L’université, ses « miracles ordinaires »

L'université pour quoi faire?

Vilipendés et incompris des politiques, les universités, les laboratoires et leurs 265 écoles doctorales, 82 prix Nobel et 12 médailles Fields méritent mieux que les étiquettes qu’on leur colle depuis l’espace public.

Il est de bon ton au moment où Parcoursup joue à une forme de loterie avec des algorithmes impubliés, de dénigrer ces institutions pour mieux les éviter. Notamment les premiers cycles présentés comme des machines à échouer. Sait-on seulement qu’un grand nombre d’étudiants est loin d’y avoir le niveau requis ? Ils quittent des lycées dont la grande majorité signent l’échec des politiques Chevènement de la deuxième massification de l’enseignement dans les années 1980.

Stéphane Beaud et Mathias Millet ont réuni neuf collègues pour ausculter ces « usines à chômeurs » ainsi qu’on baptise les filières des sciences humaines. Presque millénaires, les universités assurent une promotion sociale à des centaines de milliers de jeunes chaque année, notamment ceux issus des classes populaires qui n’auraient pas eu accès aux grandes écoles pour des raisons culturelles ne tenant pas qu’au financement des études.

La critique cinglante d’un « récit néolibéral et managérial » justifiant la différenciation des universités, de ceux qui cherchent et y enseignent, rappelle cette longue histoire des attaques contre ces établissements, soumis aujourd’hui à une épuisante course aux financements. Sans remonter comme le fait Christophe Charle au début du 20e siècle, on rappelle que « les mesures prises depuis 2005 vont toutes dans le sens, non de la démocratisation, mais de l’élitisation, de l’alliance des forts entre eux contre les faibles abandonnés à leur triste sort : PRES, plan Campus, création de l’ANR, l’AERES devenue HCERES, LabEx et autres Epuipex, Idex… » donnant avec l’impression « d’éternel retour des discours sur les réformes, des solution toujours annoncées et jamais mises en œuvre ou des « agendas » venus d’ailleurs (OCDE, Banque mondiale…) ».

Pour les auteurs, l’origine des échecs successifs, c’est l’improvisation des réformes. Comme à l’hôpital, le new public management conduit à des déséquilibres financiers abaissant les taux d’encadrement. Machiavélisme ? Incompétence ? Les deux, sans doute. Mais aussi, en amont, Parcoursup, dont « le grand méchant loup se loge dans les structures du jugement scolaire de l’enseignement secondaire » et dans les fantasmes qu’entretiennent les médias sur les bonnes études à faire ou pas.

Avec 800 000 nouveaux étudiants depuis la présidence de F. Mitterrand, les dotations par étudiant ont constamment baissé. Rien qu’entre 2010 et 2019, c’est -12%. Pour Isabelle This Saint-Jean, le bilan est « sombre ». Jean-Luc Deshayes dénonce des politiques qui dénient le travail étudiant. Alors que près de la moitié des étudiants travaillent pendant l’année pour payer leurs études, il faut rappeler qu’en 1943, le Conseil national de la Résistance avait déjà imaginé un « présalaire » pour les étudiants, reconnaissant « leur qualité de travailleurs déjà qualifiés ». Deshayes regrette le raisonnement « économiciste » dominant dénoncé aussi par Philippe Aghion et Elie Cohen[1].  Et tous plaident pour une université constituant « l’un des derniers lieux du savoir désintéressé et critique ». L’affaire abracadabrantesque de l’islamo-gauchisme lancée par une ministre dont des dizaines de milliers d’universitaires réclament la démission est édifiante.

Compte tenu du fait que l’université conduit des millions de jeunes vers le travail, les sociologues Romuald Bodin et Sophie Orange parlent de « miracles ordinaires », si on les rapporte aux faibles moyens alloués. Sur ce sujet, les économistes David Flacher et Hugo Harari-Kermadec regrettent de voir que cette sous-dotation trouverait sa solution dans une augmentation graduelle des frais d’inscription, conduisant forcément les étudiants à s’endetter. Ils dénoncent un « énorme cadeau aux banques qui se double d’un fardeau pour les étudiants et pour l’État ». Car en Angleterre, près des trois-quarts des étudiants ne parviendraient pas à rembourser intégralement leurs frais. La Cour des comptes saura-t-elle convaincre les politiques lorsqu’elle « reconnait elle-même les limites d’une réforme basée sur la hausse des frais d’inscription » dans son rapport de 2018 ? Pas sûr.

Il faut lire ce livre qui ouvre les horizons sur des points controversés comme le financement, l’échec des premières années dans certaines filières, les orientations universitaires des femmes de milieux populaires, la politique de la recherche dont l’irréalisme est illustré par l’octroi du prix Nobel de chimie 2020 à une Française, Emmanuelle Charpentier formée à l’université Pierre-et-Marie-Curie (aujourd’hui Sorbonne Université) qui travaille au Max Planck Institute à Berlin. L’université française mérite mieux qu’un tel camouflet politique.


[1] Éducation et croissance, Paris, La Documentation française, 2004. A. Authier et alii., « La situation financière des universités », IGF-IGAENR, 2013.


Stéphane Beaud & Mathias Millet (sous la direction de), L’Université pour quoi faire ?, PUF, 2021.


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