Géo topo à l’encaustique

Le cul rose d'AwaEst-il bien vrai qu’un médecin voit en tout être humain un « patient » ? Qu’un astronome a la tête dans les étoiles ? Si oui, à quoi pensent les géographes ? Obsédés par ce qui fait l’espace ? Jusqu’à s’amuser du pittoresque des noms de lieux, du cocasse des situations, des trouvailles géolittéraires de Jacques Drillon… Petite promenade de santé pour un hiver joyeux.

Trésors du terroirPour ouvrir l’appétit, Roger Brunet dans son magique Trésor du terroir consacre quelques paragraphes à la « créativité » des Français pour nommer les lieux qu’ils habitent. S’arrêtant sur les surnoms moqueurs de certains toponymes, il ôte le voile sur ce à quoi on ne comprend pas grand-chose, sauf à s’amuser de ces mots-devinettes : voici Badecon-les-Pins (Indre), une douzaine de Montre-Cul interprétés comme des versants raides durs à gravir, le bois de Casse-Bouteille, Villemalnommée (Vienne), sept lieux nommés Sans Nom, ou encore Pieds Pourris (Orne), Bourg Cocu (Indre-et-Loire), Le Boudin Froid (Orne), Repose Pucelle (Charente Maritime), plusieurs Pissette nom commun des chutes d’eau, et autres Cul Secoué, Longcochon, Gode Chaud, Prés-de-la-Conne, Couille, Cosnardières, Turlurette ou, moins triviale, la référence aux moulins avec Quiquengrogne… On a écrit jadis sur St. Corona, village autrichien de 400 âmes sorti de l’anonymat en mars 2020, hommage aux reliques d’une martyre syrienne de 17 ans vers l’an 160.

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Voici une autre balade avec un écrivain, Jacques Drillon, le talentueux motcroisiste de L’Obs, homme au grand cœur et autobiographe génial qui vient de publier Le cul rose d’Awa. Dans ce merveilleux recueil au titre calembouré dédié aux amateurs des films nippons, Drillon nous conduit à la manière d’un Léautaud en des lieux qui sonnent la géopolitique d’Yves Lacoste, la géo sensible d’Armand Frémont, la géohistoire de Christian Grataloup, la géomilitaire de Philippe Boulanger, la géoculturelle de Jean-François Staszak ou de Rachele Borghi, celle de Jean-Bernard Racine qui aime le cinéaste Alain Tanner, ou celle d’un Guy Chemla sur les conséquences d’une inégalité alimentaire, voire celle triviale, du Jeu des mille euros…

Voici quelques perles géo de ces notes dont l’auteur nous dit qu’il ne faut « préjuger de ce qui peut être élevé à la dignité de pensée gravée dans le marbre, et de ce qui doit demeurer dans les caves de l’esprit, ou les dessous de la parole. De ce qui passera, et de ce qui restera. Notons ce qui est. Notons sans noter, sans juger. Posons les choses sous la lampe. Si possible sans verge, sans action, sans intention. Faisons des tas ».

Ci-dessous, ce petit tas de géo glané dans ce délicieux livre :

Les instituts américains pour jeunes aveugles, où l’on séparait les Noirs et les Blancs.

Littré, qui vivait rue Champollion.

Napoléon, signant devant Moscou en flammes, le décret par lequel il réorganise complètement la Comédie française.

Les femmes du métro qui parlent fort à leur enfant, pour que tout le monde entende.

Les dictatures militaires que les Etats-Unis ont « soutenues et, dans bien des cas, engendrées » depuis la guerre, d’après la liste qui a été dressée par Harold Pinter dans son discours de réception du prix Nobel de littérature : le Nicaragua, l’Indonésie, la Grèce, l’Uruguay, le Brésil, le Paraguay, Haïti, la Turquie, les Philippines, le Guatemala, le Salvador et, bien sûr, le Chili.

Le goût immodéré pour la médiocrité (spécialité suisse, Tanner dixit).

Les pauvres qui sont gros dans les pays riches et maigres dans les pays pauvres.

Personne ne sait la différence entre Monaco et Monte-Carlo.

Jean Starobinski qui n’avait jamais vu la Méditerranée (et soit-dit en passant, l’Anglais Newton qui n’a jamais vu la mer).

Les camps américains de Haute-Normandie, où se regroupaient les soldats américains avant d’être rapatriés, entre 1944 et 1946, et qui portaient des noms de cigarettes : Old Glod, Lucky Strike, Pull Mall, Philip Morris, Wings, Home Run…

Voici une délicieuse pensée sur le monde, qui nous enchante. À déguster comme un vieux vin.


– Jacques Drillon, Le cul rose d’Awa, Du Lérot éditeur, 2020.

– Jacques Drillon, Cadence, Gallimard, 2018.

– Roger Brunet, Trésors du terroir. Les noms de lieux de la France, CNRS Éditions, 2016.


Sur le blog:

« St. Corona (Autriche) sort de l’anonymat » (Gilles Fumey)


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