Toqués de cartes

Concours Carto

À Angers, deux enseignants d’histoire-géographie, Olivier Godard et Marie Masson, ont lancé il y a douze ans « Concours Carto ». Ils sont aujourd’hui des milliers de participants. Retour sur une histoire peu banale dans l’Éducation nationale. Entretien avec Olivier Godard. (Gilles Fumey)

Géographies en mouvement – Concours Carto, c’est un immense succès ? Donnez-nous une idée chiffrée du nombre de passionnés de cartes qui y participent.

Olivier Godard – L’association Concours a commencé ses activités à la rentrée scolaire 2010-2011 avec deux classes de Quatrième soit 50 élèves qui ont participé au premier concours. Dix ans plus tard, ce sont six concours qui sont organisés pour des élèves du primaire (CM) jusqu’aux classes prépas en passant par le collège et le lycée. On a compté plus de 4500 élèves inscrits pour une centaine d’enseignants participants. Les chiffres donnent un peu le tournis car rien de cela n’était prévu à l’origine.

Pour l’anecdote et puisque nous parlons chiffres, cette année nous allons passer le cap des 2000 cartes réalisées dans le cadre du Concours Carto Quatrième.

GEM – Comment vous est venue cette idée de mobiliser les élèves et leurs enseignants autour de cette passion que vous partagez avec eux ? Les classes de géographie ne suffisaient donc pas ?

OG – En 2010, nous avons décidé, avec ma collègue Marie Masson, de faire travailler nos deux classes de 4ème sur un concours de cartographie qui les opposerait. Nous avions réfléchi alors à un concours de photographie géographique, mais la carte nous a paru le meilleur vecteur pour faire travailler les potaches : rechercher des informations, classer avec une légende organisée répondant à une question, dessiner un croquis. Un travail en lien avec les programmes et en équipe.

La première carte du concours, en 2010: La Provence (c) Concours Carto 4ème…

Cette idée a si bien pris que nous sommes passés de ce concours Carto 4ème avec deux classes en 2010 à six concours pour plus de 4600 élèves d’une centaine d’établissements en 2021. Tous les concours voient les élèves/étudiants constitués en classe et s’affronter toute l’année avec des croquis. En fin d’année scolaire, nous désignons les grands vainqueurs de la saison.

…et 10 ans plus tard, en 2021 (c) Concours Carto 4ème

Nous avons également créé deux Concours Carto Imaginaire et d’Actualité pour les CM, 6ème et 5ème d’un côté et les 4ème, 3ème et 2nde de l’autre. Dans ces deux concours, on pose un sujet et on demande un croquis pour classer les lauréats. Pour le Concours Carto Imaginaire, on propose un sujet d’anticipation géographique : Habiter sous terre, Habiter Mars, Imaginer un territoire pour mieux manger, etc., où les élèves doivent mettre leurs connaissances géographiques au service d’un croquis de territoire, on leur demande beaucoup d’imagination tout en l’ancrant dans les problématiques environnementales et politiques. Pour le Concours Carto d’Actualité il s’agit de mettre en carte un article de presse : les élèves ont déjà travaillé sur les îles Kiribati, le tourisme à Haïti ou encore le réchauffement climatique au Groenland.

Enfin, on a ouvert un concours à destination des enseignants : le Concours Carto Profs. On demande aux collègues de transformer un article de presse ou un reportage vidéo sur un sujet annuel en un croquis. La particularité de ce concours, c’est que les croquis sont évalués et commentés par les élèves qui participent au Concours Carto 4ème.

GEM – Tout cela est bien beau, mais l’apprentissage par la compétition, l’élimination des moins forts, tout cela n’est pas très gratifiant pour ceux qui échouent au classement. N’y a-t-il pas des écoles qui, justement, valorisent les talents sans opposer les élèves ?

OG – Vous mettez le doigt sur un des drames de notre travail. Qui dit concours dit en effet classement et donc élimination. Pour les concours qui se déroulent sur toute l’année on privilégie l’apprentissage cartographique sur la durée. Les élèves de 2nde et des classes Prépa participent à un premier tour au cours duquel ils produisent deux ou trois cartes « qualificatives » soit pour tenter de marquer un maximum de points pour les premiers, soit pour s’entraîner pour les seconds. Ensuite il existe une épreuve finale où les talents accumulés peuvent s’exprimer à merveille !

