
Refaisons, en compagnie de Thierry Paquot, le voyage vers notre enfance, regardons comment nous nous sommes immergés dans le vaste monde. Et comment ce monde est construit, surtout, pour les adultes, négligeant les 600 millions d’enfants qui n’auront jamais de clé pour y entrer. (Gilles Fumey)
On se souvient d’une géographie de la rue des villes africaines par les enfants écrite par Marie Morelle, mais on n’a jamais vraiment exploré le lien entre les villes et les enfants. Thierry Paquot qui se présente comme « philosophe de l’urbain » explique que « l’enfance est un pays dont on a toujours la nostalgie ». En mêlant sa propre histoire à la nôtre, il met en scène les enfants dans les villes. Et répare l’oubli des enfants par l’urbanisme et l’architecture.
Il stigmatise nos espaces publics devenus dangereux par le tout automobile. Pour lui, la cour de récréation est un vrai défouloir (où les enfants découvrent aussi le vocabulaire argotique). Les aires de jeux standardisées évoquent « des parkings où l’on assigne les petits ». Et que dire des confinements qui les ont jetés sur leurs écrans des jeux vidéo et des smartphones…
L’enfance, un pays
Thierry Paquot qui est le meilleur compagnon de Bachelard reprend cette idée que l’enfance est un pays. Un pays des utopies avec ses lieux imaginaires qui peuplent la tête des petits. Dans ces lieux, les enfants vivent des scènes qui restent des souvenirs forts durant leur existence d’adulte, des scènes qui ont « lieu » dans des territoires mêlant l’imagination et la réalité. Le photographe Steve McCurry a rendu compte du regard d’une centaine d’enfants de toutes conditions dans le monde. Dans la rue, les rivières, sous un chapeau, à la corde ou à vélo, c’est tout un monde physique qui est approprié avec des sensations gravées dans la mémoire.
Thierry Paquot note que sur 2,2 milliards d’enfants (âgés de moins de 18 ans), 600 millions vivent sous le seuil de pauvreté, l’UNICEF comptant 160 millions d’entre eux qui travaillent et ne vont donc pas à l’école (et plus du double travaillant et allant un peu à l’école). Pour eux, l’apprentissage de l’espace se limite à peu de chose, voire à de la violence. Pourtant, l’école, la skholè, aurait été pour eux cette « vacance de tout ce qui n’est pas obligatoire ». Ils seront privés d’une construction personnelle de l’espace-temps avec leurs semblables sous forme de jeux comme les avaient théorisés les Charles Fourier, Ovide Decroly, Maria Montessori et Célestin Freinet avant les pédagogues d’aujourd’hui.
Thierry Paquot mêle sa propre histoire à sa recherche, non sans humour d’ailleurs, et il transforme les regrets en une quantité de questions et de propositions qu’il voit réalisées, de manière prémonitoire, ici ou là. On citera seulement les classes à l’extérieur dont le philosophe Alain Kerlan fait l’éloge : « La forêt avant le musée : conduire les enfants dans la clairière, leur faire écouter, toucher, regarder, sentir les arbres, les écorces, les feuillages, le bourdonnement des insectes et les chants des oiseaux ». Paquot cite aussi les villes « à 1,20 mètre », comme Bâle (Suisse) où les recherches pour rendre les rues urbaines aux enfants se multiplient.
Avec Pays de l’enfance, on refait son propre chemin de découverte de l’espace, « depuis la chambre » jusqu’au vaste monde. Une pause revigorante sous la plume alerte et joyeuse d’un Thierry Paquot plus que jamais enivré par cet « heureux vertige des réminiscences ».
Thierry Paquot, Pays de l’enfance, Terre urbaine, 2022.
À lire sur le blog
« Internationalisons les enfants ! » (Gilles Fumey)
« L’école est finie ! » (Gilles Fumey)
À lire ailleurs
Les enfants des rues (Yaoundé, Antananarivo) de Marie Morelle, CNRS Editions
L’espace de la salle de classe
Comment les élèves sont des acteurs géographes
Marie Piquemal, La ruée vers l’air
Pour nous suivre sur Facebook : https://www.facebook.com/geographiesenmouvement/