
Dans une étude de la Fondation Jean-Jaurès, Jérôme Fourquet et Raphaël Llorca chantent les louanges de la grande distribution qui se serait « mise systématiquement du côté du peuple ». Un constat énamouré dans une France défigurée par un consumérisme à l’américaine, qui a dévasté les entrées de ville et les centres de centaines de villes en France. (Gilles Fumey)
On ne contestera pas le « maillage étroit du territoire français » des géants de la grande distribution. Les auteurs auraient pu signaler dans leur étude le rôle de la loi Sarkozy qui a permis à la GMS d’entrer à Paris intra muros à la faveur d’une suppression des autorisations d’installation pour les magasins de moins de 1000 m2 (l’équivalent d’un petit supermarché). Soit un passage, pour l’ensemble de la France, de 2 000 grandes et moyennes surfaces (GMS) en 1970 à plus de 12 000 en 2022 avec une destruction sans précédent, dans l’histoire, du commerce traditionnel.
Evoquer les sous-préfectures où la grande distribution est souvent le principal employeur (devant l’hôpital, forcément essoré par les différentes politiques restrictives depuis vingt ans), est-ce utile pour comprendre les comportements des acheteurs ? Qu’il y ait eu destruction du petit commerce artisanal, c’est un fait. Mais que dire de l’état d’esprit dans lequel les consommateurs arpentent les grandes surfaces ?
Car l’image de la GMS est très détériorée (lire par exemple certains commentaires des clients), abîmée comme celle des banques ou des opérateurs des télécoms. Y aller, est-ce pour autant adhérer à leur business quand on n’a plus d’autre choix, qu’on réside dans des lieux où l’urbanisme a été conçu pour le commerce de chaîne ? Ou quand un gouvernement tente d’amadouer les distributeurs qui se défendent de profiter de l’aubaine d’une guerre ?
Fourquet et Llorca se gardent bien de rappeler que le fameux maillage a été obtenu par des pratiques très douteuses, dénoncées par certains politiques courageux comme Michel Charasse (lire l’entretien donné dans Libération en 2013 et repris récemment sur notre blog). Parler de « génie entrepreneurial français recyclé dans la grande distribution » ne mange pas de pain, mais il faudrait insister – comme les auteurs le font sans s’attarder sur les mécanismes qui ont permis ces fortunes – sur la manière dont les distributeurs ont ponctionné les consommateurs pour se hisser dans le classement des grandes fortunes. Combien de générations d’étudiants d’écoles de commerce ont œuvré pour cette mutation d’une société de production (agricole et industrielle) à une société de consommation à l’américaine ? Alors qu’un président de la République vient d’appeler le jour de la fête nationale à la « sobriété »…

Voici donc le prophète Michel-Edouard Leclerc qui se fait le chantre du pouvoir d’achat des Français. Le même homme qui a laissé croire – avec d’autres – qu’il « casserait l’inflation » et protégerait ce pouvoir d’achat. On voit le résultat aujourd’hui. Et que dire de la collusion entre les distributeurs et les médias, autant avec la presse locale en région qu’avec les quotidiens nationaux qui relaient des campagnes de presse pour le moins hasardeuses (voir affiches ci-contre) ? Elle est telle qu’aucun quotidien régional ne peut se permettre la moindre critique à l’égard d’un distributeur local qui inonde ses pages de publicité. La com’ se fait à grands renforts de formules magiques comme « adaptation à la crise », « souci du consommateur », « défense des prix bas », usant et abusant des images comme « tradition », « terroir », « produits locaux », « origine France », etc., sans qu’aucune critique puisse être formulée.

La com’ sur l’emploi – toujours chiffrée, y compris chez Fourquet et Llorca, où l’on se croirait revenu au temps des effectifs de la General Motors et de l’Armée rouge – l’emploi suffirait donc à absoudre la grande distribution de la misère qu’elle a semée dans les centres-villes dont l’Etat subventionne maintenant la restauration ? La qualité de ces emplois souvent dénoncée par l’insuffisance des salaires et les horaires décalés est, bien entendu, passée sous silence.
Un brin de sociologie pour séparer les « classes aisées » qui vont chez Biocoop des classes populaires chez Lidl ou Aldi ne dit rien des comportements – hors des pratiques moutonnières – de ceux qui cherchent des produits frais, de qualité, réellement locaux, voire bio par les canaux de distribution alternatifs. Qui a gagné, là, la bataille de l’imaginaire ? Qui montre que ces chantres du local que sont les Carrefour, Auchan, Intermarché, Leclerc et autres n’en sont réduits qu’à se disculper des approvisionnements en Andalousie ou aux Pays-Bas pour les légumes et les fruits, en Allemagne et Pologne pour la viande, voire les produits laitiers ? On a entendu un dirigeant de la marque « Reflets de France » se vanter un jour d’être « le plus gros vendeur de produits locaux en France » ! Bel aveu d’échec quand on sait comment se mènent les négociations qu’aucun gouvernement, qu’aucune loi n’a jamais pu encadrer depuis les années 1970 sans que les textes soient contournés, pervertis, vidés de leurs contenus ? Fourquet et Llorca ne s’inquiètent pas de la contre-publicité qui est faite chaque année au moment des négociations avec les fournisseurs, souvent encadrée par la justice, jusqu’au versement de copieuses amendes dénonçant des pratiques délétères. L’actualité n’est pourtant fameuse pour Leclerc qui demandait en juillet une commission d’enquête parlementaire sur la hausse des prix par les industriels qu’il jugeait « suspectes et peu transparentes »(1). Pourtant, la commission des Affaires économiques du Sénat ne trouvant pas de hausse suspecte des tarifs par les fournisseurs, accuse entre les lignes « les grandes surfaces de serrer le kiki à leurs fournisseurs. Suspect et peu transparent ? » (id.).
Non, la France est un pays formidable, où les capitaines de la grande distribution nous seraient enviés dans le monde. Les Français s’agenouilleraient devant tant d’imagination, de générosité, devant la qualité des produits dont la chronique sanitaire et judiciaire ne désemplit pas, processionneraient avec délice dans des lieux climatisés, délaissant les églises, les manifestations syndicales et les bureaux de vote, gavés de ce « pain » et du « cirque » médiatique que les Romains avaient imaginé pour leur plèbe. En route pour le meilleur des mondes !
[1] Le Canard Enchaîné, 27 juillet 2022, p. 8.
Pour en savoir plus
Les petites misères de la grande distribution
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Des moutons, en effet, nous ne produisons même plus aucun son pour faire entendre nos souhaits et nos espoirs. Que dire de notre volonté, …aucune, nous sommes des êtres creux, serviables à souhait, et on nous mène par le bout du nez, dès lors que la promotion flatte notre cerveau se satisfaisant de consommation inutile . Merci pour ce constat décevant.
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les tortillas chips sont rappelées en France, en Allemagne,… à cause d’une teneur trop importante d’alcaloïdes tropanique!? ces tortillas sont la base de l’alimentation au Mexique par exemple. les mexicains ne sont pas accrocs, c’est leur pain quotidien, quel est donc ce produit agroalimentaire qui génère une addiction même pour ceux qui n’ont aucune nostalgie de l’apéro traditionnel mexicain à midi avec le guacamole pour finir les tortillas de la veille, et pourquoi ici cette couleur jaune, du marketing? il suffit de considérer l’enfilade de caisses à la sortie pour comprendre que l’intérêt de ces mastodontes, c’est le chiffre d’affaire! rare sont les municipalités qui ont les moyens de résister, surtout avec le manque criant de budget maintenant que l’état a réduit leurs recettes!
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