Pour le Concours Carto 4ème les élèves peuvent ne produire qu’une carte, en effet, et être éliminés après. Nous avons donc prévu tout un système de commentaire et de notation des cartes qui se poursuit toute l’année et qui prévoit des récompenses pour eux. Les meilleurs élèves, récompensés en fin d’année scolaire ne sont pas seulement les meilleurs cartographes mais aussi ceux qui auront réalisé les meilleurs commentaires et ceux qui auront été les plus objectifs.

Pour les Concours Carto Imaginaire et d’Actualité, les élèves peuvent progresser sur plusieurs années en participant aux concours d’une année sur l’autre. On a vu émerger quelques beaux palmarès d’élèves qui ont travaillé sur nos concours du CM1 à la classe de 2nde.

Tout n’est pas parfait évidemment mais nous avons comme objectif de faire progresser les élèves dans le langage cartographique. C’est là notre ambition principale.

GEM – Comment analysez-vous cette passion pour le langage cartographique ? Est-ce la simplification du message ? Un autre type de lisibilité ? Une manière de synthétiser ?

OG – Le langage cartographique est, pour les élèves, une langue vivante à apprendre. Elle possède sa propre grammaire mais elle présente aussi l’avantage de pouvoir être renouvelée à l’envi. Au départ, comme tout langage nouveau, il y a des bases à connaître. On décrit des cartes à chaque heure de cours. On constate qu’une carte, un croquis ou schéma qu’on peut définir avec eux rapidement sont constitués d’éléments fondamentaux (légende, orientation, projection…). Les figurés doivent permettre aux lecteurs de comprendre d’un premier coup d’œil le message de la carte.

Il faut donc étudier avec eux les différences qui existent entre figuré de surface, figuré linéaire et figuré ponctuel, le sens de chacun et la raison pour laquelle on en utilise un et pas un autre. Ensuite, leur limite est souvent l’imagination : représenter une forêt est simple, une route aussi mais comment différencier des flux de marchandises importées et exportées, comment représenter une métropole, comment indiquer qu’une région est peu peuplée parce que le relief y est trop accidenté ? C’est là où le travail devient intéressant. L’apprentissage de la cartographie en classe devient un plaisir : les élèves débattent, réfléchissent, s’amusent. Ensuite, il leur faut s’atteler à la construction d’une légende, chercher des titres. C’est un travail complet qui met en œuvre toutes les compétences que les élèves doivent acquérir en géographie.

GEM – Comment la cartographie comme outil peut-elle faire aimer la géographie ?

OG – Les cartes sont souvent accompagnées de photos pour faire le lien avec les paysages. Se plonger dans un territoire par la carte, agencer des lieux, voir comment ils « fonctionnent », tout cela peut être passionnant. Qui n’a jamais laissé libre cours à son imagination sur un planisphère ou une carte routière ?

L’exercice cartographique permet à toutes et à tous de « faire de la géographie », littéralement « écrire la Terre », rechercher des données, les ordonner, les écrire, les mettre en couleur. On « articule » ses connaissances et on peut comprendre ce qu’il se passe partout sur cette planète. La cartographie, avant le texte, est l’outil idéal pour apprendre la géographie avec les plus jeunes car c’est un outil de repérage.

GEM – On dit que les cartes mentent souvent… Qu’en dites-vous ?

OG – D’une certaine manière, les cartes mentent toujours car elles émettent toujours un point de vue : celui de leur créateur et celui de l’environnement économique, social et culturel dont il est issu. Une carte, c’est de la subjectivité assumée.

Nos élèves, lorsqu’ils font des croquis, ne mentent jamais de manière volontaire mais très souvent par maladresse ou parce qu’ils ne veulent plus faire de recherche et placent un figuré au hasard sur leur fond de carte un peu comme un cartographe du 17e siècle plaçait un monstre dans un espace en blanc sur sa carte pour ne pas laisser un vide.

