(Locarno 2019) Léopard d’or pour « Vitalina Varela », de Pedro Costa

Vitalina Varela

À Locarno, les écrans, cette année, aiment le noir. Pas seulement pour la remarquable rétrospective Black Light, mais aussi le brillant clair-obscur de Vitalina Varela de Pedro Costa qui vient de recevoir le Pardo d’oro sur la Piazza Grande. Pour un film qui peut nourrir les études de géographie post-coloniale. (Gilles Fumey)

La rumeur du public enflait depuis deux jours sur les bords du lac Majeur. Vitalina Varela a scotché des milliers de festivaliers. Cette fois-ci, le huitième long métrage de Pedro Costa (depuis Le sang, 1989) allait séduire le jury du concours international présidé par Catherine Breillat. Un film caravagesque lié à l’histoire coloniale du Portugal, les migrants traités ici dans une écriture dense, des plans coupants, des tableaux d’une beauté qui prend à la gorge.

Vitalina Varela
Vitalina l’actrice (également primée pour l’interprétation féminine) avec le réalisateur Pedro Costa, Léopard d’or 2019.

Fasciné par les marges urbaines délabrées et les espaces fantômes, Pedro Costa revient à Lisbonne pour filmer un de ces drames migratoires qui serait banal si l’histoire de cette Cap-Verdienne, Vitalina Varela, n’avait pas été saisie par ce maître du noir qui en épuise toutes les nuances à la manière de Soulages.

Au Cap-Vert, dans une ancienne colonie portugaise, Vitalina est paysanne à Figueira das Naus comme la plupart de ses huit frères et sœurs. Son premier amour Joaquim Brito part pour un emploi de maçon qui lui laisse peu d’argent, sinon de quoi monter une baraque de briques dans le quartier relégué de Cova da Moura à Lisbonne. Sur les trente-cinq années qu’il passe en Europe, il revient au Cap-Vert et écrit deux lettres à Vitalina dont l’une avec un billet d’avion pour qu’elle le rejoigne. Trop tard.

Lors du premier retour, Joaquim et Vitalina entament la construction d’une maison non loin d’une chapelle de leur village natal. Mais au deuxième voyage, Joaquim à peine arrivé repart sous un prétexte difficile à comprendre pour Vitalina qui ne reverra plus son mari. Elle restera sans nouvelle alors qu’elle est enceinte d’un fils, Bruno qui ne verra jamais son père. Les échos de la vie lisboète de Joaquim sont incertains. Pourquoi est-il si souvent absent ? A-t-il réellement poignardé un copain de travail ? Il est retrouvé mort le 23 juin, enterré trois jours avant que Vitalina, alertée, arrive au Portugal.

Suscitant la méfiance dans le quartier où on ne la connaît pas, elle se cloître dans la maison de Joaquim où elle découvre les photos de ses conquêtes féminines et les visites de ses compagnons. Il lui faut se rappeler pour tout oublier : « Il ne reste plus rien de l’amour, cette clarté. » En tout cas, elle «ne pleurera pas les lâches ».

Film somptueux, diffusant une colère irradiante de chants tragiques, Vitalina Varela est un dispositif autant esthétique que narratif. La Vitalina actrice principale du film – qui reçoit aussi un Léopard pour la meilleure interprétation féminine – est une anti-héroïne offrant un poignant visage d’abnégation et de désillusions. Elle rejoue pour nous une pièce qu’elle a vécu dans la vraie vie et racontée par Pedro Costa alors qu’il cherchait… un lieu à Lisbonne pour tourner Cavalo Dinheiro en 2014.


À lire :

Julien Gester, À Locarno, baptêmes du jeu, Libération, 16.8.2019


Cette bande-annonce avec six plans fixes donne une idée de la beauté plastique du film. Vitalina Varela arrive au Portugal trois jours après les obsèques de son mari. Elle vient enterrer – avec quelle douleur – l’amour que lui avait promis Joachim le jour de son mariage.

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