Le petit-déjeuner, quel casse-tête!

Gilles Fumey, Feu sur le breakfastQu’avez-vous mangé ce matin ? Vos enfants sont-ils à l’école le ventre vide ? Les céréales sont-elles de la malbouffe ? Le jus d’orange est-il une bonne idée ? Rien ne vaut la géographie pour penser nos séquences du matin.

 

Sondez-les, car ils sont cachés, ceux qui n’aiment pas manger le matin ou qui ne mangent rien, parfois en s’excusant. Parce qu’on serine que « le petit déjeuner est le repas le plus important de la journée ». Ces adeptes d’une journée à deux repas ne sont jamais aussi heureux qu’en Italie. Dans les rues de Rome et de Milan, le matin, ils croisent leurs semblables, accoudés au bar du coin, à déguster un espresso ou un ristretto sans sucre, cherchant les arômes sous la crema, la mousse onctueuse. L’eau frémissante a percolé dans une fine mouture et émulsionné les huiles contenues dans le café qui a perdu son amertume. Ce bonheur du matin leur suffit. Aux plus costauds, un cornetto dans la matinée !

Salé au nord, sucré au sud !

À deux cents kilomètres au-dessus des Alpes, les Bavarois, Saxons et Rhénans se sont attablés, enfournant saucisses, bagels, omelettes, fromages avec de généreuses décoctions de café. Voici donc le breakfast, rattrapé par la géographie. En Europe du nord, le salé, au sud le sucré.

Cette géographie ne vient pas de nulle part. L’époque romaine a largement façonné le rapport des Italiens à la nourriture, notamment en situant le repas le plus important de la journée, la cena, le soir. Au diable, les injonctions des nutritionnistes de l’agroalimentaire dont se fichent les Italiens ! Et de fait, les repas copieux du soir expliquent largement les petits-déjeuners inexistants ou presque, que le seul café, venu d’Istanbul, a agrémenté depuis le XIXe siècle. En Allemagne et dans le monde anglo-saxon, c’est le Moyen Âge qui a laissé le plus de traces : pain toasté issu du tranchoir, saveurs salées et épicées, café généreux, l’Angleterre ajoutant les muffins, les œufs et le bacon, les États-Unis les céréales et le jus d’orange. L’industrie envoie des nutritionnistes porter la bonne parole d’un repas dont elle s’occupe…

Petit déjeuner, céréales

Comment l’industrie s’occupe de nous. Des céréales issues de la lutte contre l’alcoolisme aux États-Unis.

45 minutes de jogging pour un croissant

Et les médecins, les biologistes, qu’en pensent-ils ? Nombreux sont-ils comme le Dr Frédéric Saldmann à rappeler que le cortisol est une hormone produite au réveil par nos corps pour mobiliser l’énergie emmagasinée de la veille et synthétisée par nos glandes surrénales. Une hormone qui nous dispense de tout apport énergétique durant les trois heures qui suivent le réveil. Et qu’on n’avale surtout pas de croissants au beurre, dont le médecin rappelle qu’il faut 45 minutes de jogging pour en consommer l’énergie d’un seul ! En soulignant dans la foulée : 30% de calories en plus (c’est à peu près ce qu’ont les humains surnourris du nord de la planète), c’est 20% de vie en moins…

Toute cette mécanique diabolique s’imbrique dans une longue histoire de nos cultures , urbanistique, une généralisation du travail salarié, une diffusion de rythmes sociaux commandés par nos modes de vie majoritairement confinés (au bureau, à l’école, à l’atelier ou l’usine, à l’hôtel, dans les transports…). On y retrouve les Grecs qui trempaient un morceau de pain dans du vin, les Romains et leur jentaculum, les anciennes organisations monastiques, les paysans et leurs rythmes circadiens. On croise Louis XIV et Napoléon au cours de leurs repas du matin. On y étudie la manière avec laquelle ce repas-là d’avant la révolution industrielle est devenu en Europe du nord et aux Etats-Unis un breakfast pris au saut du lit et non plus en matinée. On y évalue les résultats d’une politique de gribouille sur le lait à l’école et autres générosités malheureuses de l’Etat-nounou et des industries agroalimentaires.

Et pour ceux qui aiment toaster, raconter leur nuit à leurs proches, découvrir les autres cultures mondiales du repas du matin, il y a un long voyage pour comprendre ce qui nous va le mieux. N’hésitons pas à faire un reset sur nos pratiques alimentaires et ne nous laissons pas dicter des comportements qui peuvent, parfois, nuire à notre santé.


À lire: Gilles Fumey, Feu sur le Breakfast!, Terre urbaine, 2020.

Sur l’histoire du petit-déjeuner : Café pédagogique


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