
Changeons un peu de sujets et tentons une géographie culturelle de l’enfance dans le monde. L’idée m’a été donnée par le ministre de l’Education du Brésil, Cristóvão Buarque et par un photographe mondialement connu, Steve McCurry qui publie « Enfants du monde ». (Gilles Fumey)
Au cours du Forum du Millénaire (New York, 2000), un étudiant étatsunien demandait à Cristóvão Buarque, ministre brésilien de l’Education, ce qu’il pensait d’une internationalisation de l’Amazonie (pour la protéger). Lequel répondit que si on devait internationaliser cette portion de l’État brésilien, il faudrait alors internationaliser le pétrole, le capital financier, la ville de New York, le musée du Louvre et tous les musées qui sont tous des parts de notre patrimoine collectif.

Et avant de conclure, Buarque va encore plus loin : « Au cours de leurs débats, les actuels candidats à la présidence des États-unis ont soutenu l’idée d’une internationalisation des réserves florestales du monde en échange d’un effacement de la dette. Commençons donc par utiliser cette dette pour s’assurer que tous les enfants du monde aient la possibilité de manger et d’aller à l’école. Internationalisons les enfants, en les traitant, où qu’ils naissent, comme un patrimoine qui mérite l’attention du monde entier. Davantage encore que l’Amazonie. Quand les dirigeants du monde traiteront les enfants pauvres du monde comme un Patrimoine de l’Humanité, ils ne les laisseront pas travailler alors qu’ils devraient aller à l’école ; ils ne laisseront pas mourir alors qu’ils devraient vivre. »

Alors que l’humanité se bat contre un virus venu de Chine et qui affecte tous les pays du monde, appelant de fait un ordre mondial de la santé, tentons d’inclure les enfants dans le pot commun mondial de l’éducation. En imaginant que l’éducation ne serait pas que du ressort d’un pays ayant son propre programme mais de l’ensemble du monde qui aurait un programme « mondial » avec déclinaisons locales mises en œuvre par des acteurs locaux.

Pour s’en convaincre, le livre de photographies de Steve McCurry, 71 ans, donne une idée du travail à réaliser pour donner du sens au vœu de Cristóvão Buarque. L’épais livre de 204 pages qu’il a réalisé en près de quarante-cinq ans de carrière aux quatre coins du monde, nous donne de planter notre regard dans les yeux de plus d’une centaine d’enfants de toutes conditions. Ils sont dans l’action : un saut sur les pierres, une course dans une rue, un plongeon dans une rivière, un abri sous un chapeau nón lá du Viêt-Nam… Mimiques, fous rires, regards interrogatifs devant l’objectif, scènes d’empathie avec les dromadaires, les élans, fierté d’un petit garçon qui conduit un groupe de danseurs de l’ethnie Kara (vallée de l’Omo, Éthiopie), jeux de balançoire de deux sœurs pendant la mousson au Rajasthan…

Plus dramatiques sont les photos des salles de classe, très mal équipées, où les visages curieux, tendus des enfants quêtent une miette de ce savoir qui leur fait défaut, tels ces gamins de Bamiyan en Afghanistan dans une école élémentaire de la communauté Hazara (voir la couverture du livre plus haut). Ces « portraits de l’innocence », écrit la préfacière Ziauddin Yousafzai, nous « apprennent à voler ». « L’instruction fournit aux petits humains les ailes qui leur permettront de s’envoler et de chanter. Sans elle, ils resteront muets, sans écoute, cloués au sol. L’instruction procure une voix, elle ne s’attache pas à former les esprits mais aussi les âmes et les cœurs. Elle protège de l’extrémisme, de la misogynie, du racisme, elle incite les enfants à voler plus haut que ce que leurs parents ont imaginé pour eux ».
Photos prises au Cambodge, à Cuba, au Népal, en Indonésie, en Allemagne ou en Afghanistan par Steve McCurry, membre de l’agence Magnum Photos depuis 1986.
Steve McCurry est à Paris en décembre 2021.
Steve McCurry, Enfants du monde, Éditions de La Martinière, 2021
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