Dans la vraie vie, les vaches ne font pas salon

Salon de l'agriculture

Le défilé des champions de l’élevage français au Salon de l’agriculture sonne faux. Ces animaux ne sont ni beaux ni en bonne santé : ils sont écornés, équeutés, castrés à vif. (Gilles Fumey)

Qu’elles sont belles, les vaches et les brebis dans le décor grandiose des Invalides à Paris ! Peu avant de rejoindre le hall 1 du Salon de l’agriculture, celles qui furent autorisées à parader montraient depuis quelques jours une superbe mine sur les affiches du métro. Pourtant, les lyres des cornes de Haute, seule sur son plateau d’Aubrac, donnent à entendre une musique qui sonne faux quand les visiteurs découvrent la France bovine au Salon. Car Miss Aubrac, pas plus que la Bretonne élue 2017, ne ressemble à ses congénères écornées, au pis hypertrophié par des généticiens pratiquant une « génomique de pointe » (sic) à un niveau tel que certaines vaches ont de la peine à se coucher. Non loin des stars bovines, des porcelets sont équeutés, parfois édentés, castrés à vif, des béliers écornés…

Ces « fake news » sur les pratiques d’élevage en France sont-elles encore tenables ? L’affiche du Salon est doublement mensongère : elle met en avant une vache seule sur des hauts plateaux qu’on espère d’Aubrac, alors que près de 90 % des vaches en France sont en élevage intensif, paissant parfois dans la nature mais le plus souvent en stabulation, nourries au fourrage sec et surtout avec des concentrés, des brisures, des farines et des tourteaux de soja. Mais surtout, elle ment sur les vaches, dont les neuf dixièmes du troupeau français sont écornées.

Les éthologues sont pourtant formels : les vaches sont des animaux dont les troupeaux sont de vrais édifices sociaux. Chaque vache a sa place dans le groupe. La communication entre elles se fait par des mouvements de tête cornue pour de multiples messages, dont la gestion de la place dans le troupeau à un instant « t ». Les cornes sont bien un organe ­nécessaire à la formation de l’espace vital des bovins. Il suffit de tracer les déplacements des ­bovins cornus et écornés pour comprendre que les seconds sont perdus dans leurs mouvements. Priver une vache de cet organe ­vivant, irrigué de sang et nécessaire à sa spatialisation, est une pratique détestable de mal-être animal. Détestable parce que l’ébourgeonnage consistant à cautériser avec fer à très haute température un « bourgeon » de corne sur les veaux âgés de 3 mois, voire l’ablation chimique avec une pâte, cause une vraie douleur aux animaux : seuls 8 % des éleveurs la prennent en compte en utilisant des sédatifs ou des analgésiques. Détestable parce que l’écornage procède d’un mensonge sur son rôle. On met en avant les risques d’accident avec les éleveurs, alors que cette pratique américaine visant à réduire l’espace des vaches en stabulation, les stresse et cause leur agressivité. Les éleveurs en biodynamie donnent assez de place aux bovins et ne se sentent exposés à aucun danger. La réalité est donc bien écono­mique, et la sélection génétique pour avoir des vaches sans cornes n’augure rien de bon sur les manipulations dont sont capables les apprentis sorciers du vivant.

S’il fallait prouver aux industriels de l’élevage que les bovins ne sont pas des machines, les vidéos qui circulent sur les réseaux ­sociaux montrent de plus en plus de vaches tentant d’échapper à leur vie concentrationnaire. Plusieurs vaches se sont fait la belle sur le chemin de l’abattoir aux Pays-Bas en décembre dernier. L’une d’elle se cache durant deux mois dans une forêt. Des hashtags comme #JesuisHermien, #GoHermien, #Mekoe (« moi vache » en hollandais) alertent la population jusqu’à la famille royale qui met la main à la poche lors d’une campagne de crowdfunding pour sauver ce jeune bovin de 3 ans et demi. ­Depuis la fin de sa cavale, il y a dix jours, Hermien coule des jours heureux dans les prés d’une association frisonne qui lui évite ainsi qu’à ses semblables de finir en steak.

