Pour son deuxième long métrage, Hassen Farhani a posé sa caméra dans un café perdu en plein Sahara. Dans 143 rue du désert, il filme le quotidien de la tenancière Malika et, à travers les discussions entre clients et l’évolution du paysage alentour, prend le pouls de la société algérienne.
Des routiers, chaque jour, s’arrêtent chez Malika. Depuis 25 ans, dans son petit café à quelques mètres de la Nationale 1, la route «Transsaharienne», la vieille femme accueille les voyageurs, plus rarement les voyageuses. Elle leur sert un café ou un thé, leur cuisine une omelette, leur vend un paquet de cigarettes ou une bouteille d’eau et, surtout, leur tient compagnie le temps d’une escale entre le nord et le sud du Sahara. Et les langues se délient. Hassen Farhani a vu dans cet improbable lieu de convivialité « un espace de démocratie où chacun a son mot à dire et chacun écoute l’autre » et a décidé de le filmer sous toutes les coutures.

143 rue du désert (réal. Hassen Farhani)
Il y a les habitués, dont certains parcourent le désert au volant de leur camion depuis près de 40 ans. Mais aussi des gens de passage, comme cet auto-stoppeur à la recherche, dit-il, de son frère disparu, une troupe de musiciens qui improvisent un concert pour Malika et quelques clients, ou encore une aventurière polonaise, Maja, qui écume le Maghreb et l’Europe du Sud à moto.
À travers leurs dialogues avec la tenancière de cette auberge de fortune, les personnages font émerger des lieux : Adrar, Timimoun, El Menia – et sa prison –, Tamanrasset, autant de toponymes qui dessinent de proche en proche une géographie incertaine, évanescente, témoin de la conquête par l’État algérien de l’un des biotopes les plus hostiles du monde. Car le café de Malika a tout de la tête de pont, à l’orée des contrées les plus arides du pays. Il y a du western dans le documentaire de Farhani, même si c’est un sac plastique que le vent pousse à travers le cadre, en lieu et place des tumbleweeds, ces boules de branches d’arbustes qui ont symbolisé l’errance des cow-boys dans plusieurs décennies de westerns.

143 rue du désert (réal. Hassen Farhani)
Mais 143 rue du désert embrasse bien plus que la question de l’appropriation du territoire national. La petite maison rectangulaire en pierre et en terre cuite offre un modèle réduit de la société algérienne à l’aube du soulèvement de 2019. Elle permet à Farhani, dont la mise en scène joue sur les emboîtements et la multiplicité des points de vue, de prolonger le projet entamé en 2015 avec Dans ma tête un rond-point : « regarder la société algérienne, mais pas avec un regard vu de haut ».
De fil en aiguille, les voyageurs et leurs discussions font apparaître, par touches impressionnistes, l’Algérie et ses fractures : des Qataris qui « vivent comme des rois », des religieux donneurs de leçons qui « haïssent les femmes », des migrants en provenance de la frontière malienne qui s’extasient devant la richesse du pays, des bus acheminant des migrants moins chanceux vers le centre de transit de Tamanrasset et, surtout, des camionneurs qui assistent, impuissants, à la dégringolade de leur revenu.
Et puis, il y a cette station-service en construction à quelques hectomètres. Même si plusieurs clients promettent qu’ils resteront fidèles au petit commerce de Malika, elle songe à rendre son tablier face à une concurrence de ce calibre. Et on frémit avec elle devant cette menace de plus en plus concrète au fil du film, ces quelques blocs de béton éclairés la nuit, symbole d’une « modernisation » qui n’est pas forcément celle que désire le peuple algérien.
143 rue du désert est à découvrir sur le site de VOD Filmingo, ici.
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