Le cornes du bien-être animal

Surprenants Suisses qui votent pour les cornes de leurs vaches ce 25 novembre. L’enjeu pour le bien-être animal est celui d’un modèle d’élevage pervers, pollueur, hypocrite dont il faut se débarrasser. (Gilles Fumey)

Dans l’indifférence générale, on a laissé les éleveurs américains, maltraitant leurs animaux dans des feedlots, convaincre les Européens que l’avenir de l’élevage était d’enfermer les bêtes. Après l’extermination des bisons de la Grande Prairie, il fallait « rationaliser » la production de viande dans ce qui deviendrait des fermes usines. N’ayant jamais eu de campagnes agricoles comme des millénaires d’histoire en ont fabriqué en Europe et en Asie, les embobineurs n’ont pourtant pas eu d’efforts à faire pour rallier les Européens à leurs idées : une vache couchée en stabulation prend trop de place pour un éleveur américain obsédé par ses profits en enfermant le plus possible d’animaux dans le moins possible d’espace. Les industriels de la viande ont alors inventé l’argument consistant à dire que les cornes des bovins étaient inutiles. Puis, dangereuses pour les éleveurs, cherchant quelques cas d’imprudents mal formés au métier de paysan qui s’étaient fait encorner (pas la moindre statistique sur ce type d’accident).

Les mêmes embobineurs qui ne connaissent pas l’éthologie des bovins ont fait valoir, enfin, que l’écornage était juste une formalité technique. Les éthologues sont pourtant formels sur la souffrance des bêtes lorsqu’on « ébourgeonne » la corne du veau ou lorsqu’on la scie sur les bêtes à l’âge adulte (on passera sur ceux qui utilisent carrément la tronçonneuse – pratique interdite par la loi).

Les Suisses portent donc au débat public ce modèle agricole barbare lors de la votation du 25 novembre 2018. « Les fermes disparaissent, les animaux mangent n’importe quoi, ça ne va pas. Si j’étais conseiller fédéral, je changerais tout ça. Blitzschnell ! Il faut rendre leur dignité aux bêtes » s’indigne Armin Capaul, 67 ans, l’éleveur suisse qui, en 2013, a recueilli 18 000 signatures. En 2016, l’affaire des cornes est devenue celle du bien-être animal.

Les vaches écornées perdent leur système de guidage et de communication dans le troupeau. Comme tous les animaux sociaux (fourmis, abeilles, éléphants…), les vaches organisent leur espace vital par des signaux envoyés par les cornes constituées d’un tissu sanguin très dense. Elles se touchent les cornes, peuvent se chamailler mais rarissimes sont les accidents. Avec leur tête, elles signalent leurs intentions aux autres: si les cornes sont portées vers l’avant, elles indiquent leur mécontentement, ou la soumission avec la tête baissée, la curiosité avec la tête haute. Ecornées, elles sont aussi handicapées dans l’espace qu’un chat auquel on aurait coupé les moustaches. Leur hiérarchie peut se construire avec des affrontements comme ceux que les Valaisans mettent en scène avec les combats des reines. Dans les troupeaux, la hiérarchie sociale (en quelques dizaines de minutes suivant la constitution d’un troupeau avec des bêtes ne se connaissant pas auparavant) permet de régler les conflits de manière non violente. Une hiérarchie se constituant à partir de critères comme le poids, la force, la taille des cornes…

« Voter sur les vaches, c’est magnifique » s’enthousiasme Diccon Bewes, le Suissologue. « Les cornes sont des organes vivants. Le cœur [des Suisses] ferait pencher la balance pour l’initiative d’Armin Capaul. Mais la tête réagit autrement : elle se demande si ces appendices sont dangereux et comme il ne s’agit pas d’interdire aux éleveurs de couper les cornes mais de verser des subventions à ceux qui les laissent, d’où viendra l’argent. »

Les cornes des vaches sont un sujet de politique, de biologie, d’éthologie, de morale. L’hypocrisie des éleveurs qui font la moue s’exprime parfois par la honte qu’ils ont de montrer des vaches écornées au Salon de l’agriculture à Paris ou dans leur communication institutionnelle. On la mettra sur le compte de toutes ces mutilations pratiquées dans l’élevage industriel sur les porcs, les poules, les moutons.

Lanza del Vasto pensait : « Le diable a deux cornes : l’orgueil et le mensonge. » Telles sont les organes de ce diabolique traitement des animaux dont il faut espérer que les Suisses porteront les enjeux pour l’Europe face à une Amérique jugée barbare.

Source : lematin.ch


Sur le blog

« Dans la vraie vie, les vaches ne font pas salon » (Gilles Fumey)

« Les cornes de l’identité suisse » (Manouk Borzakian)


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