
C’est un combat comme un autre : permettre au passé de ne passer si vite, à défaut de récupérer ce qui est destiné à l’éducation. L’architecture des colombages fascine. Est-ce parce qu’elle est dispersée et plutôt rare et qu’elle est sacralisée jusqu’à une forme de fétichisme ? (Gilles Fumey)
Dans nos pérégrinations d’été, nous parcourons des régions ou des centres-villes habillés de maisons à colombages préservées comme un patrimoine depuis moins d’un siècle. Elles furent un mode de construction courant dans l’histoire de l’architecture grâce à la praticité des matériaux (terre, paille, bois), leur simplicité, leur commodité à être maniés par des populations pas toujours très riches, leur relative robustesse permettant au moins à une ou deux générations de se succéder dans ce type de bâti.
Le géographe se demande pourquoi il en reste dans certaines régions et pas d’autres, à Tours, Troyes, Strasbourg ou Colmar, Vannes et pas à Besançon, Lyon ou Nîmes.

Quelle est cette géohistoire particulière pour chacune des villes et des régions ? Et peut-on dépasser les cas particuliers ? Il faut emprunter à la linguistique une loi applicable au champ du patrimoine : le principe du conservatisme des zones périphériques (PCZP). De quoi s’agit-il ? Juste une expression pour penser que là où il y a des colombages, on a les résidus d’une ancienne pratique architecturale qui semblait généralisée en France et en Europe occidentale. Cette architecture rustique aurait ensuite reculé devant la construction en brique et en pierre et, plus récemment, le béton. Elle donne des quartiers, en général, qui attirent les classes sociales éduquées (dans les centres villes) ou aux revenus modestes (lorsque le bâti est mal fichu).
Il ne faut pas se fier aux quelques façades iconiques de tel restaurant ou boutique carte-postalisées. À Rennes, la rue de la Soif comme à Tours et son quartier Plumereau, les fêtes nocturnes ont fait fuir les anciens résidents. En France, c’est dans les régions frontalières, aux confins du pays comme le Pays basque, la Bretagne ou l’Alsace, que les colombages ont mieux résisté devant les pierres, granit, grès, silex, calcaire, basalte, schiste. Exception faite de la Normandie et de la Champagne.
Ces architectures en pierre nécessitaient des tailleurs expérimentés, des modèles économiques d’extraction des roches, des systèmes de roulage, des populations prêtes à payer le surcoût de maisons plus longues à bâtir. Et elles ont été longtemps le privilège des villes.

En Normandie et Bretagne, les destructions tardives des deux dernières guerres ont permis de les valoriser comme des reliques des villes anciennes. À Paris, les maisons à colombage de l’île de la Cité ont été rasées en dehors de la place Dauphine et du quartier cathédral car, quand Haussmann détruisit les quartiers centraux, on faisait acte de salubrité publique. Aujourd’hui, il reste quelques îlots qui ont échappé à la destruction, qui comptent dans les étages parfois des colombages, comme on en voit dans le quartier Saint-Séverin. Ailleurs, on a eu des secteurs sauvegardés comme la cité épiscopale d’Albi qui a été protégée par la relative somnolence économique de la ville.
Chaque histoire locale ajoute une note particulière à cette vaste partition géohistorique de notre architecture. Mais qu’on se le dise : les colombages sont bien des témoignages d’une architecture vernaculaire qui était la règle avant l’arrivée des Romains par le Sud et des Vikings par le Nord, qui ont apporté d’autres modèles. Raison de plus pour sortir du lot ces habitats rustiques, témoignant d’un passé où les villes ne pratiquaient pas la ségrégation sociale comme aujourd’hui.
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