Il est grand temps de revoir les pratiques d’élevage en France. Il faut organiser une transition pour abolir les méthodes américaines d’élevage intensif vouées à l’échec. Elles sont nocives pour les animaux qu’elles font souffrir et rendent malades. Elles produisent du mauvais lait, de la mauvaise viande. Elles sont polluantes pour les sols, et la nourriture vient parfois du bout du monde. Toutes les plus belles vaches de France peuvent bien défiler à Paris, elles ne masqueront pas le triste sort d’un troupeau français soumis à des conditions indignes de nos plus belles traditions agricoles.


Tribune publiée le 28 février 2018 dans Libération


Sur le blog

« Les cornes du bien-être animal » (Gilles Fumey)

« Les cornes de l’identité suisse » (Manouk Borzakian)


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3 réflexions au sujet de « Dans la vraie vie, les vaches ne font pas salon »

  1. Bonjour,

    Je suis souvent d’accord avec vous, car vous écrivez de beaux articles, très proches de la réalité. Mais là, je ne suis pas d’accord. En tant éleveur, mais aussi j’écorne mes veaux, mais TOUJOURS SOUS ANTI INFLAMMATOIRE ET ANESTHESIE ; C’est beaucoup plus simple et moins contraignant pour l’animal et l’éleveur. C’est vrai que l’espace vital est réduit avec des animaux écornés, mais franchement, c’est beaucoup mieux. Moi, je déteste voir une petite balafre sur le corps d’un animal. Pour les sans cornes, il y a des races génétiquement sans cornes, Angus par exemple certaines souches Hereford et pour les autres, certains animaux avaient génétiquement déjà des cornes tombantes, (sans os) qui ont fini par devenir de vrais sans cornes. Même si le caractère sans cornes est un caractère dominant, c’est loin de ‘marcher’ à tous les coups. Je peux vous le garantir. Pour les chèvres, idem, certains animaux à la l’intérieur d’une même race ; Alpine, saanen… sont génétiquement sans cornes. Je ne sais pas pourquoi.

    Si vous vous souvenez de moi, je suis le ‘paysan’ qui avait perdu la moitié de son troupeau. Eh bien, pas de chance pour nous, nous avons perdu en appel. Le rapport de l’expert est tellement bidon. Très déçu et nous sommes même condamnés à payer une amende. Vraiment la honte! L’affaire est trop vieille et personne ne veut nous défendre. Tout le monde pense que nous sommes les méchants. Pourtant, cette histoire de vaches mortes a vraiment marqué les esprits. Pas plus tard que cette semaine, une jeune fille qui cherche un job, est venu chez nous et nous en a parlé, 8 ans après. Il aurait fallu de beaux articles dans les journaux Parisiens. Je prie pour que ma pièce de théâtre marche bien. Les violences conjugales, c’est quand même un sujet d’actualité. Et là, si j’ai la chance de faire une télé, que l’on m’invite pour en parler, un paysan qui écrit, ce n’est pas courant, je remets le couvert, sans problème!

    Par contre, pour le réchauffement climatique, c’est vraiment inquiétant. Cet hiver, nous avons eu quelques petites gelés blanches, mais rien de bien méchant, alors que nous arrivons au creux de l’hiver. Entre frères et amis, on se raconte des souvenirs d’enfance, avec de la vraie glace sur les mares. Triste à mourir pour les prochaines générations. Je crois que la majorité des personnes ne sont pas consciente de l’énorme danger qui plane sur nos têtes blondes. Il y a trop d’enjeux financiers. Il ne faut pas croire que les assurances rembourseront chaque toiture envolée, le nettoyage d’1 mètre de boue dans la maison, avec tous les dégâts électriques….

    Bien à vous, Alain Charbonneau

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