GEM – Votre rêve pour Concours carto dans dix ans ?

OG – Notre rêve est de durer. Aurons-nous l’énergie pour le faire ? Les collègues qui sont les chevilles ouvrières de cette association donnent beaucoup de leur temps pour toutes ces activités. Nous devons chercher des soutiens, d’où qu’ils viennent : collègues du secondaire, de l’université, cartographes professionnels et toutes les marques de reconnaissance.

Dans dix ans, nous pourrions imaginer des concours « institutionnalisés » comme le sont certains concours d’échelle nationale. On reconnaîtrait les efforts de tous les collègues organisateurs qui auraient un cadre de travail adapté au temps que nous passons à faire fonctionner cette association. Allez savoir ! Nous allons de surprises en surprises tous les ans.

GEM – Votre carte préférée ?

OG – Je prendrais une carte ancienne, n’importe laquelle, celle devant laquelle je peux passer des heures à regarder des contours dessinés souvent maladroitement au regard de nos standard contemporains, à lire les toponymes souvent étranges d’un monde passé, regarder ces blancs à l’intérieur des continents, aller jusqu’aux « limites » de la carte, là où le dessinateur n’a jamais mis les pieds, voir ces blancs remplis de figures monstrueuses, se dire que certains croyaient encore y trouver des êtres ou des cités merveilleuses (pensons à l’Eldorado, pays des Amazones, à l’origine du toponyme Amazonie). C’est un regard d’enfant qui persiste aujourd’hui et que je retrouve dans le regard des élèves lorsque l’on borde un espace qu’ils ne connaissent pas.

Si je reprends la question du point de vue de l’enseignant et des concours de cartographie que l’on a créé, je pense immédiatement à cette carte :

Nous sommes dans l’hiver 2010-2011. Le premier Concours Carto 4ème a été lancé depuis quelques semaines. François et Amin, deux jeunes élèves de la classe inscrite au concours me présentent ce croquis dont le sujet était « L’organisation du territoire du Pas de Calais ». Ce qu’ils ont rendu ce jour me paraît d’une qualité exceptionnelle. Certes, ces deux élèves intéressés par le cours ont de bons résultats mais je n’imaginais pas à quel point ils pouvaient être capables de s’emparer du langage cartographique pour réaliser un tel croquis avec une légende organisée.

Des jours comme celui-ci, je ressens tout le plaisir d’être enseignant, d’avoir permis à des élèves de découvrir leur talent grâce à la cartographie.

Pour l’anecdote et si vous en doutiez encore, quelques mois plus tard et après trois autres croquis encore plus travaillés que celui-ci, François et Amin ont été les premiers lauréats du Concours Carto 4ème et douze ans plus tard, on en reparle encore avec eux lorsque je les croise.

GEM – Oui, mais sur la carte du Nord-Pas-de-Calais (Xavier Bertrand ne doit pas être content que vous ne reteniez pas « Hauts de France » inspirée par la position « en haut » d’une page sa région), ce qui se passe à Calais avec les migrants est passé sous silence, c’est quand même une conséquence de la situation frontalière d’un territoire organisé aussi par ses contacts ?

OG – Une carte ne raconte que l’époque qu’elle raconte dans un lieu précis ! Il s’agit ici d’une carte de 2011. Elle nous montre une région qui existait avant la réforme territoriale de 2015 et la création des Hauts de France.

À cette date il existe déjà des tensions sur le plan migratoire sur ce territoire dont le nom de Sangatte résonne encore mais les élèves de 4ème qui ont fait cette carte ont choisi de ne pas en parler : peut-être par méconnaissance ou parce que le sujet était « L’organisation du territoire du Nord-Pas de Calais ». Il ne s’agit sûrement pas d’une volonté délibérée de la part des élèves. On atteint là les limites d’un exercice scolaire : malgré toute leur bonne volonté et le talent exprimé ici il y a eu des oublis. Pour les connaître encore douze ans après je peux vous dire que les deux auteurs sont devenus des citoyens parfaitement conscients des enjeux de ce monde et j’ose croire que ce concours de cartographie durant leurs années de collège les a aidés.


Site du concours : Concours Carto


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Quelques cartes

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