Entre ses origines anglo-hollandaises, son appropriation par de nombreux pays d’Afrique subsaharienne et les investissements actuels des industriels chinois, le wax, dit « tissu africain » raconte la mondialisation, l’impérialisme, mais aussi les liens complexes entre consommation et identité.
Anne Grosfilley, qu’on avait remarquée au Festival mondial des arts nègres à Dakar en 2010 et lors de l’exposition Seydou Keïta au Grand Palais à Paris en 2016, a cherché à Manchester ce qui restait des usines de wax. Elle est la première surprise lorsqu’elle découvre qu’ils sont hollandais ! Et se demande «pourquoi jusqu’en Occident, des femmes africaines se parent de ce tissu fabriqué en Europe» avant de réaliser qu’elles ne le portent qu’en privé, le portent en grande estime comme «tout bon parfum est français, un bon wax est anglais ou hollandais» !
Attention, la géographie pousse à citer les tissages aso-oke du Nigeria, des kente du Ghana, des cotonnades teintes à l’indigo ou dans des couleurs chatoyantes. Certains renvoient à une histoire du coton filé, tissé, teinturé à l’indigo sur la falaise de Bandiagara au Mali il y a mille ans. Une explication sur le rôle que joue aujourd’hui la boucle du Niger, et tous les stylistes et modistes du Mali et d’ailleurs.

Visco Waxwax © Wax & Co. Anthologie des tissus imprimés, Anne Grosfilley, 2017
On n’évoque pas la qualité, depuis les damassés de facture autrichienne jusqu’aux simples boubous en basin dont les étoffes sont importées de Chine mais permettent, pour Anne Grosfilley, de «restaurer un sentiment de fierté, d’élégance chez des personnes aux revenus modestes, les mêmes qui ne fréquentaient pas les friperies que par nécessité car réduites à se vêtir avec les poubelles de la bonne conscience occidentale».
Des tissus « africains » avec des capitaux chinois

« Fooker ou l’argent s’envole » de Tonnie Wouda, 1949. Gde popularité milieu années 1990 au Ghana. Choisi par Agnès b. et la Maison © Wax & Co. Anthologie des tissus imprimés, Anne Grosfilley, 2017
Pour lors, les entrepreneurs maliens de la Comatex (Compagnie malienne du textile) sont tenus par des capitaux chinois. Des groupes hongkongais comme Cha Textiles organisent toute la filière (12 millions de mètres d’African print, grâce à 20 000 employés sur un continent menacé par la désindustrialisation, le pillage par les Chinois des dessins du Hollandais Vlisco.
Pour Anne Grosfilley, l’ère des conflits entre Anglais et Hollandais devrait être révolue. Les tissus «africains» ne sont pas que des textiles, mais des symboles qui pourraient être, osons-le comme géographes, protégés par l’Organisation mondiale du commerce, comme on protège les nourritures paysannes par les appellations d’origine.
Anne Grosfilley montre, dans un très beau livre paru en 2017, comment on passe des indiennes au wax, quels sont les procédés de fabrication, qui partage le marché (façons et contrefaçons), comment on passe du tissu au vêtement avec les magazines, les objets, la vie urbaine et même… le patriotisme.
Et les marques, comment naissent-telles ? En 1985, Patrick Liversain, directeur marketing d’Uniwax propose une ligne d’imprimés – non de wax – baptisée Woodin pour vendre des collections thématisées en édition limitée et créer des tendances. Une vision occidentale contraire à la manière dont sont pensés les wax (parfois centenaires). « Woodin le créateur » cible les jeunes aisés de 18-25 ans, jeunesse urbaine, festive qui voyage en Europe et qui va inspirer l’idée d’une promotion à partir d’Abidjan de l’african way of life. En Europe, Woodin surfe sur la vague indigo, crée des tee shirts, recrute des mannequins, s’installe sur les réseaux sociaux. L’african print démarre ainsi.

© Wax & Co. Anthologie des tissus imprimés, Anne Grosfilley, 2017
Les artisans locaux apportent aussi des anciens tissus, leur répertoire traditionnel pour des tissus qui ne sont pas que vestimentaires. Et dans les petites séries, ils peuvent en montrer aux industriels à l’affût des nouveautés. Si vous aimez les animaux sans avoir envie de les chasses, vous ferez honneur aux gazelles, lions, crocodiles, araignées, porcs-épics (Ghana), tortues, paons, papillons, singes, serpents, pintades, coqs, hirondelles, poissons (évoquant la prospérité), crevettes… qui agrémentent des décors rappelant la terre, la flore. Qui peuvent métisser des types d’imprimés dont la variété est infinie.
Les artistes plasticiens n’ont pas dit leur dernier mot. L’internationalisation du wax depuis quelques années porte en elle une force politique. En 2016, le Sénégalais Omar Victor Diop composait une série Wax Dolls, poupées de cire, invitant à une réflexion sur l’utilisation massive du wax : quels liens entre désir de consommation et identité ? Quant au plasticien Yinka Shonibare, Nigérian étudiant à Londres qui exposait en 1994 Double Dutch pour renvoyer le wax à ses origines hollandaises, il présente des mannequins sans tête, habillés à la mode victorienne avec des tissus wax, dénonçant les vices des classes dominantes européennes. Une oeuvre violente, lyrique et engagée, comme le souligne Anne Grosfilley, résumant « l’ambiguïté intrinsèque » du wax, « produit de l’impérialisme qui a su toucher les coeurs et continue de transmettre les messages dont est porteuse l’humanité ».
Anne Grosfilley, Wax and co. Anthologie des tissus imprimés d’Afrique, La Martinière, 2017.
Anne Grosfilley, Wax. 500 tissus, La Martinière, 2019.
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