » dit-elle. « J’ai le privilège de poser toutes les questions que je veux. » Y compris sur les violences physiques qu’elles ne dévoilent pas facilement aux hommes, les violences culturelles comme le mariage forcé. Que faire pour elles, depuis l’Europe ? Porter le respect à des formes locales de justice (comme en Arctique) efficaces contre les violences, soutenir les initiatives comme la « Déclaration de la forêt vivante » et, surtout, promouvoir l’accès à l’éducation, avec un enseignement issu de la culture d’origine (et non pas des langues de la colonisation). Grâce au parlement Sami, les autochtones norvégiennes arrachent leurs droits…

Le livre d’Anne Pastor remue ses lecteurs et lectrices car les portraits photographiques agissent comme une vraie rencontre. Le livre nous plonge dans ces univers de révoltes, de combats mais aussi de prises de conscience intergénérationnelles, de colères. Les femmes qui dialoguent ici évoquent leur désir de garder leurs coutumes dans la modernité, leurs savoirs techniques. Mais au Kenya, elles veulent « remplacer l’excision par l’éducation » car « elles sont le pouvoir ».
La nature leur parle
En Équateur, en Indonésie, aux États-Unis, elles disent « non à la destruction de la planète », allant jusqu’à lutter contre des militaires à Sarayaku, contre les compagnies extractivistes. En Amazonie, Samai Gualinga rappelle « qu’Internet [nous] rend plus fortes », comme l’Indonésienne Mina Setra le montre en devenant lanceuse d’alerte. Tout en ne négligeant pas la violence qui rend leur combat dangereux.
La voix des arts
De la Norvège au Japon, en passant par le Bhoutan, le Maroc et la Polynésie, l’art devient un mode de contestation pour apprendre à penser le monde autrement. Maret Anne Sara, Samie, a laissé son troupeau de rennes pour rejoindre la Biennale de Venise. Elle prend quatre cents crânes de rennes qu’elle expose devant le Parlement d’Oslo pour protester contre la mainmise de la bureaucratie norvégienne.
Toutes dénoncent le colonialisme rampant, y compris la poétesse marocaine Fatima Tabaamrant qui se considère comme « la mère de tous les enfants amazighis ». Jusqu’au fond des vallées himalayennes, le féminisme veut lutter au Bhoutan contre le « Bonheur national brut » dont le roi est si fier. Les carcans familiaux sont très pesants pour les femmes, malgré le passage de l’oralité à l’écriture qui s’est fait trop rapidement.

Les plus âgées préviennent : « peu de gens se souviennent d’où ils viennent ». La Japonaise Tokuda Shoko veut qu’on le sache haut et fort : « J’aimerais vous dire que je suis fière d’être aïnque » clame-t-elle aux habitants du Japon, « une culture pure du cœur » qu’elle transmet aux enfants, par les rituels « au plus près des esprits et des dieux ». Non loin de Tahiti, sur les îles Marquise, Sarah Vaki se veut ambassadrice du « tapa […] un savoir pour ne pas disparaitre », celui d’une étoffe sacrée, populaire et artistique. Quant aux Amazoniennes, elles respectent leur tradition animiste qui veut qu’on « demande la permission aux arbres de couper une branche ».
Enfin, en Guyane, en Sibérie et au Pérou, Anne Pastor a rencontré des femmes artistes qui peignent, écrivent des contes, qui prennent conscience que « l’école des Européens [les] détruit et qui se revendiquent, comme Sylvana Opoya « wayana, enfant de la nature« ». Anne Pastor visite les « campements culturels » comme lieux d’apprentissage des savoir-faire « khanty » tout comme Lidia Gonzalez, pionnière de l’éducation bilingue au Pérou. Diana Mori ira jusqu’à écrire qu’elle « aimerait mourir en défendant la forêt et les droits des femmes »…
La galerie de portraits se clôt sur les femmes « résilientes » des mariages forcés et des viols qui « les tuent à petit feu », comme au Rwanda où les femmes ont obtenu un renforcement de la criminalité dans le Code pénal. Les sourires lumineux qui clôturent cette galerie donnent l’espoir des combattantes au monde libre qui doit aider les femmes à gagner cette autre « moitié du ciel » dans toute leur dignité.
Anne Pastor, La voix des femmes autochtones, Akinomé, 2022, 240 p.
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